ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE
Voyage au ponant, à Saint-Jacques de Galice et Finisterre à travers la France et l'Espagne.
de Domenico Laffi
traduction de José Martinez-Almoyna
Par le Dauphiné jusqu'en Avignon.
Une fois passée la frontière de l'Italie, (note) il y a un très
beau village connu sous le nom de Sumum
(Salbertrand ?) qui est le premièr
village de France située dans ces montagnes escarpées.
Il a de nombreuses fontaines de pierre à l'eau abondante et portant le blason du Dauphin.
Deux lieues après ce bourg, on traverse une grande
rivière appelée Dora sur un très haut pont de bois.
À sa sortie se trouve une forteresse installée en haut d'un rocher planté
là par la nature comme une île et situé
en arrière de ces hautes montagnes.
D'un côté coule la rivière impétueuse aux flots abondants à cause des
neiges éternelles et de l'autre se dresse une montagne très haute et
dénudée. Elle coupe le passage de sorte que
la forteresse verrouille l'accès à la montagne par deux grands portails
et de hautes murailles. Une fois le premier portail franchi, les gardiens le
ferment et on reste là prisonnier entre les deux portails. Le garde nous interroge,
d'où venons-nous, où allons nous ? Il réclame
nos passeports et le carnet de santé.
Ces documents présentés, un soldat de la garde nous mena à
l'intérieur de la forteresse par un escalier creusé dans le rocher,
travail au ciseau.
On nous mena devant le châtelain qui nous posa les mêmes questions.
Il voulut voir les passeports et le carnet de santé.
Cela vérifié, il nous dit en français
de poursuivre notre voyage. Nous autres comprenant vaguement, nous remerciâmes
en latin car nous nous sentions peu solides dans la pratique
de la langue française.
Nous quittâmes la forteresse, accompagnés par le soldat jusqu'à
l'extérieur du second portail. Le pourboire versé au garde,
nous cheminâmes finalement vers un endroit appelé Oulx, situé
dans une plaine où aboutissent deux torrents tumultueux.
Comme il est entre de hautes montagnes, l'emplacement est vraiment agréable.
Il y a de tout en abondance. Il y a un hôpital rattaché
à un énorme couvent où résident des moines appelés
de Saint-François de Sales.
Ils sont en noir avec une cordelière de soie blanche aux épaules pour
s'identifier. Ils sont très charitables avec les pèlerins
tant pour donner à manger que pour héberger. La ville est très
belle du fait de ses fontaines et de ses beaux édifices.
En avançant dans sa grand rue,
nous vîmes cloués sur la porte principale les dépouilles des
ours abattus lors des chasses et aussi certains sangliers.
Ils sont nombreux dans ce pays et
je crois que c'est pour ça que le nom de la ville se prononce Ours. Nous y
passâmes l'après-midi et repartîmes tôt le lendemain matin.
Nous commençâmes par cheminer sur la rive droite de la rivière
déja citée durant deux
lieues sans parvenir à Cesana (Torinese) sur le territoire favorisé
et beau d'Oulx. En y arrivant, nous rencontrâmes une longue procession
d'hommes et de femmes à l'avant de laquelle figurait le curé avec à
sa suite et, à droite, un jeune homme bien habillé
ne portant qu'un bouquet de fleurs et d'herbes et les autres de même, deux
par deux avec les mêmes rameaux d'herbes. Au bout de la file des hommes
venait une jeune fille, bien habillée aussi avec pareillement un bouquet d'herbes et de fleurs.
Avec la même distribution que les hommes suivaient les femmes. Nous autres,
par curiosité, nous suivîmes sur le
côté pour voir comment cela finirait. Ils pénétrèrent
dans l'église et se répartirent en deux files,
les hommes d'un côté, les femmes de l'autre.
Le curé vint à l'autel et le jeune homme se mit à un prie-dieu,
la jeune fille à un autre près de lui à
une certaine distance. Nous nous imaginâmes qu'il s'agissait d'un mariage et
c'était bien cela.
Une fois la cérémonie religieuse du mariage terminée, nous
nous approchâmes du curé et sollicitâmes la
possibilité de dire la messe ce qu'il
nous accorda avec bonté. Tout ces gens restèrent pour y assister.
Celle-ci terminée, ils nous invitèrent à manger,
nous emmenant au milieu de la procession qui reprenait suivant le même ordre
que décrit plus haut. Nous autres, à la place du
bouquet de fleurs et d'herbes, portions nos longs bourdons qui paraissaient deux piques.
De cette façon, nous cheminâmes à travers la ville.
Avec beaucoup de plaisir, nous voyant dans cette situation, nous troquâmes
notre fatigue contre des sourires.
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Ainsi, après de longs détours, nous parvînmes avec toute cette
compagnie à la maison de l'époux. Nous passâmes
à la table qui était déja dressée. Après de longues
cérémonies à la française, nous nous
assîmes dans un ordre rigoureux. Comme nous avions été les derniers
à être invités, on nous plaça à la fin.
Nous mangeâmes agréablement
sans pouvoir retenir nos rires car nous ne les comprenions pas et eux non plus.
Le banquet terminé, tous se mirent debout et on apporta une grande
cuvette vide qu'on remit à l'épouse. Celle-ci, faisant le tour, d'abord
auprès du père, de la mère et des parents,
récoltait des dons d'argent qu'on
appelle ici le cadeau de l'épousée et qui sert de dot. Après
les parents, elle fait le tour des amis, puis les autres invités.
Tous donnent, plus ou moins selon leurs moyens. Quand nous vîmes qu'elle passait
devant chacun, notre envie de rire disparut et devint un long soupir.
Nous nous disions entre nous qu'une telle invitation payante ne nous agréait pas.
Nous eûmes consolation quand l'épouse arriva devant nous alors que
nous cherchions quelque argent à donner.
Elle nous réprimanda et dit qu'elle n'en voulait pas et,
prenant une poignée de pièces dans la cuvette, elle
nous la donna en nous demandant de prier Dieu pour elle.
L'époux fit de même.
L'envie de partir nous vint enfin et nous priâmes Notre Seigneur de nous procurer
souvent de telles occasions car cette coutume nous
était bien agréable. Ensuite, le remerciant à notre façon,
nous quittâmes Cesana tout contents, vers le col de Montgenèvre qui
est fort dangereux. Nous cheminions entre précipices et rochers escarpés
qui menaçaient de s'ébouler quand nous les regardions.
Ces précipices se prolongèrent durant deux lieues et ils inspirent
vraiment la panique à tout le monde à cause des nombreuses
personnes qui sont mortes sous les glissements de terrain qui se produisent fréquemment.
Ils sont ensevelis sous de gros rochers mélangés à des monceaux de
glace et de neige couvrant presque tout le sentier. Mais, quand Dieu le veut, on passe,
après beaucoup de difficultés et d'insupportables fatigues.
Nous parvînmes au col où il y a un bourg qui se nomme Montgenèvre
car il appartient à ce canton et est toujours couvert de glace et de neige.
Il est assez grand et on y donne des aliments à base de pain et de vin au
pèlerin. C'est un acte de charité de la communauté du
lieu pour que les pèlerins
qui passent par ces montagnes escarpées ne meurent pas de faim dès
lors qu'ils n'ont pas d'argent. Ici, la Dora a sa source, rivière
très large quand elle rencontre le Pô italien. Par contre, d'ici dorénavant,
l'eau coule vers l'occident, la plus grande partie va aboutir
dans le Rhône qui débouche ensuite au Golfe du Lion, en Méditerranée.
Ici, on commence à descendre, pendant deux lieues, toujours vers le bas.
On arrive à Briançon (Berenson pour Laffi),
vaste ville avec une forteresse au sommet d'une petite montagne.
C'est une cité commerçante, riche dans
tous les domaines, car c'est la première qu'on rencontre
après les Alpes. Elle est sur le flanc de la montagne. Avec l'importance des
échanges commerciaux, le proverbe français dit d'elle
"Briançon, petite ville, gros commerce".
Nous logeâmes ici la nuit et le lendemain matin, nous allâmes dire la
messe à la cathédrale et après le petit-déjeuner,
nous partîmes pour Embrun. Nous passâmes par le village de Saint-Martin
(Saint-Martin-de-Queyrières), petit endroit
à deux lieues, puis un autre appelé Saint-Michel et ensuite Saint-Crépin,
toujours en descendant pendant 3 lieues.
Ici, nous déjeunâmes de nouveau car ils ont de bons vin et fromage ;
toutefois leur pain est exécrable, noir et
fait principalement de seigle. Tous ces villages sont construits en bois y compris
les toitures. Presque tous sont établis en fond de
vallée, près de la rivière (la Durance),
cachés entre ces très hautes montagnes,
bénéficiant peu du soleil car ils ne le voient que le matin au dessus
de ces hautes montagnes toujours recouvertes de neige.
Nous partîmes d'ici pour Embrun, à quatre lieues, mais comme la nuit
venait, nous nous arrêtâmes à un endroit appelé
Casteron (Châteauroux ?) que nous trouvâmes
en chemin. Nous logeâmes mal cette nuit car nous n'avions rien à manger.
Le lendemain matin, nous entrâmes tôt dans la ville d'Embrun et
immédiatement allâmes voir l'évêque
pour timbrer les papiers et pouvoir dire la messe que nous célébrâmes
ensuite à la cathédrale.
Après, nous prîmes un bon petit-déjeuner. Cette ville est entourée
d'une double muraille et est assez grande.
Elle est située sur le versant d'un grand rocher au bas duquel passe une grande
rivière parcourue de rapides. Elle est inexpugnable de ce
côté.
De là, nous continuâmes notre voyage à Chorges, à quatre
lieues d'Embrun. Ce bourg passé, se trouve un autre village appelé
Selara (?) où
de nouveau nous prîmes des forces en mangeant pour ainsi quitter cette très
haute et rude montagne. À mi-chemin, nous fumes surpris par un vent
assez furieux qui nous entraîna presque dans les airs. Pour le reste du trajet,
nous investîmes presque la journée entière car il fallut,
pour résister au vent
qui risquait de nous emporter dans les précipices, marcher parfois à
quatre pattes. Une fois au sommet et épuisés,
nous commençâmes à descendre
rapidement poussés par le vent ce qui nous convenait. Nous parvînmes
à un petit village qui s'appelle Saint-Étienne
(Saint-Étienne-le-Laus, S.Stefano pour Laffi),
où nous logeâmes, fatigués par ce voyage épuisant
et le mauvais traitement infligé par le vent mais réconfortés
par la bonne nouriture et une bonne nuit.
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Au matin, nous reprîmes notre marche jusqu'à un autre village pour
y dire la messe car c'était fête. Arrivés sur place, nous
demandâmes à voir Monsieur le Curé
mais on nous dit qu'il n'était pas là. D'ici, nous allâmes vers
Cenasa (Lettret ?) mais avant d'y parvenir nous
rencontrâmes une grande rivière (la Durance)
qui coulait
rapidement. Nous sondâmes avec nos bâtons sa profondeur à la recherche
d'un gué possible. Nous vîmes que sa profondeur
dépassait la taille d'un homme.
Au vu du courant et de la profondeur, il nous parut impossible de traverser. Nous
étions ainsi prostrés sur la rive quand nous vîmes venir
sur l'eau de nombreux troncs de pins coupés et équarris qui avaient
dû y être jetés en vue de leur transport.
Compte tenu de l'impérieux besoin de traverser, l'un de nous entra dans l'eau et
s'efforça de mettre un arbre en travers pour qu'il
nous serve de pont et pour que nous passions de l'autre côté, malgré
le risque évident de noyade.
En effet, quand nous parvînmes au milieu et que le tronc céda nous nous
retrouvâmes avec de l'eau jusqu'à
la ceinture. Par miracle, le glorieux saint Jacques nous sauva en nous aidant à
nous trainer hors de l'eau, sinon nous étions
irrémédiablement perdus.
Nous échappâmes au danger avec le visage marqué par la mort et le
cœur saisi d'épouvante. Nous nous séchâmes
au soleil le mieux que nous pûmes.
Nous entrâmes ensuite dans la ville de Cenasa où nous tombâmes
sur un spectacle lamentable.
Les maisons se trouvaient à moitié brûlées, en partie
écroulées par le vent, certaines écrasées
par les gros rochers qui se décrochant des montagnes tombaient sur la ville
située en bas, sur la rive
droite de la rivière. Nous cheminâmes dans ces ruines, au milieu des
quelques maisons restantes cherchant une église quelconque
pour y célébrer la messe. À l'entrée d'un chemin, nous
entendîmes chanter, aussi nous nous imaginâmes
qu'il y avait une petite chapelle ou une petite église.
Nous nous dirigeâmes vers l'endroit où on chantait et nous tombâmes
sur une petite église qui ressemblait plus à une grotte de
neige qu'à une chapelle. Elle
était en effet recouverte de paille et construite en simples briques de terre
crue, sans mortier et sans la moindre décoration.
En y entrant, nous trouvâmes quelques rustres qui chantaient les offices de la
B.V. (Bienheureuse Vierge) de façon
assez grossière.
Je ne sais s'il fallait en rire ou en pleurer. Ils étaient avachis sur certains
bancs comme des ânes.
L'office terminé, nous leur demandâmes s'il était possible de dire la messe.
Il répondirent que oui et ils se
mirent immédiatement à tout préparer. L'autel se trouvait dans
une niche relativement étroite où j'eu du mal à
tenir car c'était si petit que le missel couvrait tout, aussi fut-il
nécessaire que le prêtre le tienne hors de l'autel.
Celui-ci était fait d'une planche mal équarrie
qui oscillait. Jamais de ma vie, je ne me suis trouvé dans une situation aussi
embarrassante que celle là, mais avec l'aide de Dieu, je pus
célébrer la messe. Une fois celle-ci terminée, un des villageois
s'approcha et nous demanda, dans sa langue, si nous voulions déjeuner.
Ce à quoi, après quelques salutations, nous répondîmes que oui.
Il nous conduisit chez lui et, la table mise, nous
fûmes satisfaits de manger.
Mais, quand le petit-déjeuner que nous pensions offert gratuitement fût
terminé, il nous chanta clairement qu'il voulait
être payé car il s'agissait d'une auberge. Ne pouvant faire autre chose,
nous le payâmes, mais à contre-cœur, puis nous partîmes
pour Tallard (Talardo pour Laffi) qui se trouve à
quatre lieues de Chorges.
Tallard est une belle citadelle peuplée, située dans une plaine très fertile.
L'endroit est très riche, délicieux, tout
y est abondant. Elle est ceinturée de murs puissants. Au milieu de la place,
il y a un énorme puits qui alimente tous les habitants de la citadelle.
La bouche du puits est taillée dans une seule pierre, très belle à
voir pour son gigantisme.
Ici vint à notre rencontre le consul du château qui donne à manger
aux pèlerins ou une aumône en argent.
Il y a une autre chose qui mérite d'être vue, c'est le palais seigneurial
du château dont on admire
la construction implantée dans un endroit proéminent par rapport aux
autres maisons. Ce palais est d'une superbe architecture, très haut et avec
autant de fenêtres qu'il y a de jours dans l'année, autant de pièces
qu'il y a de semaines, autant de coupoles en forme de clochers qu'il y a
de mois. De loin, l'aspect est superbe, de près l'édifice est vraiment
somptueux. De tous les châteaux que j'ai vus en France, c'est le plus beau.
En sortant, nous trouvâmes une source d'eau fraîche où nous nous
rafraîchîmes un peu, puis nous continuâmes
notre voyage vers La Saulce (Sarsa pour Laffi) qui se
trouve à une lieue de Tallard. C'est un vaste bourg situé
sur le flanc d'une grande montagne couverte de vignobles, de potagers et de vergers
de tous types. À la base passe une grande rivière. On nous donna
ici aussi des aliments, comme presque partout en France. D'ici nous passâmes
à Saint-Lazare (Monêtier-Allemont ?)
qui se trouve à 3 lieues et où nous logeâmes très
confortablement ce qui est peu fréquent.
C'est le dernier endroit du Dauphiné.
Le lendemain matin, nous continuâmes jusqu'à Upaix.
(Upera pour Laffi) à deux lieues de Saint-Lazare.
Il s'agit du premier endroit de Provence.
Il est situé à l'entrée d'âpres montagnes aux pieds desquelles
coule une rivière énorme
(la Durance) qu'on ne peut traverser que dans ce bourg.
Il y a une grande quantité de vignobles, de potagers et de vergers de tous types.
À la droite de la rivière, qui est
utilisée pour l'arrosage des potagers, il y a de nombreux jardins de délassement
où on peut jouir de toutes sortes de divertissements
pour la détente.
D'Upaix à Séderon, il y a 3 lieues. En quittant cet endroit, nous
nous engageâmes dans une côte très forte et très pentue.
Il nous fallut une demi-journée pour la grimper. En arrivant au sommet de cette
montagne assez abrupte, nous fîmes une halte baignés de sueur.
Voyant un grand rocher, nous nous
dirigeâmes vers lui pour profiter de son ombre. En y arrivant, nous y trouvâmes
une source qui surgissait là.
Nous rendîmes grâce à Dieu pour cette aubaine, nous nous
rafraîchîmes et nous nous reposâmes un peu avant de
redescendre sur l'autre versant de la montagne, côté Séderon.
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Une fois au bas de cette montagne, nous aboutîmes à une grosse rivière
(Le Buech)
que nous traversâmes à grand peine, tant à cause de sa profondeur
qu'à cause de l'eau très froide, car c'est de l'eau
provenant de ces hautes montagnes, continuellement enneigées.
Une fois sur l'autre berge, nous cheminâmes vers Séderon qui est une
ville située en bordure de la riviêre qui se faufile entre ces montagnes
désertes où on ne distingue aucun arbre ni, par miracle, une seule
herbe car c'est du simple rocher. Pour entrer dans la place, il faut
franchir un grand pont, d'une seule arche, d'une berge à l'autre.
Nous traversâmes ce grand pont et nous restâmes à cet endroit
pour passer la nuit dans une auberge à moitié en ruine
suite aux éboulements de la montagne ; car les chutes de grosses pierres
sont fréquentes et elles écrasent les maisons.
Préoccupés, nous ne dormîmes
pas de toute la nuit, de crainte que ne tombe une pierre quelconque. De là,
nous poursuivîmes notre voyage vers Sault, à 3 lieues (?).
Mais à peine fûmes-nous sortis de la ville de Séderon que nous dûmes
commencer à grimper la pente raide d'une grande montagne.
Au sommet, nous trouvâmes un puits creusé dans le rocher où
de nombreuses femmes puisaient de l'eau ; celles-ci nous donnèrent
à boire.
Nous redescendîmes ensuite cette montagne et parvînmes à une
vaste plaine avec champs et bosquets où nous trouvâmes
un autre puits où il n'y avait personne. Pour pouvoir boire, la soif nous
obligea à attacher un bâton de marche à un autre,
puis d'ajouter à la pointe un chapeau pour écoper de l'eau.
Après avoir bu, nous partîmes et traversâmes une vaste forêt
sur de nombreux milles.
Nous arrivâmes finalement
à Sault qui est un endroit situé sur le haut d'un rocher auprès
duquel passe un torrent. Celui-ci occasionne de nombreux dégâts
quand il pleut car il inonde la plaine. Sault est une belle ville, sûre bien
que pas très grande. Elle est ceinturée de hautes murailles
renforcées de tours, toutes rondes. C'est une belle vue.
Nous allâmes à la cathédrale qui est ancienne et possède
de beaux et bons tableaux. Elle possède, en
outre, une relique de sainte Anne. Nous visitâmes un peu l'intérieur
de la ville, puis nous partîmes. En sortant par la porte, une multitude de
marches descendent à la plaine où
se trouve le torrent signalé antérieurement.
Il y a là une bonne auberge où nous mangeâmes bien ; toutefois
ce fût assez cher. Il fallut faire le change d'un doublon d'Espagne
parce qu'il nous manquait 25 sous, soit 50 des nôtres.
En partant d'ici, nous montâmes une côte de 3 lieues au sommet de
laquelle nous trouvâmes une taverne où nous nous arrêtâmes
un moment pour
reprendre des forces avec du fromage frais et du bon vin. Ensuite, nous
commençâmes à descendre au milieu d'éboulements et de
tas de terre dont on extrait de nombreux colorants ; d'ailleurs on voit des tissus
étendus sur le versant qui ressemblent à un arc-en-ciel,
à cause des teintes belles et variées.
Ensuite nous arrivâmes à Mormoiron, premier bourg du Comtat d'Avignon,
ceinturé de murailles assez grandes. Il est situé dans
une vaste et belle plaine, très agréable qui produit en abondance toutes
sortes de fruits. Il y a de vastes champs d'oliviers, tant dans
la plaine que sur les pentes montagneuses.
De même que sur toute la terre d'Avignon, il se produit ici une chose
extraordinaire que j'ai entendu rapporter par ses habitants.
Voici : durant tout le temps de vacance du Saint Siège, de par la mort
du Souverain Pontife, les oliviers se dessèchent et demeurent ainsi
jusqu'à l'élection du nouveau pape. Ce n'est pas seulement la
vérité car il est bien certain que quand nous passâmes dans
ce territoire, nous vîmes de nos propres yeux qu'ils étaient secs.
En effet, le siège était vacant avec la mort de
Clément IX. Ensuite, à l'avènement de Clément X,
ils reverdirent de nouveau ; mais comme je suis étranger, je n'y crois pas.
Nous logeâmes extramuros cette fois, pour pouvoir partir tôt le jlendemain
et continuer notre voyage.
Nous déposâmes nos baluchons à l'auberge, demandant à
notre hôte de nous préparer le dîner. Nous partîmes
nous promener dans le bourg, observant les maisons, l'une ou l'autre église,
pas bien belle, une placette ; puis nous retournâmes à l'auberge.
Comme le repas n'était pas encore prêt, nous allâmes nous asseoir
au pied d'une haute colonne qui était plantée en face de l'auberge.
Il y avait
autour toute une série de marches. Nous nous mîmes à discuter
de nos affaires et tous les gens qui passaient s'arrêtaient, puis
se mettaient à rire. Voyant que cela se répétait, n'en sachant
pas la raison nous continuâmes notre
conversation jusqu'à l'arrivée de l'aubergiste. Il se mit à crier
que nous devions nous lever et quitter un tel endroit car c'était le pilori.
Nous nous levâmes et vîmes que c'était exact en remarquant les
chaînes fixées à la colonne.
Rouges de honte, nous gagnâmes l'auberge et dînâmes.
Au petit matin, nous nous dirigeâmes vers Carpentras,
ville située à 3 lieues, en cheminant tout au long d'une plaine
agréable. Nous pénétrâmes dans Carpentras et
allâmes jusqu'à la place centrale où se trouve la caserne de la
Garde Royale.
En effet, cette ville abrite de nombreuses compagnies de garnison chargées de
garder la porte et les murailles. Il y a abondance de denrées de tous
types bien que le pain et le vin se distinguent. Au milieu de
la place, il y a une jolie fontaine avec de l'eau en abondance. Il y a quantité
de citronniers aussi nous en achetâmes quelques fruits comme
apéritif quoique nous ouvrir l'appétit ne fut pas nécessaire
le plus souvent. En quittant Carpentras, nous allâmes déjeuner à Monteux
(Monte pour Laffi), un endroit en aval de Carpentras
possédant une bonne enceinte fortifiée et des soldats gardant la porte.
Après le repas et, une fois la visite du bourg terminée, nous
cheminâmes droit dans la plaine jusqu'à Entraigues
(Entraigues-sur-la-Sorgue, Triangue pour Laffi), à
deux lieues de Carpentras. Il s'agit d'un château-fort installé
sur un gros rocher, avec une muraille pas très haute mais bien faite et de bons
bâtiments, notamment le palais seigneurial et de magnifiques jardins.
Le Seigneur du lieu distribue en espèces au pèlerin qui va en Galice de
quoi se nourrir.
Nous continuâmes à marcher dans cette plaine et sur ses chemins qui
s'étirent longuement sur deux lieues jusqu'à
notre arrivée à la belle ville d'Avignon (Avignone pour Laffi).
Le vent, maître continuel de cette terre, était terrible. Et les habitants
d'Avignon nous dirent que, si une année le vent habituel ne souffle pas,
l'année suivante, on ne récolte rien, ni moissons, ni fruits. D'ailleurs
le proverbe latin repris par de nombreuses personnes dit bien
"Avenio ventosa, sine vento venenosa" et c'est certain :
Avignon venteuse, sans vent empoisonneuse.