LORSQUE MON AMI FRANCIS DELORT, grand pèlerin et organisateur de marches jacquaires, me proposa de réfléchir à l'organisation d'une marche en Alsace, je n'hésitai pas un instant.En effet l'idée me plaisait pour deux raisons. D'abord faire connaître le Chemin de Saint-Jacques en Alsace, débutant au pont de Kehl sur le Rhin en venant d'Allemagne et se terminant à Bellemagny pour la partie alsacienne, à l'entrée du Territoire-de-Belfort.La deuxième raison c'était de faire apprécier et aimer une région avec ses particularités culturelles, historiques et autres beautés à des personnes venant de diverses régions de France. L'éminent professeur Vincente Almazan (1) dédicace son livre Alsatia Jacobea, édition Nigra Arts, par la phrase «A Alsacia cuva de una admirable civilisacion... » (2). Pour ce professeur, l'Alsace est une des régions les plus riches en sites jacquaires en France, voire la plus riche (3).La partie qui nous concernait était Strasbourg - Thann, c'est-à-dire environ 160 kilomètres en sept étapes. Le chemin est très bien balisé sur tout le trajet, soit par les marques du Club Vosgien, soit par la coquille jacquaire de l'Association des Amis de Saint-Jacques en Alsace. Cette association a par ailleurs édité un guide du chemin disponible à son siège (4). Des pèlerins allemands débutent le chemin à Wissembourg au nord de l'Alsace pour rejoindre Strasbourg en trois étapes. Bien sûr ce chemin continue au sud de l'Alsace par Belfort, la Franche-Comté, vers Cluny puis Le Puy. Une autre possibilité permet de bifurquer à Gy, en Haute-Saône, vers Vézelay.J'avais choisi la période de mi-septembre car le temps à cette époque est agréable en Alsace, souvent doux, ensoleillé, sec, un peu moins de touristes et beaucoup d'animation dans les campagnes et vignobles (vendanges). J'avais limité volontairement le nombre de participants à vingt personnes car au delà l'organisation pose certains problèmes. Nous nous connaissions bien et la plupart d'entre nous avaient fait le Camino en entier. J'estimais que pour une bonne entente ces dispositions étaient nécessaires.Le rendez vous était fixé à Strasbourg, le mercredi 19 septembre 2007, en début d'après midi,après deux heures et vingt minutes de T.G.V. depuis Paris puis dépose de nos sacs à notre hôtel en centre ville nous nous dirigeons vers la magnifique cathédrale Notre-Dame en grès rose, avec sa flèche haute de 142 mètres, pour une visite guidée approfondie, intérieure et extérieure. Saint Jacques est représenté plusieurs fois notamment sur la chaire du quinzième siècle, sur un retable côté gauche du chœur, sur des vitraux, dans la représentation du mont des Oliviers. Au retour vers l'hôtel, visite de la belle église protestante Saint-Thomas avec son orgue, que le docteur Schweitzer appréciait particulièrement (5), et un passage sur les Ponts couverts pour une vue d'ensemble sur la vieille ville. |
Depuis notre hôtel, sortie rapide et très agréable de la ville par les bords de l'Ill, la rivière qui traverse Strasbourg puis le long du canal de la Bruche, voie réservée aux marcheurs et aux cyclistes. Ce canal désaffecté avait été creusé au dix-septième siècle pour amener les blocs de grès des Vosges nécessaires à la construction de la citadelle de Strasbourg. Merci à Vauban car marcher le long d'un canal est toujours fort agréable, tous les pèlerins le savent. Passage devant la chapelle de Rimlen joliment située entre les premiers vignobles et récemment restaurée par des bénévoles. Puis entrée dans le petit village d'Ergersheim. Arrivée chez les sœurs Cisterciennes à l'abbaye Notre-Dame d'Altbronn. Accueil chaleureux, petites chambres individuelles simples et calmes (6).
Bien récupéré après notre première journée de marche. Départ assez matinal car aujourd'hui nous avons une étape plus dure avec à la fin une montée dans la forêt au sommet du mont Sainte-Odile, à 762 mètres d'altitude, et plusieurs visites intéressantes en cours de route. Au bout d'une heure, arrêt à la chapelle du Dompeter à Avolsheim, du onzième siècle , consacrée en 1049 par le pape alsacien Léon IX, située dans un joli cadre naturel c'est également but d'un pèlerinage. Puis, arrivée à Molsheim où un bénévole, monsieur Haller, nous a gentiment fait une visite guidée de l'imposante église jésuite du début du dix-septième siècle avec une leçon d'histoire locale. Après une heure de marche entre les vignes, arrivée à Rosheiin et sa superbe église romane SaintPierre-Saint-Paul, du douzième. Là encore un guide nous attendait. Nous traversons Rosheim, puis de petits villages typiques : Bœrsch et Ottrott pour entamer notre montée au mont Sainte-Odile par le sentier des pèlerins à l'ombre des sapins. Beaucoup d'émotion à l'approche de cet haut-lieu spirituel cher à tout Alsacien. Montée un peu dure mais régulière. Arrivée vers 17 heures et installation dans une chambre à deux entièrement refaite à neuf avec en face la statue de sainte Odile, patronne de l'Alsace. Je ne l'ai jamais vue de si près. La vue sur la plaine d'Alsace est superbe par beau temps, et c'était le cas ce jour.
Après une nuit fraîche et vivifiante départ de bon matin. En effet une étape de 28 kilomètres nous attend. Amorce de la descente. Au bout de dix minutes nous passons devant la source Sainte-Odile où la Sainte, aveugle de naissance, recouvra la vue. Depuis, la source est classée « miraculeuse ». Descente pendant trois heures par un beau chemin dans la forêt de sapins puis de châtaigniers. Nous traversons Barr, jolie petite ville où nous faisons nos courses pour deux jours, car demain dimanche, les commerces sont fermés en Alsace. Puis marche dans les vignobles, belle animation avec les vendanges en cours. Nous discutons avec les vendangeurs, goûtons au raisin offert, délicieux. En Alsace les vendanges se font encore beaucoup à la main. On récolte les cépages "nobles", riesling, muscat notamment, le sylvaner est déjà vendangé et le gewurtztraminer attendra encore un peu. Traversée de Dambach-la-Ville avec ses tours et ses remparts. Toujours bon balisage avec la coquille. Peu avant Châtenois une pancarte : "Compostelle 2.263 kilomètres". Arrivée à Châtenois au gîte d'étape C.C.A. vers dix-huit heures, le président monsieur Maurice Schmutz, accompagné de plusieurs membres du bureau de l'association des Amis de Saint-Jacques en Alsace sont venus nous saluer. Belle soirée conviviale au gîte.
C'est une étape magnifique que nous allons faire aujourd'hui. Dans la même journée, notre chemin, continuellement dans les vignes et toujours avec ce très beau temps de fin d'été, nous permettra de traverser quelques-uns des plus beaux villages d'Alsace. Partis de Châtenois nous arrivons vers onze heures à Ribeauvillé, jolie petite ville animée, de belles maisons alsaciennes très fleuries et de nombreuses enseignes en fer forgé. C'est depuis l'église Saint-Grégoire de Ribeauvillé qu'a été retransmise la messe du dimanche 4 juillet 2010 sur France 2, la première des quatre messes "Sur les chemins de Saint Jacques-de-Compostelle" avec le thème "Je marche donc je suis", à l'occasion de l'Année Sainte jacquaire de 2010. Puis arrêt au petit village de Hunawihr, pour la pause de midi, sur le parvis de l'église fortifié Saint-Jacques du douzième siècle située sur une colline entourée de vignes. Cette église est appelée "simultaneum" car elle sert à la fois au culte catholique et au culte protestant. Beau vitrail de l'Apôtre à l'intérieur. Après quelques kilomètres, arrivée à Riquewihr, dénommée "la perle du vignoble", que tout visiteur de l'Alsace connaît. Il fait chaud mais chaque village possède des fontaines pour se rafraîchir. Continuation pour arriver à Kaysersberg, belle petite ville et étape jacquaire importante (7). L'église Sainte-Croix, douzième-quatorsième siècles, possède un "Saint Jacques couronnant" de 1523 ainsi qu'une représentation sur le retable du chœur en bois polychrome de 1518. Traversons la rue principale de la petite ville pour arriver à notre hôtel "Chez Roger Hassenforder", longtemps tenu par cet ancien champion cycliste. Il est situé juste en face de la maison natale (presbytère) du docteur Albert Schweitzer. Le soir, au menu, une bonne choucroute accompagné d'un edelzwicker.
Toujours marche par beau temps dans le vignoble. Traversée de jolis villages alsaciens, coquets, fleuris, tels que Turckheim, Husseren-Les-Châteaux, puis collines sous-vosgiennes bien ombragées. Arrivée au couvent Saint-Marc à Gueberschwihr niché dans un vallon entouré de forêts. Ce sont les sœurs de Saint-Joseph qui nous offrent l'hospitalité, accueillent avec chaleur les pèlerins, nous servent un repas simple mais copieux et avec une franche gaîté. Cela s'explique car plusieurs religieuses sont originaires de l'Inde (8). Tout respire le calme, la sérénité, propices à la réflexion interne. Ma chambre donne sur le petit cimetière de la communauté.
Jolie étape; nous marchons sur des pistes forestières dans de belles forêts sous-vosgiennes de chênes et de châtaigniers. Rencontrons plusieurs petits calvaires colorés, fleuris, touchants dans leur simplicité. Nous passons à Notre-Dame du Schœnberg en pleine forêt, puis à Notre-Dame Schaeferthal où il y a une belle fresque de saint Jacques du seizième siècle. L'église et le site autour appartiennent aux scouts de France section Alsace. Ces églises, malgré leur situation isolée dans la forêt, sont ouvertes la journée, les abords sont aménagés pour l'accueil du pèlerin. Descente par les vignes pour entrer dans la petite ville de Guebwiller. Visite de la belle et grande église romane Saint-Léger, du douzième siècle, avec ses trois tours. Puis profitons de la période des vendanges pour boire du vin nouveau accompagné de noix et de "pain paysan" à une terrasse de café. C'est une tradition en Alsace en période de vendanges. Installation dans un hôtel de la ville.
Voilà notre dernière étape, marche pratiquement qu'entre forêts et vignes. Nous passons dans le village de Jungholtz où nous visitons le cimetière israélite. Puis l'important lieu de pèlerinage de Notre-Dame de Thierenbach appelé aussi le "Lourdes d'Alsace", situé dans un joli vallon. L'intérieur de la basilique, de 1723, est recouvert de centaines d'exvotos dessinés souvent émouvants. On vénère ici Notre-Dame de l'Espérance en bois polychrome, de 1350. Puis descente vers le village de Wattwiller et Vieux-Thann et enfin Thann où nous avons la première pluie depuis notre départ de Strasbourg. Visite de la grande collégiale Saint-Thiébaut, quatorzième-seizième siècles, de style gothique avec ses stalles sculptées, ses piétas et sa statue de saint Jacques, de 1420. Le soir nous partageons avec émotion notre dernier repas ensemble. En conclusion : Cet article se limite volontairement à notre marche jacquaire de septembre 2007. Il y a bien sûr d'autres possibilités. Le chemin décrit constitue la partie la plus importante. Ce chemin emprunte très peu de routes, ne présente pas de difficultés majeures, sauf peut-être la montée au mont Sainte-Odile et encore... Il est très bien balisé, les hébergements sont nombreux mais il faut réserver à l'avance. Le ravitaillement est facile sauf le dimanche, et les bons restaurants ne manquent pas. Il peut être effectué seul ou en petit groupe. L'accueil est partout chaleureux si on respecte les coutumes locales. Je dédie cet article à Francis Delors, dont j'ai parlé au début, que notre président Guy connaissait bien et estimait beaucoup. Il a malheureusement fait une chute mortelle, en août 2008, dans les Pyrénées, en emmenant un groupe de marcheurs.
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