JÉRUSALEM - COMPOSTELLE

Dans les pas de l'apôtre Jacques

Ce vendredi 23 février 1996 à 9 heures, c'est le départ ! Sortie de l'hospice Saint-Jacques des Arméniens où j'ai passé la nuit. Madeleine, la responsable de l'hospice parle un peu français. Lorsque je lui ai annoncé la veille que je partais pour Saint-Jacques de Compostelle, à pied, seul, sac à dos ne dépassant pas 10 kilos, sa surprise a été grande, surtout après avoir vu mon itinéraire tracé sur la carte collée dans mon livre de route. Elle a lu les recommandations traditionnelles remises aux pèlerins : celles du Père Legaux, recteur de la cathédrale de Chartres, du Père Bruchard, curé de ma paroisse de Montereau, de Jeannine Warcollier, la dévouée secrétaire des Amis de Saint Jacques et de Nicole, ma femme et Frédérique, ma fille.

Savait-elle Madeleine seulement où se trouvait Compostelle ? Je lui ai dit "arrivée dans 6 mois, en août, si Jacques mon apôtre préféré me vient en aide". Après lui avoir décrit en peu de mots mes précédents pèlerinages (note) , et voyant ma détermination soutenue par ma foi de pèlerin en route vers son Apôtre, Madeleine paru plus confiante sur le sort de mon expédition. Vivant depuis de nombreuses années dans un fauteuil roulant, je vis, en l'embrassant au moment du départ, beaucoup d'envie dans son regard. Au revoir Madeleine, ma première belle rencontre de ce long voyage. Je suis sorti de Jérusalem par la Via dolorosa, puis la Porte des Lions au nom plus excitant que sa voisine la Porte des détritus ou Porte des immondices !

Le soleil est déjà très haut et très chaud lorsque je longe le Mont des Oliviers et traverse les villages cisjordaniens de Béthanie et Gethsémani, lieux où Jésus et ses compagnons ont vécu, aimé et souffert. Les enfants de ces villages courent vers moi pour m'offrir ce qu'ils ont dans la main : du pain, des gâteaux ou du coca-cola. Ils ne connaissent pas mon but, ils ont compris que je suis un étranger et sont très accueillants pour le "catho" que je suis. Mais il me faut avancer face à l'est en route pour Jéricho que j'atteindrai le lendemain vers midi.

Ce premier jour, sous la chaleur et pas trop en forme, je ne parcours que 20 km. Hébergé par des bédouins, je mange avec eux assis par terre, et dors sur un tapis sous leur tente. Sans me poser de question, sans savoir qui je suis, où je vais... L'hospitalité arabe n'est pas un vain mot en Cisjordanie !!! Le lendemain à l'aube, je me mets en route pour Jéricho après deux verres d'un merveilleux thé offert par ces compagnons.

À mon arrivée à Jéricho, la ville la plus basse et la plus ancienne du monde, Starmo, intendante de l'église orthodoxe, me délivre mon premier visa du chemin et m'écrit en français : "Je vous souhaite bon voyage, une vieille de Jéricho". Jéricho où il est très facile d'entrer mais très difficile d'en sortir !!! La police jordanienne et surtout les bouclages israéliens me feront perdre patience... Je sais déjà qu'ici il faut laisser le temps au temps, rien n'est facile, laissons faire les choses. Je réussis à passer la frontière jordanienne au pont Allenby après de nombreux barrages et de longues palabres pour finalement être refoulé peu avant la nuit par les jordaniens pour manque de visa (il y a trois points de passage entre Israël et la Jordanie, les visas ne sont délivrés, sur place uniquement, qu'au nord et au sud... et je suis au centre à Hussein Bridge Allenby). Je suis donc à nouveau en Israël, je remonte vers le nord et après trois jours de marche je peux passer sans problème en Jordanie à la hauteur d'Irbid. Là, je découvre l'accueil, la cordialité et la gentillesse des jordaniens.

Après six ou sept jours de marche, j'allonge maintenant mes journées et fais sans trop d'effort mes 30 ou 35 km quotidiens. Bien sûr, j'ai des ampoules et mal aux pieds, mais j'aurai mal jusqu'à Compostelle !

Trois jours plus tard, le passage de la frontière syrienne m'est refusé malgré un visa obtenu à Paris avant mon départ. Bien qu'il n'y ait pas de visa israélien sur mon passeport, le policier syrien comprend bien que je suis passé par Israël. Après maintes discussions avec les mains il me faut monter (pas de force, mais il n'y avait rien d'autre à faire) dans un pseudo taxi qui m'emmène à Amman, après, bien sûr, que le policier et le chauffeur se soient partagé le prix de la course (environ 200 F.).

Me voilà dans un hôtel bien triste de la banlieue d'Amman, découragé, mais nullement décidé à abandonner. Que faire ? Renoncer ? Certainement pas, la nuit porte conseil. Le lendemain (comme dans un film !), je prends un avion pour Istanbul, puis un autre pour Adana et enfin un bus pour Antioche, au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Les syriens, hélas, me font gagner trois semaines. L' hiver n'est pas terminé et il fait très froid. En Turquie l'accueil est très bon pour le routard que je suis. Les hôtels (avec souvent eau froide à tous les étages !) et les repas sont très bon marché. Mon budget prévu au départ de 100 francs par jour est amplement suffisant. Ici, avec 100 francs un homme est riche !

Malheureusement, le froid et la neige, abondante sur les plateaux de l'Anatolie, me feront quelques fois terminer mes journées en autobus. Après mes 30 ou 40 kilomètres de marche il n'y a rien, rien ! Souvent je dois rejoindre un village ou un hébergement par bus. Je ne suis pas habitué à terminer mes journées de cette façon et le pèlerin déprime un peu. Je traverse les 1400 km de Turquie en 36 jours par Adana, Konya, Ankara, Istanbul. De mon passage en Turquie, je garde le souvenir de belles rencontres. La plus sympathique est certainement l'invitation à dîner, chez eux, d'Erkan et son épouse avec des amis, tous très intéressés par le mode de vie français. Je corresponds toujours avec ces amis de Tekirdag.

En Grèce, l'accueil de nos frères orthodoxes est moins agréable. Le pèlerin et son sac à dos est bien souvent refoulé, envoyé plus loin. C'est déjà l'Europe, sa société de consommation et son refus de l'autre. Cependant, à Kavala, je ne peux oublier le repas offert par Daskalakis Thanassis (philosophe grec) et son épouse (professeur de français). Pendant que sa femme prépare le repas, Daskalakis et ses deux fils m'apportent la traditionnelle bassine d'eau chaude afin de détendre les pieds du pèlerin. Je passe par Thessalonique, à mi-chemin de la Grèce puis, longeant la frontière albanaise jalonnée de merveilleux paysages, je "galope" vers Igoumenista, lieu de mon embarquement pour l'Italie. Après 800 km en 27 jours, mon séjour en Grèce se termine.

Une nuit de voyage en bateau et je débarque à Brindisi un dimanche, pas facile de changer de l'argent ! Heureusement le miracle de la carte bleue me permet de poursuivre vers le nord-ouest. Je marche maintenant sans aucun problème. J'ai dans la tête et dans les jambes les 35 à 40 kilomètres journaliers. Je suis indépendant, je peux aller où je veux, quelquefois je fais 43 à 45 km par jour. Rassurez-vous, j'ai toujours mal aux pieds et mes 10 kg superflus ont disparu au hasard du chemin. Direction nord, nord-ouest, vers Rome que j'atteins sous la pluie le 21 mai 1996. Je retrouve mes marques du précédent pèlerinage de 1993, je refais les mêmes étapes, je suis très confiant. J'ai réussi une fois les 2350 km de Rome à Compostelle, je peux le refaire. À part l'étape de Rome, je réalise les 1300km italiens en 39 jours sous un beau soleil. Les cinquante mots d'italiens appris avant mon départ facilitent l'accueil, beaucoup plus chaleureux qu'au précédent pèlerinage. Je dors à l'hôtel, chez des prêtres, sous les ponts, devant les églises, sans crainte. Hélas mon budget de 100 francs par jour ne me permet de vivre qu'une demi-journée

L'arrivée en France est d'autant plus heureuse que Nicole, mon épouse, m'attend à la frontière. Nous passons deux jours ensemble chez Jacques et Annie, nos bons amis d'Antibes.

Je fonce cette fois face à l'ouest. J'ai toujours mal, et quelquefois même très mal, aux pieds, mais mes ampoules ont disparu. Depuis le sud de l'Italie et jusqu'à la fin, je marche en bermuda, inutile de dire que j'ai les mollets du plus bel effet. Les 900 kilomètres de Menton à Saint-Jean-Pied-de-Port se font sans problème car je "parle couramment français" ! Je fais une étape familiale à Aix-en-Provence chez mes neveux Sauveur et Géraldine où je retrouve avec beaucoup de joie ma sœur Simone et son mari Pierre. Une halte à Saint-Just (Hérault) pour revoir Maryse et son mari, une très belle rencontre du voyage précédent. Petit détour par Lourdes que, bêtement, j'avais ignoré en 93 ; malgré les nombreux magasins, hôtels et touristes, la foi, près de le grotte est grande. Je ne reste à Lourdes qu'une petite heure, mais j'y passe un bon, très bon moment d'action de grâce.

Venant de Mauléon, et après avoir visité la très belle église de l'Hôpital Saint-Blaise, sous une belle pluie basque, j'arrive à Saint-Jean-Pied-de-Port après une belle marche de 40 kilomètres. Je retrouve Madame Debril pour la quatrième fois. Des bons amis basques, Simone et Dominique, m'y attendent, accompagnés d'un journaliste de la Semaine Basque. Nous partons chez eux, à Ustarritz, où ma femme Nicole nous rejoint. Après un jour de repos, retour à Saint-Jean-Pied-de-Port d'où je pars sous la pluie vers Roncevaux et passe par la route pour la première fois. La montée est franche et belle.

L'Espagne, "terre promise" est enfin là : le 6 juillet. Depuis toujours je suis amoureux de l'Espagne. Je suis maintenant sur un petit nuage. Je ne marche plus, je vole... mais j'ai toujours mal aux pieds ! Qu'importe, je sais maintenant que mon merveilleux voyage va se réaliser. Je connais maintenant toutes les étapes, je n'ai plus besoin de carte routière et ma boussole est enfouie au fond du sac. Je retrouve les refuges, les douches "agua frio", les dortoirs de 40 lits (pour les retardataires : le sol entre les lits). Plus Compostelle approche, plus les refuges sont bondés. J'aimerais voir 10.000 pèlerins par jour ! Impossible de ne pas parler des "hospitaleros" rencontrés au hasard des refuges :
- à Castrojeriz, Maria et Christine, jeunes femmes belges au grand cœur, allant d'un pèlerin à l'autre, apportant présence et réconfort,
- à Reliegos, Louis et Marie-Christine, leur cordialité et leur repas du soir si chaleureux,
- à Rabanal del Camino, ce couple d'anglais levé aux aurores pour offrir aux pèlerins leur fameux petit déjeuner anglais (le meilleur depuis mon départ, leur ai-je écrit sur le livre d'or).

Je retrouve les compagnons du "camino" avec lesquels je partage une ou deux soirées et que, hélas, bientôt je dois quitter. Depuis mon entrée en Espagne les questions sont inversées on ne me demande plus où je vais, mais d'où je viens !

Dans la fière et belle Espagne je retrouve tout ce que j'aime : la joie communicative des pèlerins espagnols, le "café con leche" du petit matin, les "tortillas con jamon, por favor", les "chuletas de cordero", le "vino" de la Rioja, du Bierzo, de Galice, l'"aguardiente" dans les bars de León et de Galice.

Oh ! Que j'aime l'Espagne ! Je fais en Espagne de très belles rencontres, je passe de très belles soirées. Dans le désordre et avec autant d'amitié pour chacun, je citerai : Didier, venu d'Orléans, ensemble, amicalement nous étudions la gastronomie espagnole; Gérard (pompier et croyant), parti de Saint-Auban (Alpes de Haute-Provence), rencontré pour la première fois en France peu avant Mirepoix; Brigitte, la sympathique "catho" de Saint-Pierre-lès-Elbeuf-, sans oublier Pierre, Sophie, Jacques, Jo, Armelle, Christiane, Gema, Fatima, Bert... et tous les amis espagnols qui ont contribué à ce que mon pèlerinage soit si beau.

J'arrive à Santiago de Compostela le 1er août 1996 et loge, comme d'habitude, chez l'ami Suso. Dans la cathédrale je ressens beaucoup d'émotion pour ce grand moment attendu depuis 5 mois et 10 jours...

Je vais ensuite à la "Casa del Peregrino" chercher ma quatrième Compostela. Le chanoine Garcia (qui accueille les pèlerins) déjà rencontré auparavant, me demande de rédiger une prière d'action de grâce de quarante lignes, que je devrai lire le lendemain pendant la "messe des pèlerins" dans le chœur de la cathédrale.

À la fin de la messe, le chanoine Garcia me fait offrir symboliquement mon bâton de pèlerin venu de Jérusalem. En mon honneur (je ne l'ai su que plus tard), et pour le bonheur de tous les pèlerins présents, le botafumeiro s'est envolé d'un côté à l'autre du transept de la cathédrale.

J'ai fait un beau pèlerinage, un très beau voyage, aussi beau que les précédents, la distance ne fait rien à l'affaire. L'essentiel est de marcher avec sa foi vers l'Apôtres J'ai la chance, j'ai le bonheur de posséder les trois clefs du pèlerinage : - avoir du temps, - avoir un bon bâton de marche, - avoir la foi qui escamote les montagnes... Ultreia !

"Résumé d'un récit que peut-être un jour j'écrirai..."

Guy AUGUSTE   ©

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Publié dans Compostelle, le bulletin de la Société des Amis de Saint Jacques de Compostelle (2 ème semestre 1996).


Association Française des Pèlerins de Saint Jacques de Compostelle

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