ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE

Voyage au ponant, à Saint-Jacques de Galice et Finisterre à travers la France et l'Espagne.

de Domenico Laffi

traduction de José Martinez-Almoyna ©

De Narbonne à Toulouse

En arrivant à Narbonne, on nous demanda quel était notre pays et où nous allions. Nous répondîmes Italiens et Bolognais et en Galice. Ils nous laissèrent passer et, en pénétrant dans cette ville, nous circulâmes autour d'une haute et puissante muraille dotée de puissants bastions et demi-lunes avec revêtements de pierres équarries et chemin de ronde sous palissade. Nous passâmes sur un pont grand et long jeté sur le fossé qui aboutit à la demi-lune. Il y a là une garde renforcée de soldats qui nous demandèrent nos noms et prénoms ainsi que notre patrie. Ensuite, ils nous laissèrent passer à l'autre pont qui mène de la demi-lune à la porte de la ville qui est superbe, toute en marbre blanc, avec des inscriptions antiques qui prouvent son édification par Rome. Cette porte est fortement protégée avec des herses et ponts-levis. Le dernier est à l'intérieur avec poste de gardes, il se soulève par un système de grues et s'abaisse à l'aide d'une grande roue qui vaut la peine d'être vue. En entrant, nous allâmes directement à la place par des rues étroites pleines de monde et bordées de nombreuses boutiques. Une fois parvenus sur la place, nous fîmes une pause pour la voir car elle est superbe bien qu'un peu petite. Ensuite nous partîmes nous procurer des aliments dans une boutique portant le nom de Cabaré où on vendait du bon vin et où nous nous désaltérâmes. Nous retournâmes ensuite à la place et plus tard nous allâmes vers le port, très beau et rempli d'embarcations de commerce qui vont et viennent sur ce grand fleuve qui débouche sur la mer Méditerranée. Nous nous promenâmes ensuite en ville, visitant de nombreuses églises et de nombreux couvents qui contiennent de belles peintures d'artistes éminents, notamment les Capucins qui possèdent un beau Basario. Il y a de grands couvents où on distribue généreusement des aumônes aux pèlerins. Il y a aussi deux bons et grands hôpitaux offrant l'hébergement. Il faut pour cela, ce que fit notre compagnon romain, aller chez le Consul pour obtenir un bon. Il porte son cachet. On le présente au gérant hospitalier qui vous reçoit et vous attribue un bon lit. C'est une ville assez grande, très belle et ancienne, entourée de fortes et hautes murailles en marbre blanc car il y en a en quantité. Elle se trouve dans une plaine avec de nombreux palais, anciens et modernes, avec de belles fontaines qui distribuent de l'eau en abondance. Il y a deux marchés où on vend des légumes et des fruits en tout genre et beaucoup de poisson ; bref ils sont bien achalandés. De plus, il y a une très célèbre Université, l'une des soixante-quatre déjà citées.

Après avoir parcouru toute la ville, nous allâmes à notre refuge où nous mangeâmes. L'après-midi étant avancée, nous dînâmes ensuite pour peu d'argent car ils ont les choses à si bon prix qu'on ne peut en dire davantage. Au matin, nous allâmes à la cathédrale et ensuite au Palais Episcopal pour faire timbrer notre crédenciale. On nous fit attendre un peu et, après le timbrage, on nous donna le produit de la quête de la messe. Nous descendîmes ensuite à la cathédrale, mais le sacristain ne voulu pas nous laisser célébrer la messe car nous n'étions pas en soutane. Il nous nous donna aussi le produit de la quête d'une messe. Il nous dit d'aller dans un couvent quelconque où nous pourrions dire la messe. Nous sortîmes de la cathédrale par la porte du Palais Episcopal qui est un édifice de grande hauteur, semblable à San Petronio de Bologne. Il est accolé à la cathédrale et le tout ne semble constituer qu'un seul bâtiment si grand qu'on le perçoit d'une distance de plusieurs lieues. Il y a un grand escalier ovale en colimaçon tout en marbre blanc. D'en bas, il monte tout en haut du Palais et, au milieu du vide central, il y a deux grosses et hautes colonnes qui, de même, vont de bas en haut de l'édifice et supportent un grand arrondi qui sert de plafond à l'escalier. Très ancienne, la construction comporte plusieurs ordres, tout en marbre blanc, à l'extérieur comme à l'intérieur. La cathédrale aussi est en marbre avec de nombreuses inscriptions antiques qui montrent que cette ville fut puissante avant et après les romains. Nous sortîmes donc de la cathédrale et nous dirigeâmes vers les Carmélites où je dis la messe. Ensuite nous partîmes au marché et achetâmes de nombreux fruits, puis au refuge pour déjeuner. Postérieurement nous prîmes nos baluchons et allâmes à l'hôpital récupérer notre compagnon qui nous attendait comme convenu. Il prit lui aussi son baluchon et nous quittâmes Narbonne vers Villedaigne, à deux lieues de Narbonne. Il y a ici une grande rivière que nous franchîmes sur un bac, sans rien payer. Sur l'autre rive, le passeur nous proposa de déjeuner dans sa taverne car au delà nous aurions un bon bout de chemin sans maison ni auberge. Nous restâmes, de plus depuis notre sortie de Narbonne, il y avait une bonne moitié de jour que nous n'avions mangé. Il nous prépara une salade et rien de plus, ce qui nous coûta six sous et le vin, dix. Tout ça en contrepartie de la traversée de la rivière «sans payer». Une fois l'appétit satisfait, mais non comblé, nous partîmes vers Lézignan (Lézignan-Corbières) à une distance de trois lieues, marchant dans la plaine où un vent terrible nous surprit. Il nous laissait à peine avancer et nous allions du mieux que nous pouvions. Nous dûmes attacher nos chapeaux sur la tête sinon le vent les eut emporté. Nous avançâmes ainsi toute la journée avec le vent qui nous tapait au ventre et qui était affreusement froid. Nous parvîmes finalement à Lézignan dans l'après-midi.

C'était un large endroit entouré par deux cercles de murailles, proches l'une de l'autre au point qu'un homme pouvait à peine passer au milieu. À l'extérieur, elles ont des douves et un contre-fossé remplis d'eau. Nous fîmes un tour sur place mais comme il se faisait tard nous demandâmes à un franciscain où nous trouverions une bonne auberge. Il nous répondit qu'il n'y en avait pas de bonne car le coût de la vie était élevé et qu'il vaudrait mieux sortir de la ville et gagner les faubourgs où on ne payait pas autant. De plus, ça nous conviendrait mieux si nous voulions partir tôt car on ouvrait relativement tard les portes de la ville. Nous suivîmes son conseil et allâmes dans le faubourg, à l'auberge du Cheval Blanc où nous logeâmes confortablement bien que ce fût cher. Je crois que cette région est le refuge, mieux, la résidence de la vie chère et je ne dirai rien du pain et du vin qui résultent plus cher qu'avoir un frère (chez soi) mais je vous dirai une chose pour que vous compreniez que je dis vrai. Un plat de tripes, comme disent les Florentins, qui ne comporte que quatre pattes d'agneau, au dessous du genou, nous coûta vingt sous de France qui correspondent à quarante de chez nous.

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Il y avait là deux pèlerins français qui se dirigeaient vers Rome. L'un d'eux jouait du violon et parlait en latin sottement avec mon compagnon. Celui-ci faisait son possible pour comprendre son baragouin qui, de plus, sonnait de façon extravagante. Nous lui laissions entendre qu'il jouait très bien et que, s'il allait en Italie et en particulier à Rome, il aurait beaucoup de succès car il n'y avait sur place personne qui ne jouât si bien un tel instrument et lui se rengorgeait et disait qu'il était le meilleur violoniste qu'il y avait dans sa région, chose que nous convînmes et ainsi nous l'obligeâmes à jouer toute la nuit et l'hôtelier ne pût fermer l'œuil. Quand il jouait, il était comme un véritable imbécile sans jugement, prenant des pauses accompagnées de cris et de gémissements tel un animal. Ainsi nous passâmes toute la nuit et, au petit matin, nous partîmes pour Carcassonne, à trois lieues de distance.

Le vent à nouveau commença à souffler, pire que la fois précédente, de manière que tantôt nous marchions dans un creux, tantôt sur une croupe, perdant une demi journée sans nous rendre compte que nous avions égaré mon compagnon. Il avait traversé des collines et était parvenu à un château appelé Capendu où il s'était arrêté pour manger. Ensuite, songeant à nous retrouver, il demanda comment rejoindre Carcassonne. Moi, par un autre chemin, avec le Romain, nous rejoignîmes une ferme pour manger, chose qu'ils ne nous firent pas payer. De plus, au moment de partir, ils nous offrirent un fromage et deux beaux pains nous demandant de prier Dieu pour eux. Nous finîmes par les quitter en leur demandant le chemin de Carcassonne qu'ils nous indiquèrent courtoisement. Nous marchâmes la journée entière à travers la campagne et les plaines cultivées couvertes de belles cultures de maïs. L'après-midi était avancée quand nous arrivâmes à Carcassonne qui est la première ville du Languedoc. Pour y parvenir, on franchit un grand pont de pierre très beau à voir. En levant les yeux, nous vîmes notre compagnon appuyé sur le pont mangeant des fèves fraîches. Contents, tous nous courûmes à lui pour l'embrasser et ensuite, nous fûmes mélancoliques toute la journée, la première et la suivante. Pour nous égayer nous allâmes là où il avait trouvé à loger et y fûmes contents, nous racontant notre voyages respectifs. Le matin, nous nous promenâmes dans Carcassonne, ville fortifiée, riche et commerçante, remplie de boutiques comme je n'en ai jamais vues de ma vie, tant et si bien décorées. Il y a un beau et vaste marché où abonde tout ce qui est nécessaire pour vivre. En son milieu figure un portique de forme carrée où se tient le marché aux grains et aux légumes avec toutes sortes d'unités de mesure.

Après une petite promenade en ville nous sortîmes par la porte qui conduit à Castelnaudary qui est à cinq lieues de Carcassonne. Avant d'y arriver on passe par trois bons villages. En fin d' après-midi nous parvîmes à ce château qui est grand comme une ville, avec des fortes murailles, douves et ponts-levis. Nous nous dirigeâmes vers la cathédrale mais nous ne pûmes y célébrer la messe bien qu'on nous y donna le produit de la quête. On nous dit d'aller chez les Carmélites, où ensuite nous pûmes célébrer. Il y avait foule car c'était la Pentecôte. À la fin de la messe, en quittant l'autel, revêtu des habits de célébration avec le calice entre les mains, on me fit aller jusqu'aux tombes des morts pour réciter le De Profundis et autres prières. Je dus recommencer de sépulture en sépulture avec les parents présents qui ensuite me versèrent une aumône, en plus des offrandes diverses déposées à l'autel. Nous allâmes ensuite à la sacristie d'où nous sortîmes chacun de notre côté et vîmes comment les autres prêtres faisaient la même chose sur les mêmes tombes. De cette église nous allâmes au marché et achetâmes quelques fruits pour ensuite gagner l'auberge. Je crois qu'entre le l'aumône de la quête et celle donnée sur les tombes on arrivait à un total d'un écu.

Le petit-déjeuner fini nous partîmes vers Villefranche (de Lauragais), à trois bonnes lieues puis nous continuâmes le voyage en passant par Villenouvelle et Baziège, en quatre lieues et où, le soir venu, nous logeâmes. Ce fut assez coûteux parce que, ici,tout était très cher. Le lendemain matin, nous célébrâmes la messe chez les Observants (moines pour une observance stricte de la règle, primitive franciscaine par exemple) avec la même scène que la veille d'aller sur les tombes mais nous ne collectâmes pas grand-chose cette fois, en raison de la vie très chère ici, comme j'ai déjà dit. Ayant déjeuné un peu, nous sortîmes vite hors les murs pour nous échapper de cet endroit si pauvre en marchandises et si riche en misère. Nous nous dirigeâmes vers Montgiscard à deux lieues. Ici, on commence à marcher le long du Nouveau Canal (note) qu'a fait construire le roi de France pour réunir les deux mers, c'est-à-dire l'Océan, coté Angleterre, et la Méditerranée. C'est un superbe canal qui supporte les bateaux marchands de toute tailles. Ainsi nous cheminâmes durant les trois lieues (20km) qui séparent Montgiscard de Toulouse.

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