Le sac fait 12,6 kg avec les derniers objets. Départ vers 10 h 45. Je passe chez les dominicains signaler mon départ : sourires polis, rien d'autre. J'apprendrai à ne pas être le sujet du
jour. Je passe au cimetière : séquence émotion. A Fâches-Thumesnil, je croise un petit beur souriant.
Dialogue :
− Tu pars en camping ?
− Je vais en Espagne à pied
− À côté du Maroc... C'est loin... (Admiratif)
− Combien de kilomètres, tu crois?
− 100 ?
− 10 fois plus... Je pars en pèlerinage.
L'enfant ne connaît pas le mot. Il me suit. J'entre dans un magasin acheter 2
pommes. Il rentre aussi, c'est chez lui. La première étape de mise en jambes devait s'achever à Seclin. L'hôtel est fermé
et je suis en forme. Je poursuis. Je marque une pause à Camphin où une voiture se gare : on me propose de l'aide. Je
n'en ai pas besoin, mais j'ai été repéré comme pèlerin : déjà ! L'observateur est un petit bout de femme de plus de 60 ans :
Saint-Jacques, c'est son projet pour l'an prochain. Des amis à elle sont déjà partis cette année. Nous échangerons nos
coordonnées. Danielle suivra le périple des autres pèlerins. À Carvin, les 2 gendarmes ne peuvent me renseigner sur
les hébergements. Je passe à la mairie : pas aimable l'hôtesse chargée de me renseigner. Heureusement il y a son
collègue. Rien d'autre que Parc Hôtel au bord de l'autoroute. Budget explosé.
Carvin-Lens sous un ciel noir, comme l'environnement. Dans ces conditions, la route parait interminable. Je croise des travailleurs du Maghreb ainsi que des Africains : eux aussi ils marchent beaucoup, sans équipements adaptés. Première montée éprouvante à Vimy. Je sors pour la première fois mes bâtons. Ils ne me quitteront plus. Pause dans un cabaret à Thélus : la gérante est à l'image de sa région, elle fait la gueule, et des clients de penser "qui c'est celui là". Je reprends la route encore très longue pour une deuxième journée, j'emprunte par erreur la voie rapide, difficile pour un piéton. A Sainte-Catherine-les-Arras, je m’arrête dans un gîte. Toutes les chambres sont occupées. La grand-mère sympa m'offre un jus d'orange. Je continuerai jusqu'à la gare d’Arras, en "planté de bâton" devant les passants étonnés. Arrivée à l'hôtel : douche chaude, arnica, pommades et cachets. Dure, dure journée pour les pieds.
Une longue route rectiligne qui ondule dans la plaine de la Somme ; les faux-plats réveillent les sens. Les douleurs de la longue étape de la veille se font rudement sentir. C'est la troisième étape, une étape importante pour décider de la continuation du voyage : sublimer les douleurs des pieds et des jambes, les échauffements, les ampoules naissantes, et les débuts de tendinites. Heureusement le temps s'améliore, la température est idéale pour la marche et l'étape est relativement courte. J'arrive à l'hôtel dès 13 h 30 : c'est bien plus tôt que la veille. L'hôtel dont je serai à cette période de l'année l'un des rares occupants est sympa. J'aurai la surprise de voir Danielle se pointer en fin de journée avec les baumes réparateurs. Elle est venue, a vu, a soupé avec le pèlerin, puis est repartie à Lille. Il est vrai que l'on est seulement à 70 km. Ce soir, le ciel est rouge, les derniers nuages s'en vont, il fera beau demain.
Brouillard, longues plaines de la Somme qui ondule : les longs faux-plats sont éprouvants pour les muscles. C'est le troisième jour et j'espère que ça ira. Le chemin de Saint-Jacques, ce sera mon Everest à moi. Je ferai au mieux selon mes capacités. Je traverse les champs de bataille de 14/18, je dépasse parfois des cimetières militaires et leurs milliers de croix. Je me suis arrêté dans l'un d'entre eux d'où j'apercevais l'autoroute au loin : j'ai pris ma première photo. Plus loin, j'ai croisé un autre immense cimetière militaire avec son église. Le lieu est très calme, seuls les oiseaux chantent au milieu des arbres en fleurs, roses et blanches. J'ai écrit un message sur le livre de souvenirs. Quel contraste ! Il y eut l'enfer dans ce lieu de sérénité. Le soleil a percé le brouillard matinal. Il brillera jusqu'à Péronne où, épuisé à cause d’une très longue côte, je bois un coca avant de reprendre ma marche jusqu'à l'hôtel Campanile : accueil froid. La chambre proposée est monacale (derrière l’escalier). Pour 69 €, je refuse, et finis par obtenir une chambre au soleil : fin du jour.
Dès 9 heures, en route pour une marche assez courte. La journée s'annonce superbe, elle le sera. Comme chaque jour, durant une partie de la marche, j'écoute de la musique : ainsi hier j'entrais au son de la marche funèbre dans la Somme, j'enchaînais avec la sérénité de Karaindrou et la vivacité de Vioti. Aujourd'hui, l'ambiance musicale c'est Kusturica et l'Amérique du Sud : gaieté et chaleur : super. J'aurais pu prolonger la marche jusqu'à Roye, c'était la grande forme. L'étape prévue m'amène à Fransart chez Monsieur et Madame DE BOUTEVILLE : au petit château (qui rappelle un vieux bon souvenir BAISENCOURT). L’accueil est charmant et chaleureux. Deux couples de jeunes anglais se joindront à nous pour une soirée à la table d'hôtes autour d'un excellent repas durant lequel le maître de maison nous racontera l'histoire de la demeure et de sa famille de noblesse ancienne. Le château fut détruit durant la guerre 14/18, reconstruit et occupé par la Kommandantur en 40. La grande Histoire a ouvert les pages d'un livre d'anecdotes que notre hôte conte avec passion à ses invités. La soirée se prolonge jusque 23 h. Je regagne ma superbe chambre dont la fenêtre donne sur le parc et la campagne d'oú j'assisterai au lever du soleil. Formidable soirée-étape.
Nouvelle surprise au départ. Mes hôtes, au nom de l'accueil pèlerin, m'offrent le gîte, ne me demandent que le prix de la nourriture (20 €) : j'en pleure d'émotion. Le soleil s'est levé et la marche commence longue et dangereuse sur le bord de la nationale. Il y a 4 sortes d'automobilistes, 4 types : - le salaud (rare), il vous serre ou double à votre niveau ; très dangereux - le bête (en référence à la bêtise évoquée dans les chansons de BREL), celui qui ne s'écarte pas - le normal, celui qui s'écarte peu avant de vous croiser - le prévenant, celui qui met son clignotant : seul ce dernier vous aide vraiment en ne cassant pas le rythme de votre marche. En chemin, je m'arrête à TILLOLOY pour me restaurer sur le bord de la route. Son maire, agriculteur, Gérard COMYN (63 ans) viendra me saluer. Il évoquera la colo d' Houplines (vieux souvenirs de Danielle). Les derniers kilomètres avant BELLOY sont interminables. La traversée de LATAULE, le petit village qui précède l'arrivée se fera sous les sarcasmes d'un Letaular (c’est ainsi que je l'appelle) qui me trouve ridicule avec mes bâtons de ski. À BELLOY, je suis reçu par mon hôte Thomas : ce chef d'entreprise (sérigraphie, 8 personnes) qui prendra peu de temps pour m'accueillir avec réconfort. Ses principales occupations sont ailleurs. Le repas du soir un peu léger.
Après le quart de pizza de la veille et un petit déjeuner un peu trop diététique, je suis reparti vers la RN17. Avec presque rien dans le ventre et très mal au pied gauche, la marche est difficile. Aucun regard au paysage qui, il est vrai, n'a guère de charme. Je ne m'intéresse qu'à mes pas, une, deux. Un pied devant l'autre, un kilomètre ça use ! Une, deux, une, deux, le bruit des moteurs dans les oreilles, le vent violent que dégagent les camions qui me croisent, une, deux, encore un pied devant l'autre... Je marche moins vite sur l'herbe, mais c'est moins dangereux, une, deux, encore un pied devant l'autre. Épuisé par ce régime, j'arrive dans ESTRÉE-SAINT-DENIS, village rue, et je m'arrête à la pizzeria/resto italien où l'énorme assiette de pâtes bolognaise me rendra mes forces. C'est le premier vrai repas que je prends le midi depuis mon départ. Bien m'en a pris, la deuxième partie de l'étape du jour sera parcourue sans difficulté. Il faut entretenir sa forme. En fin d'après midi, j'arrive à l'hôtel du Marais, juste après avoir franchi l'Oise. Le bruit incessant de la nationale qui passe devant l'hôtel ne m'empêchera pas de plonger dans un sommeil profond.
Départ vers 9 heures en oubliant ma carte bleue à l'hôtel. Je devrai revenir la chercher. Ça rallongera mon étape de quelques kilomètres... quand je m'en serai aperçu. Entre temps, en passant devant la mairie encore fermée, je rencontre par hasard Mme SEIGNEURGENS, ex-pèlerine de Saint-Jacques, qui m'invite chez elle pour boire un bon café ; son mari me confie la carte de la forêt de CHANTILLY. En saluant mon départ, il aura 2 remarques que j'aurai le temps de méditer : "vous avez de la chance" et "quand on a fait Saint-Jacques, on relativise tout". Bon départ à travers la forêt. Le soleil traverse les feuillages : je suis accompagné de LOUSSIER qui PLAY BACH et par le chant des oiseaux , un aperçu du paradis. C'est le pied, même si ces derniers me font encore un peu mal (surtout le gauche). A la sortie de la forêt, ce sont les longues plaines et les prairies, les golfs et terrains de polo qui nous mènent à CHANTILLY. Le décor, c'est l'opulence, la froideur ou l'indifférence des gens rencontrés. Les automobilistes souvent dans leur très grosse berline sont à classer dans les catégories 1 et 2. J'emprunte sur une mauvaise indication un détour qui rallonge sensiblement la fin de mon parcours. Je dois couvrir près de 5 km en plus. A cause de la fatigue, le moral est atteint. Puis c'est la rencontre avec ce marcheur alerte accompagné de son chien dont je constate qu'il n'aboie pas à l'inverse de tous ceux que j'ai croisés depuis SAINTE-MAXENCE. Ils avancent 2 fois plus vite que moi, ils étaient loin derrière, ils me dépassent. J'ose provoquer : " je viens de LILLE et je vais à COMPOSTELLE, l'étape est longue, et je me traîne". J'ai saisi la réponse de l'homme au pas de charge, du tac au tac : "y'en a qui en ont encore". Cent mètres plus loin, il s'arrête et m'attend. Notre conversation durera les trois kilomètres qu'il me reste à faire jusqu'à mon hôtel : elle sera l'une des plus passionnantes de mon pèlerinage. Monsieur MAGNIEN est un homme remarquable : écrivain et poète de 63 ans, une sorte de BERNANOS ; ancien proviseur, il a la prose rythmée des grands auteurs et démontre un réel talent. Il dit ses textes de mémoire... Il me raconte, c'est magnifique. Cette rencontre perdurera puisque aujourd’hui, je communique encore avec lui. Ragaillardi, j'arrive à proximité de l'hôtel. L'office de tourisme me tend les bras ; j'y serai très mal reçu, ainsi qu'à l'hôtel. Décidément CHANTILLY n'est pas une ville pour les pèlerins. Même à table, le plat unique servi me restera sur l'estomac. Demain sera un autre jour. J'ai appris 2 choses aujourd'hui : la montre est inutile quand on marche au soleil. Mon ombre me renseigne sur les heures. En forêt, on peut se guider sur les numéros de parcelles.
Le repas de la veille à la sauce espagnole fut difficile à digérer. Départ 9 heures sur la nationale que je ne quitterai pas avant mon arrivée à Villiers. Épouvantable entre Luzarches et Écouen. Bruit permanent du flot continu de véhicules qui à 99,9% vous croisent sans dévier de leur axe d'un centimètre. À Écouen, j'en ai plus qu'assez et j'ai hâte d'arriver n'importe où. L'étape est prévue à Villiers-le-Bel. Passée la côte après Écouen, je découvre toute la cuvette parisienne et, dans le fond de brume de toutes les pollutions, je distingue la tour Eiffel. Les ailes me reviennent et je retrouve une bonne allure, mais elles seront vite brûlées par l'enfer de la banlieue parisienne. Rude chemin.
J'ai craint cette journée que je voyais encore plus noire que la veille. Il en fut tout autrement. Dès la sortie du bourg, sur le pont, une 405 s'arrête : son chauffeur africain propose de m'emmener à PARIS. Il a dû voir mon état délabré. Je ne marche pas, je boite. Je refuse en invoquant mon pèlerinage. Plus loin, les gens me saluent avec respect : j'en déduis qu'ils "sentent" le pèlerin. Plus loin encore, j'échangerai mes surprenants "salamalecum" contre des "malécumsalam" chaleureux. Un marcheur couvert d'une chéchia m'accompagnera quelques pas et me proposera une cigarette. Le chrétien et le musulman échangeront en anglais quelques mots sur les trois religions du livre : nous sommes faits pour nous respecter et nous aimer. En traversant SAINT-DENIS, je rencontre sur un banc SYLVIE, octogénaire bien valide ex-adepte des pèlerinages à vélo dans les environs de PARIS jusqu'en Normandie. A l'époque, le but était de se trouver un bon mari : elle en eu trois dont le souvenir ne semble pas l'épanouir. Sa petite fille qui a connu son époux lors d'un pèlerinage à LOURDES semble avoir mieux réussi. Elle me réclame une prière à Saint-Jacques ; j'y penserai. Ma route me fait longer une partie du grand stade de France. Je vais franchir les périfs et rentrer dans PARIS. Sur ce no man’s land, je ferai la seule rencontre faussement chaleureuse d'un "touriste" roumain palpeur et chasseur de trésor que je finirai par écarter avec fermeté. Commence la traversée de PARIS. Je rejoins l'histoire dans la longue rue Saint-Denis, à la tour Saint-Jacques en réfection, à Notre-Dame interdite aux porteurs de sac à dos (risques d'attentat oblige). Je traverse Saint-Germain. Je me rends vers la rue de Suffren proche de la tour Eiffel où je logerai chez mon frère. Je me suis arrêté avant pour souffler dans un square : VELPO, c'est de circonstance, j'ai mal partout. Les deux dames assises sur le banc qui me fait face semblent sourire de ma tenue. Je leur adresse la parole (c'est fou ce que cette longue marche solitaire me donne envie de communiquer !) et explique en long et en large mon aventure. Elles sont prolixes en questionnements, d'abord sarcastiques, puis curieux, puis attentifs. Notre conversation dure mais nous devons partir. J'arrive enfin devant l'immeuble de mon frère. J'attendrai le retour de ma belle-sœur sur le banc d'en face. Les retrouvailles sont chaleureuses. Nous dînerons avec Édouard et Isabelle. La soirée se prolonge jusque 23 h 30. La nuit sera courte et il pleut.
Départ sous un ciel bas qui le restera toute la journée, comme le moral. Je traverse la deuxième moitié de PARIS vers la porte d'Orléans, puis vers ANTONY. Des automobilistes s'arrêtent, mais pour demander leur chemin. Un panneau indique L'HAŸ-LES-ROSES. Ce n'est pas ma route, mais ça me fait penser à envoyer un beau bouquet à Danielle pour son anniversaire. Je prends la direction de CHILLY-MAZARIN et je passe au bout de l'aéroport d’ORLY. Toutes les deux minutes, un avion décolle juste au dessus de ma tête. Je me trompe de direction et je pénètre dans CHILLY-MAZARIN. J'en fais tout le tour avant de me rendre compte de la situation de l'hôtel que je dois rejoindre. J'ai allongé mon parcours de plus de 7 km en boucle. En fait, je reviens en arrière. Je devrai refaire une partie du chemin demain. C'est épuisant, déprimant et ça me semble interminable. Au final, je rejoins l'hôtel BED qui porte bien son nom. Je m'allonge sur le lit et je ne bougerai plus jusqu'à demain. Triste journée, malgré le petit mot sympa d'encouragement de Bernadette que j'ai trouvé au fond de ma chaussure ce matin avant de partir.
L'étape sera longue et j'avais besoin d'un bon sommeil et d’un petit déjeuner copieux : ce fut le cas. Départ à 8 h 30, le long de la nationale 20 que je ne veux plus quitter malgré le danger et le bruit incessant de peur de rallonger ma route. J'avance, il faut compenser le retard de la veille. Vers 10 h 30, je rencontre un cycliste qui va en sens inverse. Philippe DEGIRARD (c’est son nom) m'interpelle : "Vous partez pour Saint-Jacques... J'en étais sûr, vous avez l'allure". Lui rejoint BERLIN à 120 km en moyenne par jour : c'est un sportif. J'ai encore 26 km jusqu'à Étampes, c'est jouable, mais c'est dur, compte-tenu de mon état physique et des conditions de marche en grande partie sur le macadam. J'ai dépassé Arpajon. Me voilà engagé sur une montée qui me paraît interminable "marche, marche". Je scande ce leitmotiv quand la fatigue me surprend : "marche, marche" et me voilà hurlant à tue-tête "1 km à pied, ça use, ça use,1 km à pied ça use énormément...", et je scande "allez, allez, allez Jean-Pierre, encore 100 mètres... allez, allez" et il y aura toujours 100 mètres et 100 mètres "allez, allez". Je souffre terriblement des pieds quand j'arrive à Étampes. D'un bout à l'autre, j'aurai marché le long de la nationale, parfois à deux voies pour arriver au premier hôtel que je verrai à une sortie. En téléphonant à Danielle, je ne pourrai m'empêcher de gémir sur mes maux de pieds. Ouf c'était une journée très dure. Je pense que demain devrait être une étape plus courte et plus agréable, car Danielle vient me rejoindre.
Départ sans joie ; à la sortie de l'hôtel, je rejoins la nationale qui est devenue une voie rapide balisée par des murs antibruit. Horreur, me voilà coincé entre le mur et les véhicules qui me croisent à vive allure ; je risque à tout instant un accident. Certains automobilistes me saluent d'un signe qui veut bien dire "cinglé" ; ils ont raison, mais c'est trop tard, je n'ai plus le choix, un retour sur mes pas serait encore plus dangereux ; il faut avancer "une, deux, allez, allez". Le corps et l'esprit sont tendus au maximum. C'est épuisant et le moral est atteint. Le bruit me devient insupportable et je décide d'abandonner l'enfer de la nationale à Monerville. C'est par Pussey et les départementales que je rejoins Angerville où il est prévu que nous nous retrouverons avec Danielle. Je retrouve un peu de calme et de sérénité. En chemin, je croise un jeune paumé, Julien. Il veut rejoindre sa jeune compagne à Étampes : il est sans rien et très mal chaussé. Nous partagerons de l'eau et une partie de mes provisions. Près d'Angerville, Danièle me rejoint : les retrouvailles sont émouvantes ; nous avons les larmes aux yeux. Le gîte d'Angerville est fermé et nous devons aller jusqu’Artenay. Je craque, je n'y arriverai jamais. Danielle m'encourage ; heureusement qu'elle est là justement ce jour-là. Elle calme mon désespoir et trouve les mots d'encouragement qu'il faut. Je finis l'étape et nous verrons demain : rentrer ou continuer. Arrivé à l'hôtel d'Artenay, je suis au plus profond du découragement. La soirée morbide sera compensée par la présence de Danielle et la nuit sera bonne conseillère.
"Je continue". Depuis ce jour, j'ai une maxime nouvelle : "ne jamais décider le soir, toujours attendre le lendemain". Et maintenant, je la répète souvent. Non seulement la nuit porte conseil, mais surtout elle permet de retrouver ses forces et son esprit lucide. Et puis Danielle était là : elle avait senti la nécessité d'être présente au cours de ce trajet difficile entre Paris et Orléans. Elle m'a redonné le courage et la confiance nécessaire pour poursuivre mon chemin (et peut-être pourquoi pas avec le concours de saint Jacques dont on affirme qu'il protège le pèlerin !). La présence réconfortante de mon épouse fut de plus bien utile : le pèlerin allait pouvoir échanger son lourd sac à dos de randonneur pour un sac de promeneur le temps d’une journée ; c'est toujours ça de pris. C'est ainsi que je suis reparti le cœur et le corps plus léger pour Orléans. Étape reconstituante, presque reposante où je retrouve le moral, hors de la route nationale : j'emprunte la route de campagne, et je traverse même des bois. Sous le soleil, je parcoure les 25 km qui me séparent de la cathédrale au centre de la ville mythique. En chemin, je longerai quelque temps le trajet du monorail de l'ingénieur Bertin, et je croiserai quelques promeneurs et quelques cyclistes aux sourires encourageants. Je m'arrête à la cathédrale, puis au centre ville, un peu déçu de constater qu'Orléans n'a pas su garder une âme que Jeanne d'Arc avait éveillée. La ville n'a guère d'attrait : le centre est sale et triste ; la population fort mélangée. J'ai l'impression de me trouver dans une ville de banlieue parisienne : des grands immeubles zonards et un centre commercial monstrueux en centre ville. Quel mauvais goût d'architecture ! J'achève cette étape tranquille en retrouvant Danielle dans un hôtel du centre ville. Le moral revient, le beau temps s'en va.
Je quitte Orléans par le pont de la nationale qui franchit la Loire. Le bruit des véhicules est infernal. Sur le pont, je suis frappé par le vent qui se renforce. Je passe par Saint-Mesmin et je me retrouve sur une route de campagne. Je longe la Loire. Le cours est impétueux, les courants provoquent des remous, et les vagues frisent blanches. Le vent d'ouest souffle en rafales et il sera le principal obstacle de la journée. Froid et puissant, il arrivera à me déséquilibrer. Je passe à Meung-sur-Loire et je me dirige le long du sentier vers Beaugency où j'arrive vers 17 heures. C'est une belle petite commune oubliée sur la rive droite de la Loire. Halte au syndicat d'initiative et nuit à l'hôtel des Vieux Fossés, sans étoile. Les nuages gris éclatent et il va pleuvoir toute la soirée et toute la nuit. Je ne sortirai pas de l'hôtel et je mangerai tous mes fruits secs pour le repas. Mes pensées se teintent d'une grande solitude. Le chemin n'a en ces temps rien de chaleureux.
Après une nuit très longue, je reprends la route par le chemin qui longe la Loire. Celle-ci tremble des remous et du froid ambiant. Le ciel reste sombre et, comme il a plu toute la nuit, je contourne les flaques. À un moment, j'emprunte un mauvais chemin qui m'amène au niveau du fleuve qui gonfle et qui commence à déborder dans les marais où je m'embourbe. Je finis par casser un de mes bâtons. C'est un avertissement et je préfère revenir en arrière pour retrouver le bon chemin. Je ne m'étais même pas rendu compte du danger réel auquel j'étais en train de m'exposer à ne pas vouloir faire marche arrière. Je retraverse la Loire à Mer. Je progresserai plus vite vers Montlivault. En chemin, je subis ma première averse de grêle. Engoncé dans ma cape, je suis bien protégé. Le temps se rétablit un peu à mon arrivée à Montlivault. Il n'est pas encore 16 heures et l'étape sera longue et profitable. L'accueil des hôtes est charmant. Monsieur travaillait dans les arts graphiques à Paris. Je rencontre 2 couples de Vienne (en France) en visite des châteaux de la Loire. Les échanges sont sans grand intérêt et je préfère regagner ma très mignonne chambre.
Petit déjeuner en compagnie de mes retraités de standing. Adieu chaleureux de mes hôtes qui semblent regretter de n'avoir pas passé la soirée qu'avec moi. Le chemin qui longe la Loire trop haute est impraticable. Je dois franchir quelques obstacles avant d'arriver à Blois. De la rive où je marche, j'ai une vue superbe sur les édifices de la ville. Passé Blois, je rejoins la route-digue qui surplombe en longeant la Loire. Pénible et interminable me paraîtra cette partie d'étape exposée en plein vent de nord/ouest dans un temps gris et glacé. La température tombe sous les 6 degrés. Je désespère d'arriver à Condé-sur-Beuvron que je n’aperçois jamais. C'est enfin après un virage que je découvre le pont, le château et l'entrée du village. Le gîte au bout, plus loin encore, après le camping, en haut de la montée. L'accueil d'une femme très sympathique me fera vite oublier le froid et la fatigue. Madame l'horticultrice sert ses clients pendant que Monsieur est encore aux champs. Ce couple de paysans pratique la polyculture et un peu d'élevage. En découvrant ma chambre, je découvre aussi une richesse livresque inattendue dans cet environnement fermier. J'apprendrai que Madame est une ancienne enseignante qui a abandonné l'école pour rejoindre son mari paysan. Leurs 5 enfants diplômés ont tous des situations de choix. Le soir au dîner où l'un des fils, Baptiste MARSEAULT (rattaché à l'éducation nationale et au sport, il occupe un poste similaire à celui de mon beau-frère : le caractère rare de la fonction, un par département fait qu'ils doivent se connaître - comme le monde est petit!), nous a rejoint, nous aurons une conversation très riche sur les sujets les plus divers. Ce sera l'occasion pour moi de découvrir un monde paysan que j'étais incapable de soupçonner : riche intellectuellement, cultivé, ouvert, travailleur, généreux, d'une conscience économique qui m'est apparue bien supérieure à celle que l'on connaît chez nos élites urbaines. Je ne regretterai pas cette excellente soirée qui me rappelle, dans un autre genre, celle passée chez les DE BOUTEVILLE. Ces rencontres me consolent des difficultés et m'apportent le courage de continuer. Ainsi qu'aux DE BOUTEVILLE, je promettrai d'envoyer des nouvelles dès mon arrivée à Compostelle, si "Dieu le veut".
Après un petit déjeuner complet aux confitures maison avec mes 2 paysans très cultivés, je reprends la route cap au vent et à la pluie. Je passe Chaumont, Rilly, je m'arrête à Mosnes devant l'église fermée, comme toutes celles qui sont sur la route. Je profite un instant du seul rayon de soleil de la journée qui n'arrivera pas à me réchauffer. J'ai même froid et je préfère marcher. L'étape est courte et j'arriverai bientôt après une rude montée dans mon refuge du soir. L'accueil empressé et distant me donne l'impression que je dérange. Les quelques réflexions sur des pèlerins "randonneurs sportifs" parcourant plus de 40 km par jour de 5/6 heures du matin à 18/19 heures le soir ont pour incidence de décourager le pauvre pèlerin au rythme lent et douloureux que je suis. Je trouve que de telles remarques ont un effet très négatif sur le moral, et j'en fais part au téléphone à Danielle. Elle fera la leçon à mon hôte qui s'excusera en me disant : "faites votre chemin à votre rythme et méditez". Sa femme ajoutera "et soignez vos pieds, la route est encore longue". Comble de banalités. Le dîner que je prendrai seul sera aussi indigent. Une étape à oublier.
Ciel bas, moral bas. La journée commence devant le café et la fenêtre qui s'ouvre sur un ciel très chargé (à CHARGÉ). Sous le ciel bas et lourd, les pas sont aussi lourds. C'est la période de la lune rousse et des saints de glace. J'arrive à Amboise par le camp VVF. J'ai été très bien guidé par un autochtone et j'ai le plaisir de plonger mon regard sur la ville en descendant l'escalier qui va me conduire jusqu'au centre qui commence à s'animer avec l'arrivée des touristes. J'achète mon deuxième appareil photo jetable. Et je repars sur la route. Première rencontre d'un pèlerin... sur son vélo. Andréas Wolf est de Francfort vers l'ex-Tchécoslovaquie. Pour lui aussi, je suis le premier pèlerin rencontré sur le chemin. Ça mérite une photo. Chacun immortalisera l'autre sur son appareil. Rencontre furtive mais si importante et symbolique. La route reprend et j'ai le sourire. Je monte sur Lussault-sur-Loire. Je respire l'air humide où se mêlent les effluves de feux de bois et de lilas . J'ai programmé la musique du "patient anglais", merveille des sens. Sous la pluie, le vent et le froid, j'avance sous ma cape, la capuche en hublot : me voici escargot, bien protégé dans ma maison sur ma tête. Je suis bien. J'arrive ainsi à Montlouis sur un air de Bach ; c'est à pleurer de joie. Le problème, c'est que ce jour est férié, que tout est fermé et que mes hôtes n'ont rien prévu. Aussi je me contenterai comme dîner de manger les quatre pâtisseries que j'aurai trouvées dans la seule boulangerie ouverte. Mes hôtes sont à l'écoute de mon récit, et la soirée est agréable devant la cheminée. La nuit sera parfaite dans cet environnement calme et enchanteur.
Petit déjeuner parisien en compagnie de deux jeunes touristes américains et leur bébé. Quelques photos devant la maison avec pour horizon la Loire et au delà le vignoble de VOUVRAY : magnifique panorama. Je m'attarde. Il est passé 10 heures quand je reprends le chemin, mais sur de mauvaises indications d'orientation données par des automobilistes (et pour cause !), je me retrouve sur la route principale qui mène à Tours. Je "rate" les petits villages dont le charme m'aurait permis d'apprécier cette journée de marche. Au lieu de ça, à moi le fossé qui pue à ma gauche et les voitures qui foncent à ma droite. La tête dans les épaules, le regard vers le sol, je marche et parviens dans la banlieue de Tours en traversant la zone industrielle et commerciale où a lieu la foire. Du monde distant, sans chaleur : pas un signe, pas un regard amical, pas un geste fraternel de la part de ces tourangeaux. Est-ce cette raison qui me fait éviter le centre ville ? Je préfère traverser le CHER en furie sous un ciel menaçant et m'écarter de la ville. Le moral est redescendu assez bas pour que je me fasse une opinion négative sur la population locale. Elle me paraît à cet instant si égoïste, si bourgeoise et si antipathique que je ne m'étonne pas qu'elle ait élevé au rang de "Saint" un certain Martin qui n'a donné que la moitié de son manteau pour un pauvre... Triste fin de journée avant de trouver un hôtel en pleine zone commerciale. Je dois être un des rares occupants du week-end.
Petit déjeuner complet; c'est une faveur des hôtels. Je fais quelques courses à AUCHAN et dans la galerie marchande avant de reprendre mon trajet le long de la nationale 10. J'ai une dizaine de kilomètres à faire dans ces conditions. J'ai remisé ma cape car le temps s'améliore nettement. Arrêt devant l'office de tourisme de Montbazon. J'y rencontre deux quinquas chaleureux et curieux. Avec l'un d'entre eux, la conversation tourne à l'essentiel. Pour lui l'"athée", le chemin serait une bonne expérience de volonté et de découverte. Pour moi, dont la Foi repose sur l'idée que "Dieu est un postulat pour tous les hommes de bonne volonté, car la plus grande injustice du monde serait que Dieu n'existe pas", le chemin est d'abord un témoignage de cette Foi et un rappel d'appartenance à une longue tradition religieuse. Mon interlocuteur, ex-professeur de droit, citant Galabru "si Dieu existe, je lui casserai la gueule pour tout ce qu'il laisse faire", met fin au débat en me souhaitant bonne route. Poignée de main franche et sincère. Je continue l'esprit divaguant sur toutes les réponses que j'aurais pu donner. Plus loin, je m'arrêterai sur le bord de la route : assis le nez au niveau des roues des voitures qui passent, le concret reprend le dessus. Il reste encore du chemin à faire pour arriver à l'étape et je reprends ma marche solitaire. J'arrive chez Marie Thérèse Audenet et ses 75 ans qui me reçoit chez elle. Séjour encombré d'objets et de bibelots hétéroclites dominés par une statuette de Vierge bleue et transparente. Les murs sont remplis de photos de famille et de gravures. Bric-à-brac d'une vie simple. Ma chambre au premier étage donne sur le jardin aux poules, au linge qui sèche, au tracteur remisé et à la vieille voiture. J’apprends qu'un drame s'est déroulé la veille. Le gendre s'est suicidé il y a deux jours dans sa baignoire. Leur fille étant décédée depuis deux ans, trois enfants sont orphelins. Malgré ces évènements terribles, on m'accueille comme un fils et j'ai le privilège de partager la table du couple retraité. La soirée ne sera pas morbide ; la vitalité de Claude, le mari de Marie-Thérèse me laissera un souvenir inoubliable. Le secret vient peut-être des bienfaits de la soupe aux orties que, pour ma part, je dégusterai ce soir pour la première fois. Claude a un rêve : faire le chemin à vélo, au moins jusque Roncevaux. Rien d'impossible pour cet ancien chasseur alpin et, un temps, ouvrier de ferme au Canada ; la dure, il connaît, et les histoires, il sait les raconter : un plaisir à écouter. J'apprendrai ce soir-là l'histoire des "fermiers de ville" qui fournissaient le lait dans les grandes agglomérations, l'histoire des grands parents, fermiers et bonnes du château d'USSÉ, l'histoire des communes aux deux églises juste séparées par une rivière, etc. La nuit avance et il est temps de se coucher.
Petit déjeuner : le bric-à-brac est sur la table, et le pain, le beurre et la confiture. Mes hôtes ont fort à faire, même si les parents lyonnais du "suicidé", "beaucoup plus intelligents que nous", s'occupent des obsèques. Les adieux seront rapides. A 8 h 30, je me retrouve sur la route de Compostelle. Deux groupes de Hollandais à vélo me rejoignent : mères et fils viennent d'UTRECHT, les autres de EIDHOVEN ; "buen camino". Les petites routes me conduisent à Sainte-Maure, mais c'est sur la nationale 10 que je trouverai un hôtel simple et correct avec un WC au fond du couloir pour 9 chambres. Bonne nuit de sommeil pour compenser la veille.
Déjeuner un peu léger vers 7 h 30. Départ matinal dans un temps de novembre. Ciel infiniment bas et froid au point que je devrai remettre ma capote. C'est la musique qui me réchauffe toute la journée. MAILL, LA CELLE-SAINT-AVANT, PORT-DE-PILES où je serai rattrapé par un cycliste Canadien qui, lui, roule vers ROME et qui m'apprendra que certaines fermes de la région appartiennent à d'anciennes familles Acadiennes revenues au pays chassées par les Anglais après la vente du Canada. Je passerai près de la commune de DESCARTES où les parents du philosophe éponyme ont vécu. Il est sans doute né dans une ferme près d'ici, ses parents possédant quelques propriétés dans la région et à CHATELLERAUT. Lui a principalement vécu en Suède et en Hollande après ses démêlés avec les autorités. Je passe par LES ORMES dont les charmes ne sont malheureusement pas mis en valeur et j'arrive à DANGÉ-SAINT-ROMAIN sous le soleil qui finalement fera son apparition. C'est une belle petite commune. Je franchis le pont sur la VIENNE et je rejoins ma chambre d'hôte dans une superbe maison qui borde un étang entouré d'un magnifique jardin. Le propriétaire des lieux s'est inspiré du tableau de Claude MONET "les nymphéas" pour réaliser ce petit chef d’œuvre. C'est dans ce lieu d'inspiration poétique que je passerai une très bonne soirée en compagnie de mes hôtes.
Après les confitures du petit déjeuner à toutes les sauces (tomates, courges, betteraves rouges), je reprends la route. Je souhaite faire une longue étape vers Saint-Cyr, car je me sens en pleine forme après une bonne récupération. Mais dès le départ, j'ai mal au pied, et cela ne va pas se calmer : je souffre et j'ai froid. Je dois remettre mon pull. Cette journée qui s'annonçait sous les meilleurs auspices commence par une matinée bien triste et mon moral chute brutalement. Mes pensées divaguent durant les 10 km qui me séparent de CHATELLERAULT. Je me remémore la réflexion de cet écrivain rencontré à Chantilly : "ma croix, c'est de n'avoir jamais été édité". On ne maîtrise pas le destin. Il faut savoir accepter : heureux ceux qui font confiance à la providence ! L'accueil sympathique à l'office de tourisme de Châtellerault recharge un peu mon optimisme chancelant. J'ai visité la ville qui évoque beaucoup Descartes, l'enfant du pays, et aussi Rabelais, né à Chinon, et La Fontaine qui y est passé. L'église Saint-Jacques qui dut être magnifique reste assez belle. D'après un ancien marin qui m'a accosté, son carillon serait sublime. Il paraît que, tous les jours, des pèlerins sont de passage. Je n'en ai encore pas rencontré un seul : où sont ces invisibles ? Le soir à l'hôtel IBIS, je mange une choucroute. À mon insu, le chemin devient buissonnier, et j'en éprouve quelque désenchantement.
Le jambon du petit déjeuner et le temps qui s'éclaircit me donnent des ailes : Nerbin, Naintré où deux Hollandais à vélo me dépassent, Saint-Cyr, Dissay. Le temps s'assombrit de nouveau et se refroidit, mais le moral est bon, à l'inverse du jour précédent. Magnifique château-fort à Dissey : je fais une halte devant l'église. Encore un Hollandais volant. Fin de la course à Saint-Georges à l'hôtel des Sports. "Combien de kilomètres aujourd'hui ?". Qui parle de pèlerinage ? Vivement plus bas. J'aurai quand même vu le site du vieux Poitiers et celui de la bataille de 732. Sur la route de Saint-Cyr, j'ai récupéré 2 balles de golf en bordure du terrain. Un joli coin.
Je fais l'ouverture du bistrot avec le patron de l'hôtel pour le petit déjeuner et je me mets en route pour une excellente étape sur le chemin qui domine toute la région. Au loin, le Futuroscope. Rencontre sympa avec 2 autochtones : séance photo. Le chemin commence à être balisé avec quelques coquilles. Pour moi, c'est très encourageant. Enfin me revoilà pèlerin. J'arrive à Poitiers en franchissant le Clain : visite du tombeau de sainte Cunégonde, reine wisigothe. Je rejoins le centre ville où je m'attarderai quelques heures. Poitiers est une ville agréable. La remise en route est plus difficile : j'ai mal au pied gauche. Dommage, ça me gâche un peu le plaisir de la journée qui s'achève dans un hôtel à la sortie de la ville. Deux surprises au resto : à la table à côté, le présentateur télé JP Pernaud s'installe avec son équipe. Je n'oserai pas l'aborder, mais je saurai plus tard qu'il évoquera dans ses journaux télé qu'il fera des reportages sur les pèlerins de Saint-Jacques. La deuxième surprise, c'est la rencontre avec mon premier pèlerin piéton. Je l'ai reconnu à son allure et à sa démarche douloureuse et boitillante. Claude, la soixantaine passée, vient de Hollande. Il est parti en même temps que moi et a parcouru près de 150 km de plus : quel rythme jusqu'à ce jour! Il reconnaît qu'il faiblit un peu : ses ongles de pieds sont noirs et il souffre. Sa motivation : un challenge avec Arcelor, son employeur. Objectif : atteindre Santiago, voire Fatima avant fin juillet. Arcelor lui promet un chèque de 25000 euros s'il parvient à Compostelle et 50000 euros à Fatima. L'argent servirait pour une bonne cause : le financement du développement d'automates que sa fille a mis au point pour donner un peu d'autonomie aux personnes qui cumulent le handicap énorme d'être sourds/muets/aveugles. Je lui souhaite de réussir. Il me présente son crédencial couvert de beaux tampons. Il a été accueilli aux étapes une bonne dizaine de fois gracieusement et il est heureux de ces contacts. Il part le matin vers onze heures et marche jusque 19/20 heures. Il est fier d'avoir déjà parcouru 700 km et, comme il le dit d'une façon très imagée, "pissé sur la moitié de la France". Il compte passer par Angoulême, ce qui lui semble plus direct. Nos chemins divergent puisque j'ai moi-même décidé de passer par Saintes.
Je suis parti dès 8 h 30. Le soleil est présent durant toute l'étape qui se déroule sans anecdote particulière. Il est 15 heures quand j'arrive au camping de Lusignan où je décide de monter ma tente. Je mets une heure à l'installer avant de me plonger dans la rivière. Je suis sur le territoire de Mélusine, la fée qui se changeait en serpent chaque samedi. Je passerai une belle nuit sous le ciel étoilé au cœur d'un pays de légendes.
Je quitte mon camp vers 8 h et remonte vers le bourg. Dure cette montée, éprouvante cette journée sous la canicule. Je suis rattrapé par 5 Belges à vélo suivi d'un camping car de ravitaillement. Eux aussi font le chemin pour une cause moyennant rémunération. Séance photo pour leur site internet. Je passe près de Sainte-Soline, martyre brûlée qui laisse un prénom rare et charmant. Je m'interroge sur ces tombes que je vois dans les propriétés entre Saint-Saurant et Lezay. J'apprendrai le soir à l'étape qu'il s'agit de sépultures protestantes. Elles rappellent le temps des guerres de religions. Catholiques et protestants ne vivaient pas ensemble, même la mort ne pouvait les rassembler. Je suis en plein pays huguenot qui subit les dragonnades sous Louis XIV et le duc de Montmorency. Je dormirai sur les terres de ce dernier, au lieu dit "le château", à l'emplacement de celui disparu. Les douves qui subsistent marquent la limite de la propriété des Boisseries qui sont mes hôtes de la soirée. Je suis dans une ancienne bergerie du 18ème qui a de très beaux restes. On produit dans la région le délicieux fromage Chabichou. Une étape en pleine nature, réconfortante, indispensable pour une bonne récupération. J'ai besoin d'un nouveau souffle.
J'ai dû finir mon "pain du voyageur", l'étouffe-chrétien acheté la veille (500 gr de pâte fourrée d'amandes, de fruits confits, de raisins, etc.) pour rallonger mon petit déjeuner un peu léger avant de repartir. J'ai mis mon short et juste un tee-shirt. Il fait très chaud ; heureusement que le chemin est souvent ombragé. J'arrive à CHEF-BOUTONNE vers 15 h. Le Perrier citron du bar du Centre est le bienvenu. Durant cet arrêt, le patron qui s'intéresse à l'histoire du pèlerinage me rapporte l'anecdote suivante : en sortie de forêt d'Aulnay, les pèlerins de l'époque se faisaient détrousser par des bandes organisées dans un lieu qui prit le nom de GATEBOURSE. J'ai prévu de rejoindre le camping pour ce soir. En route pour les 2 km à faire. Celui-ci est en fait un lieu réservé aux Anglais qui y occupent des mobile homes en location. On ne peut pas m'en mettre un à disposition car on les a préparés pour un groupe de danse qui doit arriver. Je m'en retourne donc au centre du bourg, au bar que j'ai quitté. Il fait aussi hôtel, je ne m'en étais pas aperçu ! Il y a un nombre impressionnant d'Anglais dans la région, les bars sont des pubs et on retrouve partout un style assez "british". Il est vrai que nous sommes presque en Aquitaine, une province qui fut longtemps soumise à l'Angleterre, et les liens semblent toujours exister. A part avec le patron du bar, je n'ai pas d'autre contact. Le fait que j'arrive de Lille à pied n'étonne que moi-même. Ce soir, je me sens pèlerin très solitaire.
Déjeuner léger. La patronne n'est pas très aimable. Il est 9 heures, il fait déjà chaud. Sur le chemin, je vois la nature changer. Les champs de colza (ceux dont l'odeur est la plus forte) perdent leurs fleurs fanées, les blés commencent à montrer leurs épis. Certains champs sont déjà moissonnés. Les arbres ont développé toutes leurs feuilles, les coquelicots sont magnifiques, il y a beaucoup d'insectes et en particulier des beaux papillons. Tous les animaux sont dehors. La ballade est très agréable. Je passe Crézières où tous les gens disent "bonjour". J'arrive en vue de GATEBOURSE : pas de bandit à l'horizon. J'arrête moi-même un automobiliste surpris. Je lui conte l'histoire des malandrins qui surprenaient les pèlerins. Nous immortalisons la scène en la photographiant, devant le panneau à l'entrée du village au nom évocateur de GATEBOURSE. Première photo : je suis habillé et le sac au dos, les mains en l'air. Deuxième photo : je suis presque nu, détroussé ! L'histoire amuse Emmanuel : il est intermittent conteur dans les écoles. Quelle aubaine pour lui qui pourra compléter ses récits avec cette aventure ! Après CHANTEMERLIERE, la route monte vers le CHIRON. Il est 16 h et le soleil est au plus fort. La route a la dureté du béton. Je suis content d'arriver à l’étape : 2 grands jus de citron pour m'accueillir, une très belle table d'hôte et un accueil sans faille. Ma chambre domine toute la plaine et la campagne. La vue est imprenable. Un lieu propice pour se reconstituer.
Voilà un mois que je suis parti : 1/3 du pèlerinage accompli entre les mains de Dieu. Deux œufs au petit déjeuner qui compenseront le manque de pâtes la veille. Je prolonge la matinée avec mes deux hôtes charmants. Il est passé 9 h 30 quand je repars . C'est trop tard, il fait déjà très chaud. La course en plein soleil est pénible jusqu'à AULNAY. Je serai récompensé en découvrant la splendide église romane du lieu. J'arrive juste au début de la messe à laquelle j'assiste. C'est le jour de l'Ascension. L'après midi, j'aurai encore 15 km à parcourir. Je traverse de beaux petits endroits : la Cressionière, Oulne, Nuaillé, Saint-Pardoult. J'arrive à ANTEZANT-la-CHAPELLE . J'y loge chez d'autres paysans. Au Chiron, ils pratiquaient la polyculture, ici c'est l'élevage. On ramasse les foins pour les bêtes. On trait les vaches et les brebis. L'activité déborde : lever 5 h, fin du travail, 20 heures. J'en suis témoin, et malgré cela l'accueil est formidable. J'aime ces gens. Après un repas consistant, je rejoins ma chambre pour une nuit de rêves.
En forme pour le départ à 8 h 30. Le chien de la maison me suit. Il m'accompagne sur près de 3 km. Je dois rappeler son maître qui viendra le récupérer en voiture. J'arrive à SAINT-JEAN-D'ANGÉLY qui dut son développement au moyen-âge pour avoir détenu la relique du chef de saint Jean-Baptiste. La ville continua à se développer au XVIII et XIXème siècle grâce au cognac. La ruine succéda à cette prospérité à cause du phylloxera. C'est aujourd'hui une ville paisible où les gens sont accueillants. Je flânerai quelque temps aux abords de la place. J'ai préféré reprendre la grande route pour rejoindre SAINT-HILAIRE DE-VILLEFRANCHE, la large bande de gravier permettant au marcheur d'avancer sereinement. L'accueil de la chambre d’hôte dans la rue du presbytère ne déroge pas de la tradition chaleureuse que j'éprouve dans cette région. On m'indique ma chambre décorée pour une jeune fille. Le lit, à l'ancienne, est très haut. J'y passerai une très mauvaise nuit sur un matelas trop mou et instable. Auparavant, j'aurai dîné en compagnie de tout un groupe et en particulier d'un jeune couple parisien venu se tester quelques jours sur les chemins de Saint-Jacques.
Je retrouve le jeune couple de la veille sur le chemin remarquablement balisé dans la région de MELLE à SAINTES. La fille souffre des pieds, mais le chemin jusque SAINTES est court : 15 km. Malgré la nuit difficile, je marche bien grâce au temps idéal : soleil et petit vent rafraîchissant. Il n'est que 12 h quand j'arrive à SAINTES. Un véhicule m'aborde pour me signaler la présence d'un "logis du pèlerin" à Saint-Eutrope. Comme j'ai du temps, je traverse la ville en visitant tous les lieux intéressants : bords de la Charente, Abbaye-aux-Dames, les thermes, et enfin Saint Eutrope. Le gîte est déjà plein quand j'arrive. Je retrouve mes 2 Parisiens et enfin des pèlerins à pied : 2 Canadiens qui sont partis de PARIS et une de Poitiers. Des pèlerins à vélo sont également arrivés. Ce monde est pour moi un véritable encouragement. Ce soir pourtant, je devrai trouver un autre gîte pour la nuit. L'hôtel Au bleu Nuit fera l'affaire : j'y ferai la rencontre de gens du Nord fort intéressés par mon périple.
Départ à 8 h 30. Je rattrape à la sortie de SAINTES le jeune couple Guillaume et Hélène. Nous marchons ensemble jusqu'à BERNEUIL. Lui est très grand, elle s'accroche à son pas immense, moi aussi. Il nous entraîne sur le chemin qui domine le plateau d'où la vue embrasse tout l'horizon. Au loin, les champs, les bois et les hameaux, devant à environ 600 m, nous distinguons nos Canadiens reconnaissables à leurs bâtons de marche. Vers 11 heures, nous nous séparons, ils retourneront sur SAINTES reprendre leur train pour PARIS après ce bol d'air en pays charentais (j’aurai de leurs nouvelles à mon retour de Santiago : 1 an après, leur pèlerinage est encore un projet futur). Seul je continue. Je m'arrête plus tard vers midi. Au moment de repartir, je suis rejoins par mes 2 Canadiens, Pierre et Annie qui s'étaient écartés du chemin pour pénétrer dans les vignes. Nous poursuivrons ensemble. En fait j'emboîte leurs pas, je dirais même plus, je cours derrière. A partir de cet instant, j'apprendrai à marcher plus vite. C'est à marche forcée que nous atteindrons PONS tôt dans l'après midi. Je me décide à rejoindre le camping : encore fermé, la saison commence plus tard. En ce dimanche, il n'y a qu'un hôtel ouvert. J'y retrouverai Pierre et Annie. Jusqu'à ce jour, je ne me suis guère aventuré hors de mon gîte, dès celui-ci atteint. Bonne douche ou bon bain, repos, repas et nuit de sommeil. La forme physique s'installant peu à peu, je commence une autre vie après celle du chemin : touriste des villes ou villages étapes. PONS est un superbe bourg plein de charme et d'histoire, hors des grandes zones de tourisme de masse. C'est d'ailleurs ce qui me plaît dans cette région de Charente où il doit faire bon vivre. PONS fut un grand centre protestant. Deux personnages illustres font la gloire du lieu : Agrippa d'Aubigné, poète protestant que l'histoire retiendra aussi pour avoir été le grand-père de Mme de Maintenon et Émile Combes, l'anticlérical, principal artisan de la loi de 1905 qui sépara l’Église et l’État. Je rejoins les deux autres pèlerins pour l'apéritif. Cette belle journée m'a rendu euphorique et bavard. Nous parlerons longtemps. Comme ces rencontres sont riches !
Au lendemain de cette belle étape, à 8 h 30, je suis en route vers Saint-Genis-de-Saintonge sous le soleil. Devant moi, j'aperçois Isabelle, l'ex-Lilloise partie de Poitiers. Je la rejoindrai dans le bourg. Cette ancienne de Leroy-Merlin a pris une année sabbatique et le chemin marque une nouvelle vie. Nous poursuivons le chemin. Nous discuterons durant toute la course qui nous emmène vers MIRAMBEAU. Ma compagne est une excellente marcheuse et le rythme est excellent grâce à une petite brise rafraîchissante. Cette longue étape se fera dans les meilleures conditions. C'est au presbytère de Mirambeau que je laisse Isabelle. Je descends à l'hôtel de l'Union où je suis rejoint plus tard par mes deux Canadiens. Eux aussi jugeant l'étape prévue de Saint-Genis trop courte ont préféré atteindre Mirambeau.
Me voici en marche pour Étauliers, premier objectif de l'étape. En sortant de MIRAMBEAU, je prends à gauche le chemin le plus court. Passages par monts et par vaux. À Boisredon, je me trompe de route et je rallonge de quelque kilomètres. Je longe l'autoroute en bordure des vignes, déjà les Côtes de BLAYE (prononcer BLAï). J'arrive à ÉTAULIERS trop tôt à mon goût, et le bourg n'a rien de très réjouissant. Je décide donc de poursuivre jusqu'à CARTELÈGUE que j'atteins assez rapidement ; c'est la grande forme depuis quelques jours. En empruntant la piste cyclable remarquable, je dépasse sans m'en rendre compte le dernier hôtel dans lequel j'ai retenu une chambre. Je referai en sens inverse les deux kilomètres de trop. Sans les détours de la journée, j'aurais pu rejoindre BLAYE. Qu'à cela ne tienne, je suis bien accueilli dans l'hôtel. Toute cette journée, j'ai humé l'odeur des pins et des fleurs qui annoncent le Sud.
Je profite du déjeuner proposé dès 6 h. Mon plan est de rejoindre BLAYE avant 10 h pour le passage du bac. C'est presque au pas de course que je me lance sur les 11 km qui me séparent de mon objectif. Deux heures suffiront pour atteindre BLAYE. J'ai même le temps de passer à la pharmacie avant de rejoindre le bateau. Quel plaisir de voir le fleuve et d'embarquer ! Quelle surprise de retrouver une fois de plus mes compagnons pèlerins. Isabelle, Pierre et Annie viennent d'arriver sur le ponton. Ils sont à BLAYE depuis la veille. Après la traversée du fleuve, nous ferons route ensemble jusque ARCINS. Là, les Canadiens préfèrent se rapprocher de la côte. Ils veulent emprunter le chemin du Nord en Espagne, celui qui longe la mer. Isabelle et moi nous séparerons à Soussans. J'ai prévu d'arrêter à MARGAUX, elle continue jusque LE-PIAN-MÉDOC où elle sera accueillie chez les religieuses. Je dois admettre que depuis quelques jours, je n'ai plus trop l'esprit au pèlerinage, je suis de nouveau happé par le monde. J'ai calculé ma route, j'ai écouté les infos, j'ai évoqué la Bourse au téléphone avec mon neveu qui prend souvent de mes nouvelles, les vieux instincts des affaires me reprennent. L'étape de MARGAUX sera sans doute le fait le plus marquant cet attachement encore profond. Danielle a obtenu un prix de 65 euros pour une soirée étape dans un hôtel de luxe. Je ne serai pas déçu. Environnement privilégié en plein milieu du vignoble, suite en guise de chambre, repas "étoilé" arrosé de Margaux, frigo plein de douceurs. Aucun supplément ne me sera réclamé pour cette soirée exceptionnelle. Le patron était tellement surpris et admiratif devant ce visiteur étrange qu'il a fait cadeau de tous les suppléments. Bon souvenir.
Je veux arriver à Bordeaux aujourd'hui. Ce sera une assez longue étape, aussi j'éviterai le détour par Blanquefort. J'emprunte la route des châteaux qui porte bien son nom. Je traverse tout le domaine de MARGAUX. Les vignes sont superbes et remarquablement entretenues : SIRAN, MACAU, LUDON-MÉDOC, PAREMPUYRE. Je tangente BLANQUEFORT, j'arrive dans la périphérie de BORDEAUX. Je rattrape les grands boulevards (les octrois comme on les nomme ici), certaines personnes m'abordent et m'assaillent de questions parce que je porte la coquille de pélerin de SAINT-JACQUES (je l'ai accrochée à mon sac depuis BLAYE). Je retiens en particulier cette petite femme d'un certain âge à vélo qui a fait le chemin depuis PAMPELUNE il y a une dizaine d'années et qui en garde un souvenir impérissable. La traversée de BORDEAUX est longue pour parvenir jusque GRADIGNAN. À l'étape, j'aurai parcouru 37 bons kilomètres. Pas de solution économique pour me loger. C'est à l'hôtel du "chant lyrique" que je passerai la nuit. Tant pis pour mon budget.
Petit déjeuner léger avant de partir, à la parisienne : baguette, beurre, confiture. En route pour le BARP. Je passe devant le superbe prieuré de Cayac et sa statue de pèlerin. Séance photos. J'entame la forêt des Landes en partie dévastée par la tempête de 1999. Devant, le chemin infiniment rectiligne. Un autre marcheur me suit, je l'attends. C'est Isabelle. Je l'attendrai et nous continuerons l'étape ensemble. A deux, il est moins ennuyeux de faire ce type d'étape. Nous chanterons à tue-tête quelques cantiques dont elle me fournit les paroles. Soutenus par le rythme, nous atteindrons le BARP assez tôt dans l'après midi. Nous apprenons que les Canadiens y sont aussi arrivés. Nous sommes en plein pays basque. Les gens parlent entre eux la langue du pays. Le soir, au repas, les serveurs portent tous le béret basque. Bordeaux est déjà loin, mais il reste encore un long chemin à parcourir dans la monotonie du paysage landais. J'irai me coucher tôt ce soir en pensant à ce paysan que nous avons croisé et qui nous à demandé d'avoir une pensée pour lui et les siens dès notre arrivée à la cathédrale de Compostelle.
Départ sous le soleil comme les jours précédents. Je serai seul pour cette étape. Je suis avec précision le chemin conseillé. Il n'y a rien d'autre à l'horizon que la forêt clairsemée. J'éprouve une très grande solitude à ne rencontrer aucune âme qui vive. Le chemin est sablonneux et gris à cause des incendies. Par une journée si chaude, on peut les craindre. J'angoisse à l'idée qu'il pourrait s'en produire et que je serais dans l'impossibilité d'y échapper. C'est avec soulagement que je finis par rejoindre une petite départementale qui longe l'autoroute. Le flot de voitures est un soulagement. Après cette longue marche fatigante, j'arrive enfin à l'hôtel que j'ai choisi car il dispose d'une piscine où j'ai hâte de me plonger. Douche rapide dans la chambre, maillot de bain, serviette. Je traverse le hall devant les touristes surpris de me voir dans cette tenue. Qu’importe, je cours au bain... Horreur, la piscine est encore bâchée. Je retraverse le hall sous les yeux narquois des résidents. La baignade n'est pas encore au programme de la saison. J'irai faire la sieste. Les 2 Canadiens arriveront vers 19 h. Nous prendrons notre premier repas ensemble ; jusqu'alors ils m'avaient semblé un peu distants. Ce jour, nous communiquerons chaleureusement. Qu'on le veuille ou non, le chemin rapproche les hommes. Nous nous quitterons bien après 22 h.
La pluie tombe depuis cette nuit. J'ai mis ma cape au dessus de tout. Après quinze minutes de marche, la bourrasque est si violente que je suis contraint de me mettre à l'abri des ruines d'un hôtel qui a brûlé l'an dernier. Je m'équipe pour affronter les intempéries. Je mets mes guêtres dont je pensais ne jamais avoir besoin. Elles furent très utiles durant cette étape. Une étape d'"abandon". C'est ainsi que je définirai ce genre d'épreuve à dater de ce jour : des conditions climatiques épouvantables, un paysage sans intérêt, pas âme qui vive, pas un lieu d'accueil, pas un monument, pas un abri. Un randonneur abandonnerait, pas un pèlerin. Bien sûr, je râle, j’éructe, je crie ma lassitude, mais j'avance. A LIPOSTHEY, je trouve un abri où je tente de faire sécher mes vêtements : peine perdue. Je réenfile l'ensemble mouillé pour reprendre le chemin, long, trop long. Enfin j'arrive à LABOUHEYRE, je passe par l'église où je fais halte pour la Pentecôte et je me rends ensuite au seul hôtel ouvert. Je n'avais osé retenir la veille au téléphone tellement la propriétaire m'avait semblé peu accueillante. Elle paraît aujourd'hui un peu mieux disposée. J'aurai quand même le boire et le manger. Il est tard quand les 2 Canadiens arrivent. Notre discussion tourne autour des motivations du pèlerinage. Eux sont en quête, et moi en témoignage ; je marche 3 mois pour LUI dont je postule l'existence, et je suis sur les traces de nos ancêtres qui avaient la Foi du charbonnier. Nous regrettons les uns les autres de ne pas rencontrer beaucoup de pèlerins. Le chemin de Tours est encore peu fréquenté, mais nous avons l'information que chaque jour un pèlerin nous suit et qu'un autre nous précède. Le pèlerinage est une chaîne sans fin dont nous sommes un maillon, un immense ruban ininterrompu sur lequel s'inscrit une église en marche depuis des siècles, un chemin d'Espérance. Demain, faute de pouvoir trouver un gîte à ONESSE, je me détournerai vers MORCENX.
Le petit déjeuner ne sera servi qu'à 9 h. Étrange hôtel où le service offert dépend de l'humeur de sa propriétaire. Ce matin, elle est maussade et le petit déjeuner tardif aussi : 3 ronds de baguette, 10 grammes de beurre, une dose de confiture individuelle. C'est un peu juste pour un pèlerin. Comme d'habitude, les Canadiens ne sont pas encore levés. Je repars seul. Sur la place où je cherche mon chemin, j'entends une voix qui m'interpelle "hello, Jean-Pierre". C'est Isabelle. Elle préfère longer la nationale 10 ; comme je vais sur MORCENX, nos voies se séparent de nouveau. Malgré sa relative brièveté, cette étape me paraîtra interminable. Je marche sans plaisir. Heureusement je suis accompagné par les chansons de Jacques Brel : j'ai pu écouter toutes ses chansons durant ces 2 jours. Je me remémore mes étapes françaises, et je commence à distribuer des cartons évocateurs : rouges, oranges, verts. Je commencerai même par un rouge "fluo" pour l'accueil lamentable de l'office de tourisme de CHANTILLY. Les cartons rouges iront à l'habitant de LATAULE qui me trouvait "ridicule" avec mes bâtons et à l'hôtel d'ONESSE fermé aux pèlerins pour cause de festivités du premier mai (c’est d'autant plus regrettable qu'il est indiqué dans le livret édité par RANDO : une publicité qu'il ne mérite pas). Carton orange à la ville de MARGAUX qui n'offre aucun banc sur la place de la mairie et de la poste, pour y attendre l'ouverture des bureaux et aussi à l'hôtel Le Chalet Lyrique, le trois étoiles de Gradignan dont le petit déjeuner est indigne de la catégorie. A l'opposé, carton vert "fluo" pour l'accueil remarquable de la famille De Boudeville à FRANSART, cartons verts pour l'office de tourisme de SAINT-JEAN-D'ANGELY. En ce qui concerne les régions traversées, j'ai été conquis par l'accueil entre Poitiers et Saintes, et déçu de celui de la région que je traverse, les Landes. En ce moment, marcher, c'est un vrai boulot. Avant de rejoindre MORCENX, je passe dans un lieu peu banal. SOLFERINO : isolées dans la lande, quelques maisons bien rangées de chaque côté d'une église. Je m'arrête devant un arbre de mai qui marque souvent dans la région un évènement. En l'occurrence, il a été planté par le nouveau propriétaire de l'endroit qui m'expliquera l'histoire du lieu. L'empereur Napoléon III possédait de nombreux hectares dans la région, et c'est d'ici qu'est parti la "construction" de la forêt des Landes. Un bourg fut créé à cet effet. Il prit nom SOLFERINO en l'honneur de la victoire éponyme. Les anoblis de l'époque napoléonienne qui participèrent à l'aventure, reçurent en ces lieux des privilèges fiscaux encore en vigueur à ce jour. J'ai appris que le baron Sellières, président du MEDEF, faisait partie de ces heureux élus. Curieuse anecdote. Cette rencontre instructive me redonnera le courage de poursuivre mon chemin dans cette morne plaine boisée jusque MORCENX. Tout est fermé dans le bourg, c'est le week-end de Pentecôte. Les portes de l'hôtel s'ouvrent grâce à ma carte bleue. J'aurai un sandwich pour dîner, et rien d'autre à faire ce soir que d'aller me coucher.
Petit déjeuner dans la chambre et départ dès 7 h 30, sous le crachin qui durera toute la journée. Je marche pressé de changer de région. Vivement DAX et les Pyrénées pour changer de décor. Ce midi, je décide de manger dans un restaurant à l'entrée de RIONS-LES-LANDES. À la table d'habitués de ce routier sans prétention, je suis rejoint par un retraité bavard et curieux. J'apprends que dans le bourg sévit Maïté, la reine des recettes culinaires télévisuelles. Le restaurant de "celle aux amygdales très développées", selon l'expression imagée de mon interlocuteur sert "une cuisine pas mieux qu'ailleurs, sauf l'addition". Le bouche à oreilles fonctionne vite ici . Un pélerin de Saint-Jacques ! Je suis invité à boire le café par Christophe dans son bar du BOSQUET. L'ancien pèlerin, heureux de cette rencontre, immortalisera l'instant en nous faisant photographier bras sur l'épaule devant la prestigieuse tête de taureau qui orne le mur de son établissement. Le ventre plein, je repars sur le chemin humide. Je reste trempé jusqu'aux os. Arrivé à LALUQUE, je serai le seul client de l'hôtel du lieu. Le chauffage est coupé. Je resterai mouillé demain. Le chemin, c'est mon Everest à moi ! Aller jusqu'au bout par orgueil, par fierté. Mon travail, c'est de marcher. Marcher, c'est témoigner, c'est exprimer ma Foi. Et puis, quelle remise en forme !
J'enfile les vêtements et les chaussures encore humides de la veille car il faut y aller. Encore une étape morne et sans relief. Je m'arrête 1/2 heure à Gourbera où j'espère voir arriver d'autres pèlerins, sans résultat. Un vieux m'observe à distance, sans répondre à mon signe "bonjour". Quel pays de sauvages ! Encore quelques kilomètres et j'arrive dans les faubourgs de Dax. Le temps se rétablit. Il est nécessaire de faire ressemeler mes chaussures dont les talons sont usés jusqu'à la corde. Le cordonnier me les promet pour demain matin. J'en profite aussi pour laver mes vêtements au pressing. Je resterai cette nuit à Saint-Paul-les-Dax, à l'hôtel du Rail sur la route principale près de la gare : un choix plus économique que confortable. Dax est une ville d'eau et les hôtels sont chers. J'irai au MAC pour le repas. Demain je projette une très courte étape. J'irai à l'autre bout de l'agglomération, à la sortie de DAX. Repos et remise en forme avant d'attaquer les Pyrénées.
De l'hôtel du Rail à l'Arayade, un centre religieux dont une partie, anciennement séminaire, a été transformée en hôtel quasi incontournable pour les pèlerins, il n'y a guère plus de 5 km. Arrivé bien avant midi, j'y dépose mes affaires et après m'être changé, je retourne en touriste au centre ville. J'aurai le temps de tout voir et visiter, en fait assez peu de choses. Je reviens assez tôt à l'Arayade où j'apprends qu'Isabelle est passée hier, quand j'étais à l'autre bout de la ville. Je la croyais derrière moi. Un autre pèlerin est là, mais c'est un cycliste venant de Nantes. Dès demain, il sera beaucoup plus loin que moi. J'attrape un coup de blues, j'ai l'impression de traverser le désert. Le temps me semble long. Demain sera un autre jour.
Petit déjeuner et adieux avec le pèlerin cycliste : il est 8 h 30. J'ai les encouragements d'une ancienne pèlerine à la sortie de DAX. Dès SAINT-PANDELON, le terrain perd sa monotonie. Ça monte, ça descend, ça zig-zague, ça traverse des champs, des bois, ça croise de jolis petits hameaux. C'est plus dur pour les pieds et les jambes, mais meilleur pour la tête que les Landes. Je prends mon pique-nique à LA CAGNOTE, sur un banc, devant l'ancienne abbaye, le lavoir, et l'église à l'étrange puits funéraire. En route vers PEYREHORADE, je cherche mon chemin . C'est Claude Lafargue qui me l'indiquera. Un paysan comme je les aime, vrai, chaleureux et cultivé. Il m'entraînera dans sa ferme pour m'offrir à boire. Il me racontera l'histoire de son pays, le pays d'HORTE, enclavé entre le BÉARN, CHALOSSE et le PAYS BASQUE, longtemps indépendant et fier d'avoir tenu tête à ses voisins puissants. Claude me fera visiter son pressoir à l'ancienne où il produit encore un vin "sauvage" dont l'intérêt reste d'être tiré des vignes dont les souches sont à l'origine de celles du Bordelais. Nos aïeux du XVIIIème, amateurs de vin, n'avaient ni notre goût, ni nos exigences. Ils appréciaient le vin rustique. Aujourd'hui, celui-ci n'est plus produit que pour les besoins familiaux. La route me conduit maintenant en direction de SORDE où je ferai halte. L'abbaye au bord du Gave, malgré les vicissitudes de l'histoire qui l'ont menée à l'état d'abandon, fait désormais partie du patrimoine mondial, et peu à peu retrouve quelques charmes d'antan. Sa réputation est due à ses immenses et exceptionnelles granges batelières. J'ai l'honneur, et surtout l'avantage, d'être le dernier visiteur de la journée et d'avoir le guide pour moi tout seul. J'aurai droit aux multiples histoires que les pèlerins du moyen-âge vécurent dans la région. Ils franchissaient le GAVE à SORDE et se trouvaient souvent victimes des passeurs véreux. L'abbaye se trouve juste en face de l'île aux kiwis appelée ainsi car on y produit ce fruit d'origine chinoise. Je me rends ensuite dans le gîte pèlerin du lieu. J'espère y retrouver d'autres congénères. En fait, je passerai la nuit avec 7 lits pour moi tout seul. Sur le livre d'or, un autographe laissé par Isabelle m'indique qu'elle est passée la veille.
Encore une étape difficile. En pleine chaleur et solitaire, je parcours plus de 30 km par des routes sinueuses, très vallonnées, et en plein soleil la plupart du temps. Heureusement que je croise quelques locaux avec lesquels j'échange quelques mots, en particulier à Saint-Dos et Escos. On m'offre de partager une bouteille d'eau fraîche qu'un paysan garde dans une glacière : ce sera bienvenu. Longtemps, n'ayant rencontré que peu de gens évoquant le pèlerinage, je me suis pris pour Forrest Gump, ce héros solitaire qui traversait les États-Unis d'un bout à l'autre, juste pour le plaisir et l'exploit. Aujourd'hui, on me parle de plus en plus du pèlerinage, mais je ne rencontre encore personne qui le fait. Aussi je me demande si je ne suis pas la vedette de Truman-show, ce personnage filmé à son insu dans ses moindre faits et gestes. "Réal tv : production Endemol. Les caméras suivent les faits et gestes d'un brave homme à qui l'on a fait croire qu'il existait une voie vers Compostelle depuis des temps immémoriaux, suivie aujourd'hui par de nombreux pèlerins. Nous lui avons inculqué l'idée qu'il est le maillon d'une chaîne ininterrompue depuis le moyen âge. Nous réjouirons tous les spectateurs de notre nouveau programme de reality show en suivant ses aventures décalées dans notre monde moderne". Ne serais-je pas l'Unique pèlerin ?... Il est 17 heures quand j'arrive à l'hôtel de la Paix à Saint-Palais. Il est confortable. Je n'ai plus le courage de ressortir. Je fais l'impasse sur la visite du musée du pèlerin, ce sera pour une autre fois. Demain l'étape est courte, mais c'est une première de reliefs prononcés. J'ai besoin de récupérer : bon bain, bon repas, bon sommeil. Le pèlerin que je suis ne peut se contenter de nourritures spirituelles. Pardon Seigneur !
Étape de "récompense". Après le petit déjeuner plantureux, je me mets en route vers 9 h 30. Je passe chez les moines de l'abbaye pour les saluer. Un jeune moine au style sportif aura le don de m'énerver en me disant avec un air de reproche que tous les pèlerins sont déjà en route depuis longtemps. Qu'importe, je fermerai la marche. Après le passage de la Croix de Gibraltar qui marque la croisée des chemins de Tours, Vézelay et Le Puy, je monte péniblement et en plein soleil la côte qui m'amène à la chapelle Soyarza dédiée à la Vierge Marie, très entretenue, et très fleurie. De là, la vue est splendide à 380°. Toute la chaîne des Pyrénées est devant moi ; j'aperçois certains sommets enneigés. Je fais mes premières rencontres de pèlerins qui viennent du Puy. Certains s'arrêteront à Roncevaux. Je ne m'arrête pas à Ostabat et je franchis 2 nouvelles côtes pour arriver à LARCEVAUX et poser mon bagage dans un hôtel de pur style montagnard. Je dînerai en compagnie de 8 autres pèlerins (2 Martiniquais, 2 Anglais, 2 Hollandais, 2 Français). La conversation sera un peu décousue à cause de mon voisin anglais qui tient à tout prix à s'exprimer en français dans un charabia absolument incompréhensible. J'acquiesce d'un mouvement de la tête à toutes ses phrases sans tenter d'y répondre. Une soirée sans grand intérêt malgré la soif que j'avais de retrouver d'autres marcheurs.
Dernière étape avant l'Espagne. Par monts et par vaux, je marche et je croise maintenant de nombreux pèlerins. Je dépasse, je suis dépassé, je repasse, nous avançons chacun à notre rythme et nous avons peu de contacts. Suis-je devenu un peu misanthrope à cause d'une trop longue solitude ? Est-ce la barrière des langues qui empêche la communication ? Est-ce la difficulté de l'étape sous le soleil ardent qui nous fait éviter de parler ? Est-ce le stress ressenti pour la prochaine étape de vraie montagne ou la fatigue accumulée qui rend muet ? Un peu de tout cela sans doute. Je fais halte dans les petites églises ouvertes qui m'apportent la fraîcheur et un peu de sérénité. C'est ainsi que je passe sur un chemin plein de reliefs une journée sans relief. Je parcours ainsi les kilomètres pour arriver à SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT. C'est ici que Danielle doit me rejoindre demain soir. J'ai 2 jours d'avance sur son arrivée. Je suis allé plus vite qu'elle ne l'avait prévu. Mon corps s'est habitué à manger chaque jour un peu plus de kilomètres, et je ne veux pas m'arrêter. Demain je ferai Roncevaux et je reviendrai à Saint-Jean retrouver Danielle. Je choisis un bon hôtel pour nous deux : l'hôtel Ramuntcho. La fenêtre de la chambre donne sur la rue qui mène à la porte d'Espagne que j'emprunterai demain comme tous les pèlerins qui ont pris leur quartier dans les nombreux gîtes de cette ville charmante. Je suis stressé par la course de demain. Le temps tourne à l'orage.
Les orages ont éclaté cette nuit. Ce matin, le temps est frais et incertain. Le
chemin passe devant mon hôtel. L'aurore se lève à peine. Je regarde les premiers pèlerins qui se mettent
déjà en route : rue
de la Citadelle, rue d'Espagne, route Napoléon. Je choisirai aussi cette route car le temps le permet. Je démarre vers 8
heures, parmi les derniers. La pente est très vite bien raide. Je suis rejoint par un pèlerin attardé qui se fait conduire en
voiture. Il descend pour poursuivre avec moi. Nous en rejoindrons ainsi 2 autres, des Américains : l'un d'entre eux est
handicapé par une jambe folle. J'admire son courage. Au dernier refuge avant la montagne, tous mes compagnons
s'arrêtent pour repartir demain. Je continue à marche forcée et je rattrape d'autres marcheurs. Certains se reposent,
d'autres se restaurent. Je suis heureux de constater que nous sommes de plus en plus nombreux. Ça encourage pour
cette montée ininterrompue. Le chemin se rétrécit et grimpe dans les rochers. Nous allons vers les sommets à la queue
leu leu. Nous dominons de nombreux sommets et nous longeons la frontière espagnole. Nous avons franchi un col, puis
un autre et enfin le LEPOEDER à 1440 m. Sur le chemin, nous avons pu lire le panneau indiquant l'endroit où la troupe de
ROLAND aurait été anéantie par les Sarrasins. Son armée incapable de se déployer a été bousculée dans le
précipice qui borde le chemin étroit : lieux mythiques. Je n'ai pas manqué de boire et de remplir ma gourde à la fontaine
marquée d'une coquille Saint-Jacques. Le spectacle est magique : l'Espagne est devant nos yeux. Je m'arrête pour
manger. Je reste plus de 20 mn au sommet avant de repartir avec un nouveau groupe pour la descente vers le col de
Roncevaux et vers l'abbaye qui apparaît dans le fond de la vallée et que nous rejoignons enfin. De nombreux pèlerins
attendent l'ouverture du gîte. J'y ferai valider mon crédencial avant de reprendre le chemin seul vers BURGUETE qui
sera le but de mon étape. Une demi-heure suffit pour rejoindre le bourg.
De là, je fais du stop pour revenir à SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT retrouver Danielle.
Retrouvailles et soirée heureuse pleine de photos et de récits d'aventures.
Danielle me ramène de Saint-Jean-Pied-de-Port à BURGUETE par la route. J'ai ainsi l'occasion de me rendre compte du dénivelé et de la longueur du chemin parcouru la veille. J'en suis impressionné. D'une courte halte au col de RONCEVAUX, nous apercevons le chemin qui descend du LEPOEDER encore bien plus haut. Aurais-je eu le courage de faire cette étape si j'en avais fait la reconnaissance la veille ? Pas à la portée d'un randonneur du dimanche. Il est 9 h 30 quand Danielle me dépose à BURGUETE. Je suis une fois encore le bon dernier. Je rejoins THOMAS, un Allemand que je n’accompagne que quelques minutes. Le terrain devient assez difficile car il sillonne parfois dans le lit pentu de torrents à sec pleins de cailloux instables. Il finit par longer une route en contrebas qui me donne le vertige. Cahin-caha je finis tout de même par rattraper Marc Pommier de Grenoble que je croise régulièrement depuis 3 jours. Avec son allure de sénateur, il poursuit son chemin lentement mais sûrement. Sa présence silencieuse est rassurante et compense ma crainte du risque de fouler ma cheville fragile sur ce terrain casse-pieds (au propre et au figuré). Ensemble, nous atteignons ZUBIRI où Danielle nous attend près de sa voiture et du pont Romain. De là, elle nous emmène directement à PAMPELUNE où nous logerons dans un hôtel 3 étoiles. Sans raison véritable (sans doute une grande fatigue accumulée), j'attrape un énorme coup de blues au point de m'interroger sur la poursuite de mon pèlerinage. Danielle et Marc tenteront de me rassurer. La nuit portera conseil et demain sera un autre jour. Il ne faut jamais décider le soir.
Les soucis de la veille se sont estompés Après un petit déjeuner digne de l'hôtel dans lequel nous sommes,
Danielle nous reconduit à Zubiri. Il est 8 h 30 quand Marc et moi reprenons la marche pour une étape facile dans la plaine.
Nous rattrapons un couple d'Espagnols et un groupe de jeunes Françaises. Le chemin évite les grands axes et c'est par
Burlada que nous parvenons à PAMPELUNE. Sur le pont qui franchit l'Arga, nous rejoignons Danielle qui est descendue à
pied. Nous entrons par la porte des remparts de la vieille ville. Nous aurons tout le temps d'y flâner et j'aurai même
l'occasion d'y faire réparer mes chaussures dont le ressemelage de DAX n'aura pas tenu. En fin d'après midi, nous
retrouverons notre hôtel ultraconfortable où nous prendrons un bain avant d'aller dans un petit restaurant modeste où le
repas sera bien arrosé. J'espère que cet écart n'aura pas de conséquence pour le lendemain.
Nuit. Sommeil profond.
Il fait déjà très chaud quand je prends le chemin. Marc est parti bien avant moi, mais je le rattrape à l'université où il a voulu faire remplir son crédencial. La route monte régulièrement à la sortie de PAMPELUNE. Nous atteignons la crête. Derrière nous, la ville dans le fond de la vallée ; devant, à l'horizon, les villages que nous allons traverser. Nous sommes remontés à 950 m et nous allons franchir la Sierra del Perdon. Sur le chemin de crête, les éoliennes que nous apercevions si minuscules apparaissent maintenant comme des immenses moulins dominants. Nous sommes nombreux à nous arrêter à cet endroit, nous photographiant les uns les autres devant un ensemble statuaire métallique représentant une caravane de pèlerins en route vers Compostelle. J'ai l'occasion de me joindre à un groupe de jeunes élèves espagnols venus avec leurs maîtres marcher quelques jours sur le chemin merveilleux. Je les accompagne dans la descente pour une formidable leçon de langues où se mélangent l'espagnol, le français et l'anglais dans une ambiance enjouée qui raccourcit le parcours et supprime les douleurs des pieds. Plus bas, je les quitte pour reprendre mon chemin solitaire. Je passe Uterga, Muruzabal, Obanos, sa jolie place de l'église, sa fontaine, sa porte des pèlerins, et enfin j'aperçois en contrebas la ville de Puente de la Reina et son magnifique clocher. À l'entrée du bourg, je retrouve Danielle qui m'attend. Ensemble nous irons découvrir la ville en la traversant jusqu'au pont célèbre du XIème siècle. Ce soir, à table avec les autres, les sujets sont sérieux : motivation du pèlerinage, recherche ou témoignage ? Ma réponse, qui étonne Danielle, est témoignage. J'ai la Foi volontaire et, de rappeler ma devise, "Dieu est un postulat pour tous les hommes de bonne volonté, car la plus grande injustice du monde serait que Dieu n'existe pas".
Ce matin, j'ai fait mes adieux à un couple de Toulouse qui rentre après avoir accompli le bout de chemin prévu. Judith de Paris, mal en point, poursuit en voiture avec Danielle jusqu'à Los Arcos. Moi, bon dernier, je pars pour une nouvelle étape en terre espagnole. Ça monte, ça descend, certains passages sont délicats. Je me colle à un couple espagnol qui marche vite. Cela nous permet de rattraper les retardataires. Je ne me satisfais plus de fermer la marche. Ça me stresse. Je finis par rejoindre Marc et nous croisons d'autres connaissances : Jean-Marie et sa compagne du Havre, 2 jeunes Canadiennes et leur amie américaine Sarah. Nous traversons Cirauqui, Lorca, Villatuerta, des ponts romains, nous empruntons aussi la route romaine encore visible, en l'"état". Pour tous, le chemin semble plus long que prévu. Il est vrai que nous suivons une déviation "pèlerins" liée à des gros chantiers routiers. Il est environ 14 h quand nous arrivons à ESTELLA. Nous y retrouvons Michel de Brive, celui qui m'avait rejoint en voiture dans la montée de Roncevaux. Son moral est au plus bas : son groupe s'est peu à peu désagrégé, et il se sent désormais bien seul. Avec Marc, nous poursuivons le chemin et nous montons les 4 km qui conduisent à l'hôtel Irache en passant par la fontaine du vin éponyme, passage incontournable pour tous les bons pèlerins de Compostelle. Nous y rejoignons Danielle avec laquelle nous partagerons le verre des retrouvailles. A l'hôtel, on nous offre une suite dont la vue est imprenable sur la région. Nous terminerons cette prestigieuse étape par un bon repas très arrosé du délicieux vin du pays qui marquera cette dernière soirée ensemble. Heureusement nous avons pris de l'avance sur l'étape de demain en dépassant largement ESTELLA.
Danielle repart pour prendre l'avion du retour. Sa présence, ces derniers jours, m'a rendu un moral d'acier et son implication dans la logistique m'a libéré et préparé pour la suite du voyage. Me voici de nouveau autonome. Mais je ne suis désormais plus seul pour poursuivre le chemin. Les quelques jours en compagnie de Marc ont dessiné une nouvelle amitié : démarche semblable, préoccupations proches, rythmes similaires, besoins simples de bons vivants avec le souci d'un nécessaire confort pour entretenir la forme et une ambition commune : atteindre notre objectif, lui, Astorga, moi, Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous programmerons désormais nos étapes ensemble. Aujourd'hui, l'étape est courte. Elle traverse des terrains plats entre de magnifiques horizons de montagne. La présence du soleil est adoucie par un petit vent frais qui rend la marche et la journée très agréables. Je croise de nombreux pèlerins déjà rencontrés. Il est 15 h quand j'arrive à LOS ARCOS. Marc qui est parti plus tôt ce matin m'attend au restaurant de l'hôtel Monaco où nous prenons un repas tardif. L'après-midi est consacré à une énorme sieste suivie d'une ballade et de la messe durant laquelle nous recevrons la bénédiction du prêtre et quelques belles images pieuses. L'église est un chef d’œuvre de l'art religieux espagnol avec, comme souvent, la présence d'un saint Jacques terrassant les Maures. Je suis frappé par le lyrisme et l'imaginaire de cette culture religieuse traditionnelle conquérante espagnole. Le soir, nous nous retrouvons entre pèlerins pour le repas qui ne se prolongera pas trop tard. L'étape de demain est beaucoup plus longue.
Une longue étape qui démarre sur terrain plat et qui devient accidentée de SANSOL à VIANA : montées et descentes brutales. Certains écarts de niveau entre 2 pas sont acrobatiques et pas toujours à la portée de tous les pèlerins. Je me crispe par crainte de faire un mauvais pas et de fouler ma cheville fragile. Cette portion me fatigue énormément. VIANA est au sommet et de là nous dominons la plaine de LOGROÑO. La ville est encore à 8 km et c'est vers 16 h que je l'atteindrai, en route depuis 7 h 30. J'ai croisé 2 villes historiquement importantes : CLAVIJO où une bataille décisive entre Musulmans et Chrétiens s'est déroulée au moyen âge. La légende inscrite dans de nombreux tableaux et statuaires religieux y fait intervenir saint Jacques sur son destrier terrassant les Maures (il faut bien croire que l'imaginaire a besoin de ce genre d'intervention puisque l'on retrouve aujourd'hui dans des films à succès mondial le même genre de thème, en particulier dans la saga du Seigneur des Anneaux). Cette bataille sera le signe de la "reconquista" espagnole. ALBEGA DE IRUEGA où apparurent pour la première fois les chiffres arabes qui se substituèrent aux chiffres romains dans les mathématiques. A l'arrivée à LOGROÑO, je n'ai pas boudé l'accueil de la Seņora Felisa, une figure légendaire et immuable du chemin. Avec Marc, nous sommes restés avec elle le temps de boire un lemon rafraîchissant en croquant les friandises qu'elle offre traditionnellement à ses hôtes de passage. D'un commun accord, nous avons décidé de ne pas loger dans les gîtes pèlerins en Espagne . Accueil incertain, population hétéroclite, confort spartiate, promiscuité et nuits trop courtes nous semblent difficilement acceptables pour des pèlerins de nos âges. C'est donc à l'hôtel Marques de Vallego que nous passerons la nuit. Entre temps nous visiterons la vieille ville et son église remarquable avec son porche surmonté d'un saint Jacques combattant et triomphant.
Anniversaire de Nathy. J'avais craint cette étape de 28 km car mon genou craquait. Finalement, elle s'est très bien déroulée. La première partie nous amène jusqu'à NAVARETTE, un joli village avec sa belle église, à l'image de ceux que nous traversons. La richesse patrimoniale est remarquable dans cette région. J'éprouve déjà l'envie d'y revenir. À la sortie du village, je retrouve la classe de jeunes Nantais et je me joins à eux. J'accompagne leur professeur (Michel). Il est diacre. Notre conversation tourne autour des motivations de chacun. J'ai l'occasion de me répéter et je définis maintenant les miennes en trois mots : témoignage, défi, longue prière. La deuxième partie du parcours, je la ferai en compagnie d'un individu remarquable : Santiago Tenquela. Il parle admirablement le français. Cet homme d'affaires quadragénaire opulent (entre autres, il possède des vignobles prestigieux dans la Rioja et un grand hôtel à Barcelone), à l'allure sportive, parcourt le chemin sans bagage : juste un téléphone pour appeler son chauffeur qui le suit avec la voiture. Il marche 30/40/50 km par jour et s'arrête quand bon lui semble. La voiture le récupère alors pour l'emmener à l'hôtel et le ramener le lendemain au même endroit. La logistique est parfaite et le confort absolu. À l'occasion d'une halte, la voiture nous rejoindra et nous pourrons tous profiter des boissons fraîches sorties de la glacière. La conversation avec ce personnage instruit et passionnant me permettra d'apprendre beaucoup de choses sur la période franquiste et post-franquiste vue par un Espagnol privilégié. Très intéressant. Je peux dire qu'aujourd'hui, je ne me suis pas rendu compte du chemin parcouru car les échanges furent enrichissants. Marc me rejoint avant d'atteindre NAJERA vers 15 h. Nous irons à l'hôtel San Fernando qui est bien placé. Le soir, nous irons prendre notre repas pèlerin en centre ville.
Une étape sans relief particulier dans un paysage grandiose. Nous quittons NAJERA en contournant des rochers de couleur ocre comme sur la Côte d'Azur. Nous traversons le plateau qui monte doucement. Le dénivelé est de 500 m entre les 2 villes. Nous passons par AZOFRA. Je croiserai Nestor, l'âne qui emmène Charles et Arlette, 2 pèlerins originaux de Rouen. Je prendrai quelques photos avec eux. Le reste du chemin, je le ferai en solitaire et cette étape me paraîtra bien plus longue que la veille : fatigue ? lassitude ? Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Enfin je rejoins Jean-Marie et Jacqueline et bien sûr Marc. Nous atteindrons ensemble Santo Domingo vers 15 h. Notre hôtel modeste est tenu par des religieuses. La chambre est monacale, mais il y a toilettes et douche. La visite de la vieille ville et de son église est incontournable. Toute vouée à Santo Domingo dont le tombeau remarquable se trouve dans l'église dont la richesse est impressionnante. J'aurai l'occasion d'y pénétrer à la faveur d'un enterrement. Je suis frappé par la richesse du cercueil. Le glas résonne dans toute la ville. La note grave imprime l'ambiance. Toute la communauté est présente pour cet évènement qui révèle ainsi son universalité : la vie, la mort intimement mêlées dans l'âme espagnole. Respectueuse Espagne. A l'intérieur de l'église, une poule et un coq blancs immaculés (ils sont changés tous les 15 jours) s'exposent derrière une grille ouvragée. Ils rappellent ainsi le surprenant miracle du pendu dépendu, une fabuleuse histoire qui s'inscrit dans la légende du chemin. Étonnante Espagne. Je visite également le magnifique hôtel Parador, un 4 étoiles installé dans un ancien hôpital. Prestigieuse Espagne. Je suis attiré par le vol des cigognes. Ces oiseaux en nombre important dans la région s'approprient le toit des églises pour installer leur nid. Je photographie l'un de ces édifices où j'ai dénombré plus de dix nids. C'est à la terrasse d'un bistrot que nous achèverons la soirée en compagnie de Jacqueline et Jean-Marie. L'atmosphère est très douce ce soir.
L'étape officielle fait 22 km. Elle me paraîtra difficile à cause de la chaleur, de la fatigue accumulée, de la désertification des villages traversés : aucune possibilité de se restaurer, ce qui aurait été pourtant nécessaire après le petit déjeuner succinct pris dans la chambre très tôt ce matin. Nous sommes partis à 6 h 45 pour éviter les trop grandes chaleurs. Nous parcourons la riche Espagne, immenses régions vallonnées et couvertes de cultures. Il n'est que 14 h quand nous parvenons à l'hôtel Belorado dans le village du même nom : un village pauvre à l'habitat hétéroclite, bien différent de ceux que nous avons rencontrés depuis plusieurs jours. Il n'y a rien à y faire ni à visiter. Nous attendrons demain en pensant au chemin parcouru et à celui qui reste à faire. Une étape banale qui nous rapproche de notre but.
L'épopée continue avec Marc. Le déjeuner de 7 h 30 est léger. Nous le compléterons à TOSANTOS. Nous marchons tranquillement, mais à un rythme soutenu. Le temps est idéal : du soleil et un petit vent qui rafraîchit l'atmosphère : pas de chaleur insupportable. Passé VILLAFRANCA, nous montons dans la forêt où quelques loups subsistent encore. Contrairement au passé, ils ne font plus peur aux pèlerins. Le col franchi, presque aussi haut que celui de Roncevaux, mais beaucoup moins spectaculaire et beaucoup moins difficile puisque nous marchions déjà entre 700 et 800 m, nous descendons vers SAN JUAN DE ORTEGA où nous visitons l'église et le gîte. Nous y mangerons une belle assiette de produits de pays (chorizo et boudin au riz). Il n'est que 14 h et nous décidons de prolonger l'étape jusque ATAPUERCA après avoir fait valider notre crédential. Nous croisons sur le chemin Pascal, le compagnon d'Emmaüs. Il fait le pèlerinage sans un sou. Il survit grâce aux subsides que lui donnent les pèlerins généreux (Marc lui donnera 20 euros). Il réside dans les gîtes pèlerins ou à la belle étoile. Il fait parfois la manche, comme à Paris, dans les grandes villes traversées. Le personnage aux doigts jaunis, qui fume en marchant, s'inscrit bien dans la diversité des pèlerins : chacun son chemin. Quelle expérience de vie : je la recommande particulièrement aux jeunes de 18 à 28 ans. Langues, cultures, aventures, rencontres et mélanges exceptionnels. Nous atteindrons ATAPUERCA vers 16 h 30. Nous nous rendons à l'hôtel El Palomar où nous passerons la nuit.
Les orages ont tonné toute la nuit au dessus de nous. Les averses abondantes ont noyé la région. Ce matin, le ciel est encore noir et le chemin est gorgé d'eau. Nous montons sur le plateau en pataugeant dans la gadoue. Une espèce d'argile grise colle aux chaussures qui pèsent une tonne. Nous dépassons Pascal qui aide Christian : son chariot s'embourbe et l'empêche d'avancer. Les choses s'arrangeront en arrivant dans la périphérie de BURGOS sur les trottoirs qui longent les usines. Nous traversons une zone industrielle interminable. BURGOS nous apparaît ainsi comme une grosse ville industrielle très différente des autres villes traversées. A Pampelune, nous avons pénétré par la vieille ville, son pont et sa porte du moyen âge, à Logroņo par les chemins de campagne, ici c'est très différent. Ça n'encourage pas le pèlerin à y rester, on s'y sent trop décalé. Pourtant la référence au moyen âge est importante puisque cette ville a acquis sa notoriété grâce au Cid. En atteignant le centre et enfin la vieille ville, nous retrouvons un couple de Parisiens que Marc reconnaît. Ils sont partis du Puy. Ils nous apprennent que Jacqueline et Jean-Marie ont abandonné et sont retournés au Havre. Nous ne nous attardons qu'à la cathédrale d'une telle richesse et d'une telle splendeur qu'elle m'apparaît comme la plus belle église gothique du monde. Nous déjeunerons frugalement dans un parc à la sortie de la ville. Ce sera l'occasion de soigner mon pied droit qu'une écorchure rend douloureux. C'est sans regret que nous quittons la ville. La campagne est triste. Nous atteignons TARDAJOS vers 16 h 30. C'est un village sans charme. Notre hôtel est sur la nationale. C'est le bistrot du centre où tous les habitants, consommateurs ou non, se retrouvent. L'animation est grande et durera jusque tard dans la nuit, prolongée dans les chambres attenantes aux nôtres. Sommeil perturbé dans cet hôtel de passe...age. Heureusement notre chambre, toilettes communes et douche froide ne nous coûte pas cher : ça équilibre notre budget.
Nous quittons notre hôtel minable en longeant la route nationale qui vient de
BURGOS. Après la nuit agitée, nous sommes encore marqués par la mauvaise journée d'hier et attristés par
l'abandon de nos compagnons de chemin. En arrivant dans le village de RABE, nous retrouvons l'Espagne profonde que
le chemin illumine. Plus loin, au creux d'un vallon, nous découvrons HORNILLOS, une belle étape que nous dépassons
car depuis quelques jours nous sommes en décalage avec le programme conseillé. À HORNILLOS, s'arrêtent ceux qui
ont logé à BURGOS. Nous remontons un autre versant et nous arrivons sur la meseta, l'immense plateau sec et
rocailleux qui se situe à 900 m d'altitude. Aucun arbre, sous le soleil, c'est l'enfer. Aujourd'hui nous avons de la chance, le
ciel est couvert, il souffle un petit vent frais : une aubaine pour parcourir ce désert. On a l'impression de traverser l'Arizona,
surtout lorsque l'on découvre, à la sortie d'une courbe, le village d'HONTANAS dominé par son église, digne d'un décor
hollywoodien pour un western mexicain. Après le village, le chemin longe un coteau et rejoint la route d'où
nous apercevons les trois édifices qui dominent CASTROJERIZ : le château, l'église du village et Notre
Dame du Pommier. Avant d'arriver, nous passerons sous l'arche et devant les ruines du couvent San Anton.
CASTROJERIZ qui s'étale en
terrasses est un village superbe où les hôtels sont nombreux. Nous avons l'embarras du choix. Les chambres de celui que
nous occuperons s'ouvrent sur une vue splendide des collines environnantes. La nature est vierge de végétation.
Ici on se remémore l'histoire de ce pèlerin dévoré par des sauterelles, ainsi que de ce squelette
retrouvé recouvert de coquilles. En cette fin d'après-midi, nous sommes rejoints par Jean-Lou, un ami de Marc venu
directement de Lyon pour marcher quelques jours avec nous.
L'occasion de raconter cette anecdote providentielle concernant ma carte bleue.
Elle arrive à échéance dans les jours qui viennent.
Un détail essentiel que je n'avais pas prévu. Danielle en a été
fortuitement informée lors d'un passage à la banque le 17 juin. Elle prépare son voyage à Lyon
chez nos enfants prévu le
19 juin.
Elle récupère ma nouvelle carte, la transmet à l'aéroport de Lyon lors de
son arrivée à Jean-Lou qui me la ramène le
20 à CASTOGERIZ. Des circonstances impossibles à prévoir : ce "coup" m'est apparu comme une démonstration que la
Providence est bien l'amie du pèlerin. Depuis, je ne cesse de m'interroger sur la force des mots que le pape Jean-Paul II
adressait en particulier quand il s'adressait aux jeunes : "n'ayez pas peur".
La journée commence par une mise en train éprouvante : la montée rapide de la colline qui domine CASTROJERIZ. Les 100 mètres de dénivelé demandent du souffle, d'autant que je ne veux pas récupérer en m'arrêtant de peur d'être saisi par un vertige chronique qui m'assaille souvent dans ce genre de passage. Je suis soulagé de parvenir au sommet. De là, la vue s'étend sur toute la région aride. La descente est brutale et rapide. Ensuite le chemin continue sans grand relief. Nous compléterons notre petit déjeuner léger du matin et le café offert dans le refuge de San Nicolas (où j'ai fait cacheter mon crédential) par une collation à ITERO DE LA VEGA. Notre estomac réclame encore et c'est à BOADILLA que nous nous régalerons d'une énorme omelette avant de reprendre la route sous l'averse. Le ciel restera gris et incertain tout l'après midi. Nous arrivons à FROMISTA vers 16 h après avoir longé le canal de Castille et franchi d'anciennes écluses. L'hôtel San Martin est accueillant et la fenêtre de ma chambre donne sur l'église d'un roman si parfait qu'elle en définira le style. Bien sûr, je ne manque pas de la visiter pour achever positivement cette journée maussade.
Le vent est fort aujourd'hui. L'étape ne fait que 20 km, mais me paraît bien longue et ennuyeuse. Les villages que l'on traverse sont tristes, sans lieu de vie, ni auberge, ni café. J'aurai faim toute la journée malgré le sandwich au fromage et au pain biologique englouti lors d'une halte à VILLOVIECO. Plus loin, je visiterai l'imposante église de Virgen del Rio, édifice remarquable dans ce bourg isolé. Elle possède des tombeaux princiers. J'y fais la rencontre de Marianne de Perpignan, celle que je surnommerai la psycho-voyante. A cause d'une cheville déficiente, elle a dû interrompre une journée sa marche et laisser son groupe partir devant elle. Elle me donnera des nouvelles d'Isabelle "la catholique" qu'elle a rencontrée à Burgos. Celle-ci, ayant eu un conflit avec un aubergiste peu scrupuleux, a préféré continuer la route ce jour-là et a ainsi, d'après mes calculs, au moins deux jours d'avance sur moi : quel tonus! Avant d'arriver à CARRION DE LOS CONDES, nous croisons une Américaine handicapée qui fait l'étape dans sa chaise roulante. Malgré notre proposition, elle refuse notre aide pour achever sa course seule. Son courage et sa détermination suscite l'admiration. A l'entrée de la ville, je retrouve mes compagnons habituels et ensemble nous la traversons pour rejoindre l'hôtel luxueux REAL MONASTERIO SAN ZOILO que nous avons choisi pour son caractère exceptionnel. Nous aurons ainsi l'occasion de visiter la chapelle dans laquelle sont inhumés les infants de Carrion, enfants du comte Gomez, principal rival du Cid. Le soir, nous retournerons dans le bourg pour notre repas pèlerin. J'ai parcouru la moitié du chemin en Espagne. Je commence à trouver le temps un peu long et j'ai maintenant hâte d'arriver. Je compte les jours.
C'est une étape courte de transition avant les 2 longues étapes suivantes. C'est le désert espagnol. Pas âme qui vive sur plus de 17 km. Pas de point d'eau potable, pas de ravitaillement possible. Contre le vent de plus en plus fort, on avance péniblement sur un terrain découvert et plat. Aucune indication, personne. Est-on encore sur le bon chemin ? Le village n'est toujours pas en vue, alors que nous devrions y être arrivés. C'est du haut d'une toute petite bosse que nous le découvrons enfin dans son creux : village de pampa presque abandonné dans lequel se trouve un petit hôtel, le Camino Real dont les chambres donnent sur les champs et sur le passage des troupeaux de moutons. Il n'est que 14 h et nous nous mettons à table. Le reste de la journée, il n'y a pas grand chose à faire dans ce lieu isolé. J'irai me balader jusqu'au refuge pèlerin privé qui paraît bien agréable en offrant le service d'une piscine. En retournant au bar de l'hôtel, je trouve un curieux pèlerin venu du Sud de la France. Presque sur un coup de tête, un jour, il est parti sur le chemin avec son chien. Il campe à la belle étoile. L'animal qui pensait l'accompagner pour une ballade gambadait les premiers jours. Depuis il marche au rythme de son maître, en s'abritant toute la journée sous son ombre ; et comme celle-ci tourne, le chien indique les heures.
Café et une brioche pour un petit déjeuner succinct. En route dès 7 h 30, une bonne heure pour partir. La marche est rapide. Le décor n'est guère plus varié que la veille, mais nous traversons quand même 4 villages sur les 25 km. Ils sont pauvres en monuments et il n'y a pas de fontaine : aucune raison de s'y attarder. A mi-chemin, nous trouverons tout de même une auberge où nous complèterons notre petit déjeuner. Malgré les colites violentes que je ressens depuis mon départ, je progresse à un très bon rythme sur le chemin plat. Il faut dire que depuis que j'ai appris que la marche produit de l’endorphine qui calme la douleur, je marche sans plus me soucier de mes maux. J'ai un pas bizarre, sautillant, irrégulier, mais rapide, bien aidé par mes deux bâtons. Aux étapes, je passe du temps à masser mes pieds et mes articulations avec des crèmes et autres soins. Nous atteignons rapidement l'étape. Il est à peine 13 h 30. Nous aurons tout le temps de prendre notre repas dans le centre de SAHAGUN après avoir déposé nos sacs à l'hôtel Alfonso. Il est bien agréable de retrouver une ville animée pour passer l'après-midi. La place se remplit de monde à partir de 17 h. C'est le point de rencontre des familles et des nombreux enfants. Un pèlerin un peu éméché jouera l'animateur. Depuis quelques jours, nous en croisons peu. Ils s’éparpillent de plus en plus dans les relais et refuges nombreux. Nous ne nous attarderons pas car la route de demain est très longue.
La plus longue étape en Espagne. Longue et appréhendée. Près de 40 km sous le soleil avec pour horizon une plaine morne et infinie. Le chemin longe la route désertique et la voie ferrée. Je marche le nez sur mes chaussures et sur les talons de celui qui me précède. Un œil sur l'horizon et c'est la déprime : rien à perte de vue. Nous faisons halte à EL BURGO pour manger un morceau. Il est midi et nous sommes en route depuis 7 h. L'après midi, la progression est pénible. Nous commençons à manquer d'eau et il n'y a aucun ravitaillement possible. C'est avec soulagement, le gosier sec, que nous apercevons des parasols et des tables : béni soit cet endroit si bien nommé "l'auberge des desperados" peu avant d'arriver à RELIEGOS. C'est l'occasion de reprendre des forces pour achever le périple. Il reste 5 km pour atteindre MANSILLA, délivré de cette difficile épreuve. Mauvaise surprise. Notre hôtel est à 3 km hors du chemin. C'est en rechignant que nous nous y rendrons. Heureusement à l'hôtel El Manson, l'accueil est sympathique et chaleureux. Un apéro, un bon repas et un bon sommeil. Il faudra ajouter 3 km à l'étape de demain.
Nous avons finalement apprécié notre hôtel: propre, sympa, pas cher. Petit déjeuner à 7 h, départ à 7 h 30. Ça devient une habitude. Le chemin monte avant d'arriver sur LEON et plonge ensuite sur la ville. Il nous faudra une heure pour traverser le faubourg et atteindre le centre et la cathédrale. C'est beaucoup plus agréable qu'à BURGOS. Une fête médiévale se déroule dans les anciens quartiers. Je serai photographié en compagnie de chevaliers et de leurs dulcinées. La ville est très animée et il y a beaucoup de choses à voir. Nous tournons longtemps dans le centre avant et après le repas. La remise en route est difficile. Nous quittons la ville en passant devant le superbe HOSTAL SAN MARCOS. Il est plus de 15 h et la chaleur est presque insupportable. La route monte. Nous avançons péniblement sur les trottoirs bétonnés de la zone industrielle qui prolonge la ville vers notre destination. Finalement nous arrivons presque sans nous en rendre compte à VIRGEN DEL CAMINO qui est à la sortie des faubourgs de LEON : à 8 km du centre que nous avons quitté. Les hôtels sont sur la grande route et, à la grande différence des jours précédents, la nuit sera bruyante. Demain, nous retrouverons la campagne. Entre-temps, je me rendrai avant le repas dans la récente église, au portail singulier, consacrée à la vierge qui a donné le nom au bourg.
Nous partons dès 7 h sans attendre le petit déjeuner. Mes 2 compagnons marcheurs impriment un rythme rapide. 13 km plus loin nous prenons un petit déjeuner rapide. Nous voulons atteindre l'étape avant que la chaleur ne devienne insupportable, car le soleil commence à frapper très fort. Le petit vent frais des jours précédents a disparu et le ciel est complètement dégagé. La température dépasse déjà les 30° en pleine matinée. Nous atteindrons l'étape dès 14 h. Nous franchissons le très long et remarquable pont roman qui marque l'entrée de la ville. Deux colonnes centrales rappellent l'histoire d'un hidalgo qui avec neuf compagnons en interdit le passage à tous les chevaliers. Le défi dura un mois. Cervantès s'inspirera de ce personnage pour créer son fameux et universel Don Quichotte. Espagne mythique. Sur la gauche à la sortie de ce pont, nous trouvons tout de suite notre hôtel. La chambre offre une perspective exceptionnelle sur la rivière et sur l’ouvrage. Au repas du soir, j'ai la surprise de retrouver Claude le Hollandais rencontré à Poitiers : retrouvailles chaleureuses et ambiance festive. Nous nous gaverons toute la soirée de nos meilleures aventures. Les siennes racontées avec truculence, accent et mots insolites nous font plier de rire. Excellente fin de journée avant un sommeil réparateur dans un endroit de rêve.
C'est le dernier jour de présence de mes compagnons. Je respecte leur planning. Jean-Lou décide de partir en bus pour récupérer sa voiture à Castrojeriz. Il nous rejoindra à Astorga. Ils pourront reprendre la route directement pour Lyon. Nous prenons notre temps avant de partir après le petit déjeuner. Marc est en pleine forme et veut avaler rapidement les derniers kilomètres qu'il lui reste à faire. Il me précède d'un train d'enfer. Je suis presque obligé de courir pour suivre son rythme. D'une seule traite nous parvenons à ASTORGA à 12 h 30. Après la visite de la cathédrale, nous nous installons dans un restaurant en face de l'étrange palais épiscopal, œuvre de l'architecte catalan Gaudi. Les cigognes ont investi les toits de l'édifice et leurs larges évolutions ravissent tous les touristes. Nous prenons notre dernier repas ensemble avant de nous séparer dans un certain mutisme emprunt d'émotion retenue et de fortes poignées de mains. Pour éviter de sombrer dans une déprime naissante, je décide de continuer mon chemin et de marcher le plus loin possible. Il est déjà bien plus de 14 h quand je repars. Le soleil est au zénith, la température aussi. Je sais qu'il existe des gîtes à MURIAS, SANTA CATALINA et EL GANSO. Finalement je ne m'arrêterai que quelques minutes à SANTA CATALINA pour boire un lemon dans une auberge où je croise une équipe de la télé de LEON qui fait un reportage sur le pèlerinage. Je la retrouverai plus tard à l'étape où ils se rendent en voiture. Deux d'entre eux sont vêtus comme des pèlerins de folklore et ne sortent du véhicule que quelques pas avant leur destination, donnant l'impression qu'ils arrivent à pied, avant de répondre aux questions qui leur sont posées par un journaliste. Je m'amuse de cette mise en scène. Je suis le dernier pèlerin qui arrive à RABANAL. Il est bientôt 19 h. Tous sont déjà installés aux terrasses quand je traverse le village. Mon hôtel est à la sortie, tout au bout de la rue principale : La Posada de Gaspar, une adresse accueillante après une étape de près de 40 km. Je prévois mon petit déjeuner à 6 h 30 le lendemain dès l'aurore. Il faudra franchir le point culminant de tout le voyage en passant par la CRUZ DE FERRO.
En partant dès 7 h, je suis dans le gros du peloton des marcheurs. J'en dépasse deux. Trois autres me doublent. Chacun semble pressé de parvenir au sommet. La pente est douce et le paysage rassurant. Une vache surgit devant moi dans la traversée de FONCEBADON, un village qui eut sa gloire et qui est presque à l'abandon. Le chemin lui rendra peut-être une partie de sa renommée perdue. La croix est atteinte sans difficulté. Je l'imaginais plus dominante. En fait, c'est le monticule de pierre et les photos qui la présentent prise du bas qui donnent souvent l'impression qu'elle est un pic de montagne. Il est plus difficile d'atteindre le deuxième col. La fatigue commence à se faire sentir. Je traverse MANJARIN ; le village commence à revivre lentement au rythme des pèlerins. Puis, après une longue descente en compagnie d'une Japonaise, je rejoins EL ACEBO, bien mieux conservé que les villages précédents. La vie est intense autour de l'auberge où se rejoignent tous les pèlerins pour boire et manger. Après Riego de Ambros, j'ai été pris de vertige en descendant sur MOLINASECA. J'ai dû attendre prostré une dizaine de minutes avant qu'un couple de pèlerins français n'arrive et m'aide par sa seule présence à passer cette difficulté. J'ai poursuivi seul mon chemin vers PONFERRADA. J’achève cette grande étape en passant devant la citadelle avant de pénétrer dans la ville. C'est dans le centre historique que je choisis mon hôtel Los Templarios, dans une rue étroite que je crois calme. J'ai oublié que les Espagnols vivent bruyamment jusque 2 h du matin. Leurs discussions résonneront une partie de la nuit. Entre-temps, j'aurai pu me promener et m'installer au calme sur la place devant l'église pour méditer et me reposer après cette nouvelle grande étape. Il reste à peine 220 km pour arriver au but. C'est à la fois peu au vu du chemin déjà parcouru mais encore trop pour être sûr d'y parvenir sans encombre. Dure loi de l'incertitude et du destin. Il faut encore de la volonté et du courage pour aller jusqu'au bout.
Après une nuit de sommeil sans cesse interrompu par le verbe haut des noceurs, je repars dès 7 h 30. La fatigue s'est accumulée et je marche péniblement. À Camponaraya, la modeste église est ouverte. C'est rare à cette heure de la matinée. Le curé présent bénit les pèlerins et leur fait apprécier les charmes du lieu : la sacristie et le tableau émouvant d'un Christ du XVIIème. Je visite en compagnie d'un couple de Français dont la femme m'accompagnera jusque CACABELOS, un mignon village, point final de leur étape. Je ne m'attarde pas. En continuant, je croise ma Japonaise avec un jeune, Mathieu, Belge barbu de Bruxelles. Ce sont les 2 seuls pèlerins que je revois régulièrement depuis une huitaine de jours. Il est 14 h quand j'arrive à VILLAFRANCA. C'est une belle ville intéressante pour le visiteur et une bonne étape pour le pèlerin, mais je décide de la traverser en poursuivant ma route vers TRABADELO. Je serai accueilli ce soir à l'hôtel Nova Ruta. Le lieu n'a guère de charme, mais ma chambre donne sur la rivière. Je m'endormirai satisfait d'avoir pris une bonne avance pour demain, prêt à affronter une étape difficile de plus de 30 km composée en majeure partie de fortes montées.
Non, le chemin de Compostelle n'est pas un long fleuve tranquille. Départ dès 6 h 45. J'ai pris un nescafé froid dans ma chambre. Je laisse la clef à la porte. En route, je croiserai le serveur à moto qui va ouvrir l'hôtel et prendre son service. Le jour est à peine levé et il fait frisquet. Je souhaite dans la journée rencontrer quelqu'un pour m'accompagner dans la montée entre La Laguna et O Cebreiro, car je crains mes crises de vertige. C'est donc une grande et heureuse surprise de retrouver Christian Bredel, celui qui avec son chariot accompagnait Pascal, le gars d'Emmaüs. Je les ai perdus de vue depuis le 18 juin. Depuis, ils se sont séparés et il continue seul sa route. Christian est un personnage original : le pèlerin écolo. Sur sa charrette construite par ses soins à partir d'un caddie à six roues (de ceux qu'utilisent les ménagères pour monter leurs courses dans les escaliers), il ne transporte pas moins de 25 kg de vêtements et de matériel, entre autres, une collection de flacons en verre (!) d'onguents, de crèmes, de poudres et de liquides divers pour soigner tous les maux. Ces remèdes de grand-mère viennent de sa Normandie natale et de sa Creuse d'adoption. Vêtu de sa tenue de pèlerin et couvert de son chapeau à large bord dressé d'une énorme coquille, notre homme progresse en tirant ou en retenant son chariot en fonction du sens de la pente. Sa compagnie ne me rassure guère dans la forte montée à flanc qui nous mène à O CEBRERO car il tente toujours d'attirer mon regard vers le vide par des "ho, regarde en bas c'est magnifique". C'est vrai, mais le vertige me gagne et je préfère m'accrocher, le nez sur mes godasses, aux basques d'un couple d'Espagnols qui m'entraîneront jusqu'au sommet sans s'arrêter. Là-haut, j'attendrai mon compagnon surpris par mon "lâchage". Nous visiterons l'église et ses reliques légendaires et nous déjeunerons à la terrasse d'une des maisons au style montagnard si particulier remarquablement préservé. Le village domine toute la région et les monts avoisinants. Le spectacle est grandiose. L'après-midi, nous parviendrons par la route à ALTO DE POIO, le point culminant de la région où j'espère finir l'étape. L'hôtel est déjà plein et nous sommes contraints de poursuivre notre chemin jusque BIDUELO où je trouve une casa rural pour la nuit. Christian qui ne veut loger que dans un gîte pèlerin et au pire à la belle étoile poursuivra son chemin. De ma fenêtre, je domine les nuages qui recouvrent toute la région que je traverserai demain. Cette nuit, les orages ont éclaté tout autour de la maison.
Il est 7 h et le petit déjeuner est copieux chez mes paysans espagnols. Ici, le ciel est clair. Les nuages bas obscurcissent les vallées. Je préfère passer par SAMOS. Le chemin est plus long de près de 4 km, mais j'évite ainsi des passages délicats. Peu de pèlerins doivent choisir ce détour. Je ne rencontre pas âme qui vive avant le monastère. Juste une Espagnole adipeuse, essoufflée, épuisée et heureuse de me voir. Je l'aiderai à rejoindre le gîte en la délestant d'une partie de sa charge. Le pèlerinage qu'elle vient juste de commencer lui paraît déjà une épreuve insurmontable. Je me contente d'un sandwich pour ce midi et je repars. Le chemin traverse de nombreux hameaux plus ou moins à l'abandon. Les montées brutales et les descentes rapides sont éprouvantes. À sec d'eau, épuisé, les pieds, les jambes et les articulations endolories, j'arrive enfin à SARRIA dans un hôtel assez minable, mais suffisant pour la nuit. C'est la fin d'une triste journée. Je resterai cloîtré dans ma chambre jusqu'au repas. Demain sera un autre jour.
Petit déjeuner à 7 h 30. Heureusement, l'addition de l'hôtel est modeste. Je reprends la route pour cette courte étape dont j'ai cru qu'elle serait facile. La sortie de SARRIA est une montée éprouvante. Ensuite le chemin ondule en permanence. Descente vers les ruisseaux qu'il faut franchir, remontée sur l'autre rive. Le terrain est humide. Le ciel est couvert de nuages. Une pluie fine transperce les vêtements. Je ne retrouve aucune connaissance. Les groupes que je croise sont tous espagnols. Le folklore envahit de plus en plus le pèlerinage : groupes de cyclistes en maillots publicitaires, clubs de jeunes braillards, pèlerins déguisés. Seules les croix qui ponctuent le chemin rappellent la spiritualité. Le paysage et l'habitat font penser à la Bretagne profonde. Les horreos, les silos à grains spécifiques, sont les seuls édifices remarquables de cette région. Les fermes sont d'un autre âge. Les troupeaux de vaches, de moutons, les enclos de porcs, les poulaillers, les écuries diffusent leurs odeurs renforcées par l'atmosphère moite. Depuis quelque temps, le chemin est balisé tous les 500 mètres. Les bornes indiquent le chemin restant à parcourir . Je passe celle des 100 km. Encore quelques kilomètres et j'arrive enfin à PORTOMARIN. Je traverse le pont pour entrer dans la ville reconstruite sur les bords du lac de retenue du barrage. Les ouvrages anciens ont été déplacés, en particulier l'église qui occupe la place principale. Le soleil est revenu. L'air est dégagé et les touristes se réinstallent aux terrasses des cafés. L'ambiance s'anime. Je choisis de loger dans le grand hôtel qui domine le village. La chambre qui m'est destinée est la suite royale de l'hôtel. Un confort exceptionnel dont je ne profiterai guère : juste un repos prolongé dans l'immense baignoire de la salle de bain dont les baies vitrées donnent directement sur le lac et le paysage à perte de vue. Je récupère.
Après le petit déjeuner royal, digne de la
catégorie de l'hôtel, je quitte ma chambre avec regret. J'ai encore quelques séquelles des douleurs aux pieds et aux
genoux accumulées les jours précédents quand je me mets en route vers 8 h 30. La rotule droite me donne quelques
appréhensions. J'aurai mal durant près de 2 heures. J'emprunte une passerelle qui enjambe le torrent pour sortir de la
ville et je monte le chemin qui traverse la forêt. Je ferai un bout de chemin en compagnie d'une Espagnole de
Barcelone d'origine française. Avec 3 amies, elle ne fait que la dernière partie du parcours pour obtenir sa Compostela.
Comme l'une d'entre elles est de santé fragile, elles n'accomplissent que la moitié des étapes à pied. Je suis obligé de
quitter le groupe qui marche très lentement. L'étape est assez longue et je ne peux pas m'attarder. Je croise de plus en
plus de pèlerins. Beaucoup sont arrivés en bus pour faire les 100 derniers kilomètres. J'échange quelques mots d'anglais
avec un couple de Mexicains qui sont partis de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Que de nationalités rencontrées durant ce voyage !
Allemands, Américains, Anglais, Arméniens, Autrichiens, Belges, Brésiliens, Canadiens, Espagnols, Français, Hollandais,
Hongrois, Japonais, Lithuaniens, Mexicains, Suisses, Tchèques : pèlerins, citoyens du monde ! Je commence à me
remémorer les rencontres dont certaines m'ont émues et interpellées : le jeune homme à la jambe folle durant la montée
de Roncevaux, la femme handicapée dans sa chaise roulante, celle que j'ai aidé à Samos. Risquer, tenter d'aller au but,
volonté, courage, obstination, si Dieu le veut... La Foi peut soulever des montagnes. Depuis des siècles, le chemin de Saint-Jacques, le "fils du tonnerre", c'est tout ça.
J'arrive enfin à PALAS DE REI. Mon hôtel est simple. Mon logis ne fait pas plus de
50 m2 mais la fenêtre s'ouvre à plus de 40 m de la rue en contrebas (à me donner le vertige) et donne sur un paysage
aussi beau que la veille.
J'ai fait craquer toutes mes articulations. Ma rotule droite ne me fait plus mal. Je repars dès 7 h 30 en meilleure forme que les jours précédents. C'est sûrement dû à l'approche du but. En avançant par monts et par vaux, je rattrape des douleurs aux articulations et aux tendons. Je souffre aux genoux. C'est aussi dû à l'humidité ambiante. Je suis malgré tout moins à plaindre que tous les pèlerins qui souffrent de tous les maux possibles. Ils font partie des hordes qui ont débarqué pour faire les 100 derniers kilomètres à pied. Ils vivent les jours difficiles. Le corps doit s'adapter aux longues marches et beaucoup sont très mal équipés : chaussures éculées, savates, nu-pieds (!). Les Espagnols sont largement majoritaires dans cette foule bigarrée de 7 à 77 ans. Beaucoup prennent le rythme d'une ballade tranquille marquée par de nombreux arrêts dans les auberges qui jalonnent la route. Je soupçonne certains de les faire toutes. Quelques-uns portent les attributs du "pèlerin-touriste" : le chapeau à coquille, la cape, le bourdon verni et la gourde factice. Pour eux, le pèlerinage est une randonnée festive. Je passe MELIDE sans m'arrêter et le lieu dit CASTAÑEDA sans rien y voir. C'est pourtant à cet endroit que les pèlerins des premiers siècles déposaient les pierres qu'ils portaient pendant plus de 100 km depuis TRIACASTELA . Celles-ci étaient destinées à la construction de la cathédrale de Compostelle. Il est 16 h quand je rejoins mon hôtel Teodora à ARZUA. C'est une ville étape sans charme, à l'image des précédentes. Je passerai mon temps à soigner mes pieds et masser mes jambes pour finir au mieux les 2 étapes restantes. Celle de demain peut encore être difficile. L'arrivée prochaine me remplit le cœur de joie : Ultreïa !
Depuis 3 jours, le temps se dégrade. Ce matin, il fait froid et je remets mon pull. Mes affaires sont encore humides. Je me donne un maximum d'atouts pour franchir cette avant-dernière étape après une excellente nuit de profond sommeil : anti-inflammatoire, Daffalgan, une grosse couche de crème sur les pieds, de la vitamine C. Ainsi je suis prêt à affronter cette journée maussade. Malgré le froid, la bruine qui suinte partout et la pluie qui se met à tomber, je progresse rapidement sur un chemin encore très vallonné. Le paysage sous la pluie est sans attraits. Je m'arrête 2 fois pour grignoter et boire, sans m'attarder pour ne pas prendre froid. Je rejoins un groupe de Canadiens, un autre venant de Madrid et je finis par retrouver la Franco-Barcelonaise Michèle avec son groupe d'amies. Ce petit bout de femme au verbe haut acquis au contact des gens du Sud, à la conversation directe, et à l'allure volontaire me fait penser à notre voisine. J'ai l'impression que c'est elle qui m'accompagne et je suis sous le charme de ce transfert et nous poursuivons ensemble un certain temps. Cette rencontre qui suit des journées solitaires me permettra de passer une journée agréable. En traversant le bois d'eucalyptus aux odeurs délicates, je dois m'écarter pour laisser passer un groupe de cavaliers. J'approche de l'aéroport. Les avions en cours d'ascension survolent la forêt. Je n'ai pas vu le temps passer et j'arrive presque sans m'en rendre compte à LAVACOLLA. L'hôtel San Paio, dans lequel logera également le groupe de femmes, est doté d'écuries pour recevoir les pèlerins à cheval.
8 h. la grande salle du bar de l'hôtel est pleine de monde. Un grand écran y a été installé pour suivre le départ et la course de taureaux de PAMPELUNE qui marque le début des fêtes de la San Fermin : un évènement universel qu'aucun Espagnol ne saurait manquer. Hemingway réservait chaque année un balcon sur la rue pour assister à ce spectacle unique. Je participe à ce moment intense et visuel qui se déroule cette fois sans incidents graves, malgré les coups de butoir violents portés par les bêtes affolées qui chargent la foule des aficionados téméraires. Ce matin j'ai le temps. Il ne reste qu'une dizaine de kilomètres à faire avant d'arriver à Saint-Jacques-de-Compostelle. En route, je dépasse Michèle qui traîne ses amies. D'un pas rapide, j'accède au mont GOZO, le belvédère d'où l'on commence à apercevoir SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE. Autour du monument qui marque la venue de Jean-Paul II qui réunit ici 500.000 jeunes en 1989, je fais la connaissance de nouveaux pèlerins venus d'Écosse et de Norvège. Ils compléteront ma liste internationale. Je descends maintenant vers ma destination finale, déjà empreint d'émotions fortes, de fierté et de joie retenue. Les clochers de la cathédrale sont bien en vue. Dernier arrêt dans une annexe d'office de tourisme ou j'ai la surprise de retrouver Thomas l'Autrichien rencontré à Zubiri. Il aura parcouru près de 2400 km (!). Je cherche la bonne voie pour arriver à la cathédrale. En empruntant la via sacra, j'y parviens par l'esplanade de la Porte Sainte. Il est 11 h et les pèlerins font déjà la queue pour suivre le cheminement qui conduit au tombeau de l'apôtre. J'y prends mon tour. Circuit dans l'abside, montée dans le cœur derrière le buste de l'Apôtre d'où l'on peut voir toute l'assemblée réunie dans l'église qui ne désemplit pas. Descente jusqu'au tombeau, sortie par une autre porte. Je rejoins l'entrée en haut des escaliers de la place des Platerias. Michèle que j'y retrouve m'y prendra en photo. Je tiendrai mes bâtons tendus en V de ma victoire en haut des marches. Il est 11 h. J'adresse un texto à ma femme et à tous mes amis :
Je me rendrai ensuite au bureau d'accueil des pèlerins pour recevoir ma Compostela et je me mettrai en quête d'un hôtel avant de revenir flâner autour de la cathédrale pour tenter d'y retrouver quelque connaissance : point. La surprise viendra lors de l'office de la fin de la journée auquel je participe. Durant la communion, j'entends des appels qui me sont adressés et, en me retournant, je vois mes 2 amis Canadiens qui avaient pris le chemin du Nord le long de la mer. Extraordinaires retrouvailles. Après avoir applaudi le spectacle du Botafumeiro, l'énorme encensoir que 8 hommes font balancer jusqu'en haut du transept, nous sortirons pour nous retrouver dans un restaurant où nous évoquerons déjà nos souvenirs et celui d'Isabelle. Nous nous quitterons une dernière fois, mais très tard pour rejoindre nos hôtels. Tout s'achève. Demain, je redeviens touriste.
Un déluge de pluie s'abat sut la ville la matinée du 8. Je passe une
grande partie de mon temps à l'intérieur de la cathédrale et je prends des photos devant l'entrée principale. Je reste
dans ses abords en espérant toujours y revoir des têtes connues. L'après midi, je visite la ville. Je trouverai le temps
de prendre mon billet de bus pour le retour à Lille. Le 9, c'est le départ. À la gare, je prends quelques revues pour le
voyage. Derrière moi, une énorme et dernière surprise. Isabelle est là, aussi étonnée que moi : des retrouvailles
inattendues et presque miraculeuses. En prolongeant son chemin jusque Padron, elle se retrouve au retour le même
jour que moi. Nous aurons le temps d'échanger nos ultimes impressions d'une aventure inoubliable avant que nos
destinations respectives ne nous séparent. Je monte dans le bus du retour : il est 16 h.
Dans 24 heures, je suis à LILLE.
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