Ce texte a été traduit en français par José Martinez Almoyna avec l'aimable autorisation de Gonzalo Catoira
et www.gronze.com
UN GROS SUR LE CHEMIN.
Quand le bâton que mon frère avait fabriqué avec une branche, s'échappa de ses mains et se retrouva au sol, nous
éclatâmes de rire, car, ni l'un, ni l'autre, n'avions la force de nous baisser pour le ramasser.
Je compris tout : le Camino, c'est un état d'esprit. Mais commençons par le début :
je vis en Argentine, je pèse 130kg, je
fume deux paquets de cigarettes par jour et mon activité physique est quasi nulle.
Je suis professeur et ma plus grande prouesse sportive quotidienne consiste à grimper les marches de l'escalier de l'école pour atteindre
ma salle de classe, au premier étage. Aussi, le jour où Mariano (qui n'est pas non plus un
athlète) me révéla que son idée était de faire le chemin, je me dis qu'il était fou et que c'était
chose impossible, mais je n'eu pas le courage de le lui dire. C'était,
en liaison avec sa foi profonde et sa dévotion catholique, un de ses rêves inaccomplis. Si on y ajoutait notre envie de parcourir la Galice,
terre d'arrière grands-parents, la réponse était logique : bon, allons-y, on le fait. Dès lors, j'ai commencé des recherches sur Internet,
option chemin portugais, ses étapes, les distances, les refuges, le matériel et en plus la lecture de centaines de conseils.
Plein d'expériences différentes qui me conduisent aujourd'hui à donner la mienne en partage.
Épargne en euros, billets d'avion par souscriptions (•1), Madrid, blouson neuf chez Décathlon, train pour
Guillarei (•2)
et brusquement se retrouver, un soir, dans un refuge centenaire de Tuy. Cela frisait l'irréel.
Aucune préparation, j'utilisais les mêmes savates de toujours, je fumais pareil et j'avais devant moi 118 kilomètres à parcourir à pied.
Je n'avais pas maigri d'un gramme. Question inutile, mais c'était le début de l'aventure. Arriverons-nous ?
Milieu de l'hivers (•3). Le matin suivant nous partîmes de nuit et on ne voyait pas la signalisation. Je me rendis compte rapidement
que si nous ne suivions pas l'oriental au rythme olympique qui pénétrait maintenant le bois
nous serions perdus dès le troisième kilomètre. Donc, ne partez pas quand il fait encore nuit ou prenez une lampe de poche.
Nous arrivâmes à Porriño au terme d'une première étape très courte (un prélude !) à un rythme soutenu.
Nous savons à présent
que ce fut le produit de l'émotion du début et du repos antérieur total. Nous parvînmes à Porriño un peu
épuisés et de même ensuite, étape après étape.
Ça ne vaut pas la peine de vous préciser dans quel état nous avons fini chacune pour ne pas vous lasser. Mais (très humblement) je veux
vous décrire ce que le Camino nous a apprit. Des petites histoires très différentes de ce que nous avions lu avant cette merveilleuse expérience.
Les kilomètres parcourus ne sont pas en rapport avec le temps estimé de chaque étape. Plusieurs commentaires font
référence à 4 ou 5 kilomètres par heure, comme si la marche était toujours une compagne
et qu'il n'y eut pas de fatigue croissante. Comme si le chemin était rectiligne, parfaitement revêtu, sans montées et sans virages.
On a beau dire que les horaires sont approximatifs, n'en tenez pas compte. Faites votre propre chemin, reposez-vous ou galopez (si vous pouvez),
asseyez-vous face au paysage ou ne ralentissez jamais mais ne regardez pas votre montre.
Personnellement, j'ai fait des étapes estimées à 4 heures qui m'ont pris plus de 10 mais elles comprirent des
montées épuisantes, plusieurs haltes sur
des belvédères inoubliables et en récompense une omelette délicieuse. Pendant ce temps, la grande majorité
des pèlerins qui me doublaient, avançaient à la vitesse maximum. De ces moments, je conserve le souvenir
d'avoir pensé "ce fut une des étapes que j'ai le plus apprécié et eux si pressés..."
La lenteur, fruit de mon état physique, finit presque par m'être un cadeau.
Çà vaut la peine de se rappeler que le poids du sac à dos, même s'il est petit, devient de minute en minute presque insupportable.
À de nombreuses occasions je ressentis le désir désespéré de l'expédier dans un ravin mais je me
contins car à l'intérieur il y
avait ma crédencial et deux saucissons rouges à déguster dans les bois. De plus, et maintenant sérieusement, je me
rendis compte au terme de mon voyage
que plus de la moitié de ce que je trimbalais n'avait jamais été utilisé. Deux changes suffisent. Dans les refuges et
dans chaque village, il est possible de
laver et faire sécher les habits de rechange. Ce n'est pas important de s'afficher à la mode. Il n'y a pas de quoi faire une maladie parce qu'on doit marcher
avec les vêtements sales de la veille. À noter : on peut tranquillement réduire le poids du sac à dos.
Ce que je recommande c'est une bonne cape contre la pluie et dans mon cas j'eu la bonne idée de prendre une couverture en polaire à la place d'un sac de couchage.
Ça prend moins de place, c'est plus léger et les refuges du chemin portugais sont suffisamment chauds en hivers
(•3). Je n'avais même pas pris une paire
de sandales de rechange. Le sac à dos avec quelques vêtements et objets d'hygiène personnels, couverture et poche ventrale
avec les documents divers et le passeport.
C'est tout. D'autres clés de réussite furent de la farine fine fleur de maïs contre l'irritation de la peau et des petits-déjeuners robustes.
Au sujet des refuges, j'optais pour tous ceux publiques. Je ne comprends pas ceux qui se plaignent du service : dans tous je reçu un grand accueil des
hospitaliers et ils offraient des conditions très satisfaisantes de propreté et confort. Certains péperins s'attendent
peut-être à un hôtel de luxe pour 6 euros.
S'ajoutent de nombreux points de recharge d'Iphone, pour ne pas se retrouver sans batterie et ne pas pouvoir charger ses photos sur Instagram.
De même la majorité des pèlerins fut très agréables, au delà de sa tendance marathonienne et son
hésitation entre tourisme et foi.
Nous sommes allés jusqu'à dîner ensemble avec quelques verres de vin dans certains refuges... j'espère que ce n'était pas interdit.
J'ai aussi souffert de douleurs intenses dans des endroits où je n'avais jamais rien senti. Dans la voûte plantaire, le long de plusieurs côtes,
à chaque centimètre dans mes genoux, à l'endroit qui s'appelle, je le sais maintenant, le tendon d'Achille. Un jour, je le jure, les yeux
me faisaient mal. J'ai eu des crampes dans le dos et à l'auriculaire de la main droite. Je fis trois chutes et avant de parvenir à
Padron, j'ai dit à mon frère :
"Je suis arrivé jusqu'ici mais je n'en peux plus !" Cependant la foi fait bouger les montagnes ! Et si la foi
fait bouger les montagnes, aussi gros que je sois,
comment pourrait-elle ne pas me faire bouger ? Elle me fit me lever et avancer parmi les collines, les rivières, les ponts et les vallées,
parmi les routes, les bois, les sentiers et les rochers. Bien qu'épuisé, je revécus dans la foi. Dieu crut en moi et me fit croire.
Croire en moi, en ma venue avec mon frère.
Il me fit croire que c'était possible et ce fut possible. La dernière étape, nous la fîmes sous un
orage impressionnant et je vous jure que j'en fus rajeuni.
Mon courage dansait dans les nuages.
Finalement le gros est arrivé à Saint-Jacques, sans préparation, traînant son sac à dos, fumant et pour
chaque étape, prenant le double de temps.
Épuisé, douloureux mais immensément heureux, l'âme comblée comme l'esprit.
En pleurant d'émotion et de joie j'ai serré mon frère dans mes bras.
À cet instant, le bâton qu'il avait fabriqué avec une branche, s'échappa de ses mains et se
retrouva à terre, nous éclatâmes de rire car, ni l'un, ni l'autre, n'avions
la force de nous baisser pour le ramasser. Je compris tout : le Camino, c'était un état d'esprit.
(•1) En Argentine, en 2019, la hausse des prix a été extravaguante. Des mécanismes
d'ajustement qui nous sont incompréhensibles, existent.
(•2) Guillarei, gare d'embranchement de la ligne vers Tui et le Portugal.
(•3) Août, l'hivers en Argentine, l'été en Europe.
Cuando a mi hermano se le cayó al piso el bastón que había fabricado con una rama y empezamos a reírnos a
carcajadas porque ninguno de los dos tenía fuerza para agacharse a levantarlo, entendí todo : el Camino es un estado de ánimo.
Pero empecemos por el principio : vivo en Argentina, peso 130 kilos, fumo dos paquetes de cigarrillos por día y
mi actividad física es prácticamente nula...
sommaire du site
images du site
autres textes
ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE