ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE
RELATION du VOYAGE d'ESPAGNE de Madame d'Aulnoy (1)
Madame d'Aulnoy passe le tunnel San Adrian
pages 48 et 49, début de la SECONDE LETTRE (24 février 1679)
Je reprends sans compliment la suite de mon voyage, ma chère cousine ;
en sortant de Saint Sebastien, nous entrâmes dans un chemin fort rude, qui aboutit à des
montagnes si affreuses et si escarpées, qu'on ne peut les monter qu'en grimpant, on les appelle
Sierra de Sant Adrian (2).
Elles ne montrent que des précipices et des rochers sur lesquels
un amant désespéré se tuerait à coup sûr, pour peu qu'il en eut envie.
Des pins d'une hauteur extraordinaire couronnent la cime de ces montagnes :
tant que la vue peut s'étendre, on ne voit que des déserts coupés de ruisseaux plus
clairs que le cristal. Vers le haut du Mont Saint Adrian, on trouve un rocher fort
élevé, qui semble avoir été mis au milieu du chemin pour en fermer le passage et
séparer ainsi la Biscaye de la vieille Castille.
Un long et pénible travail a percé (3)
cette masse de pierre en façon de voûte :
on marche quarante ou cinquante pas dessous sans recevoir le jour que par les
ouvertures qui sont à chaque entrée. Elles sont fermées par des grandes portes.
On trouve sous cette voûte une hôtellerie que l'on abandonne l'hiver à cause des
neiges. On y voit aussi une petite chapelle de Saint Adrian, et plusieurs cavernes
où d'ordinaire les voleurs se retirent, de sorte qu'il est dangereux d'y passer,
sans être en état de se défendre. Lorsque nous eûmes traversé le roc, nous
montâmes encore un peu pour arriver jusqu'au sommet de la montagne, que l'on
tient la plus haute des Pyrénées (4),
elle est couverte de grands bois de hêtre.
Il n'a jamais été une si belle solitude, les ruisseaux y coulent comme dans
les valons ; la vue n'est bornée que par la faiblesse des yeux : l'ombre et le
silence y règnent, et les écos répondent de tous côtés.
Nous commençâmes ensuite à descendre autant que nous avions monté : l'on voit en
quelques endroits de petites plaines peu fertiles, beaucoup de sables, et
de temps en temps des montagnes couvertes de gros rochers.
Ce n'est pas sans raison, qu'en passant si proche l'on appréhende qu'il ne s'en
détache quelqu'un dont on serait assurément écrasé ; car on en voit qui sont
tombés du sommet et qui se sont arrêtés dans la pante sur d'autres rochers ;
et ceux-là ne trouvant rien en leur chemin, feraient mal passer le temps aux voyageurs.
Je faisais toutes ces réflexions à mon aise ; car j'étais seule dans ma littière
avec mon enfant ...
(1) Marie-Catherine Le Jumel de Barneville comtesse d'Aulnoy 1650-1705.
(2) Les voyageurs n'apprécient les
paysages de montagne que depuis la fin du 18e siècle. (3) La cavité est naturelle.
(4) Non, le tunnel n'est qu'à 1180m et le plus haut sommet proche qu'à 1460m !