ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE

Merci à Jean-Baptiste qui nous ouvert, il y a quelques saisons, le monde des pèlerins à vélo. Ici, il marche !


VÉZELAY

par JEAN-BAPTISTE MAURIN ©.

ligne d'horizon

Je reprends mon carnet en même temps que le chemin vers Compostelle. Cette fois, je suis à Vézelay, avec ma grande amie Brigitte et nous allons marcher une quinzaine de jours, c'est le temps dont nous disposons en ce mois de juin 2015.

Je vais écrire et dessiner tous les jours pour me remémorer plus tard les moments vécus et les impressions ressenties.

Et puis, sans prétendre à aucune légitimité, je pense m'adresser à d'éventuels lecteurs, d'une part pour partager ce que l'on découvre sur ce chemin et d'autre part pour tenter de susciter le désir de découvrir, chez ceux qui ne l'ont jamais parcouru.

La voie qui conduit au Pays Basque à partir de Vézelay est éloignée de mes racines cévenoles et provençales ; j'ignore tout de la Bourgogne, du Berry, du Limousin, du Périgord et des Landes. Brigitte est dans la même soif que moi de découvrir...

Déjà, rejoindre Vézelay depuis Marseille est une aventure et notre première découverte est pour l'institution Blablacar, une belle surprise ; notre chauffeur fait généreusement un gros détour pour nous déposer dans le village.

Nous allons tout de suite à l'accueil de l'association des Amis de la Voie de Vézelay où nous sommes reçus par une gentille belge qui nous offre des cerises en nous donnant quelques précisions pratiques. Puis nous déposons nos sacs à l'Hospitalité des sœurs de la Fraternité de Jérusalem, avant d'assister à une causerie sur la basilique puis de visiter le monument. Il faudrait rester plusieurs jours pour découvrir les chapiteaux et tenter de les comprendre, alors que, semble-t-il, leur sens était lumineux pour nos ancêtres moyenâgeux. Je m'interroge sur tout ce que nous avons perdu, même si nous avons beaucoup gagné.

Au gîte nous rencontrons un sympathique hospitalier rouennais qui a passé sa jeunesse à Marseille, dans mon quartier, et qui vient d'y acquérir un appartement. Nous rencontrons aussi quelques pèlerins : l'un parti de Paris en vélo et qui va à Santiago, un autre de Château-Thierry qui est venu ici en 6 jours et qui va seul à Santiago, un autre va au Puy, un autre à Dijon, un prêtre en soutane et 4 jeunes vont en Toscane. Nous dînons ensemble de ce que nos sacs contiennent; c'est très convivial et sympathique, nous sommes d'emblée sur le chemin !

Couchés à 9 heures, les hommes dans une pièce, les dames dans une autre. Le prêtre nous rejoint plus tard. Son lit est en face du mien ; il a beaucoup de mal à enlever sa soutane tout en tenant sa loupiotte dont le faisceau est braqué sur moi et me réveille en sursaut. La lumière du seigneur m'a pénétré et je suis très en colère ; je me fais plaisir en pardonnant car il ne se rend compte de rien...

mardi 2 juin

Lever à 6 heures, petit dej. avec lait concentré Nestlé, laudes, messe et bénédiction des pèlerins à la Basilique. La cérémonie est belle ; une douzaine de moines et moniales aux voix graves ou cristallines chantent des psaumes à la gloire du soleil levant, droit devant nous, qui illumine le chœur. Nous sommes là une dizaine de pèlerins, illuminés eux aussi, qui reçoivent une émouvante et sincère bénédiction, au milieu de ces femmes et hommes d'église radieux.

Nous sortons de la Basilique émus et gonflés à bloc. Un grand gaillard, cheveux et barbe blancs comme neige nous demande en pleurant si nous accepterions de marcher avec lui. Il s'appelle Jean et c'est lui qui vient de Château-Thierry. Après un accident, il est resté 6 mois dans le coma et a perdu le goût et l'odorat, ainsi qu'un peu d'audition ; sa mémoire est revenue lentement. Il s'est lancé dans la marche au point de la pratiquer à un haut niveau puisqu'il vient de participer à Paris-Colmar, mais il veut maintenant découvrir autre chose et se sent complètement perdu, dans un monde qu'il découvre. Il a lui aussi été très ému par la cérémonie. Il dit nous avoir repéré comme des pèlerins et des randonneurs "expérimentés" et nous demande donc de l'aider à faire son "apprentissage" du chemin.

Nous voilà donc tous les trois quitter le village et prendre la première balise vers notre destination. Nous descendons la colline éternelle vers l'Ouest et nous nous retournons plusieurs fois pour la voir se découper à contre-jour sur le ciel de l'Orient.

Nous allons , à travers de grandes forêts, vers La Maison-Dieu, notre premier village, notre première halte, où il est prévu de rendre visite à des amis d'amis, auxquels notre passage a été annoncé. Installés devant l'église, nous leur téléphonons, ils nous répondent que la maison est à 100 mètres et qu'ils viennent nous chercher; 10 minutes plus tard ils nous appellent pour nous dire qu'ils sont devant l'église et qu'ils ne nous voient pas. Comment cela se peut-il ? Y aurait-il deux églises ? En fin de compte nous étions dans un autre village, en dehors de notre guide, car nous avions pris dès le départ une mauvaise balise et un mauvais chemin. Nous voilà repartis pour La Maison-Dieu, 6 km plus loin.

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Nous avons été reçus comme des rois par deux artistes authentiques ; elle, est céramiste et crée de magnifiques objets, lui est peintre, professeur dans la capitale et nous fait visiter son atelier. Nous sommes très intéressés par son œuvre, notamment de grandes natures mortes de cerises éclatantes de lumière et de couleur, mais aussi par le discours sur l'art, sa place dans l'éducation et la société en général, cette place qu'il perd tandis que la société va tranquillement vers sa perte.

Ils sont très gais et pleins d'humour, en même temps que très pessimistes.

mercredi 3 juin

Au petit matin, sur le pas de la porte, pendant que Jean finit de préparer son énorme sac, nous discutons avec notre hôte, Bernard, ancien prof de math à Dijon. Il nous explique le théorème de Fermat x2+y2=z2 est impossible pour un nombre entier supérieur à 2. Ca nous laisse rêveurs et nous fait réfléchir un bon moment. Résultat : on loupe une balise et on se retrouve perdus mais remis sur le droit chemin par un hollandais qui vit seul au milieu de nulle part. On rejoint un village nommé Cuncy, au pied duquel passe le chemin ; mais nous arrivons par le haut et il y a là un habitant qui nous explique qu'on a fait un bon kilomètre de trop et que pour rattraper le chemin balisé il suffit, etc... on aurait dû se méfier, le gars avait l'air doucereux et méchant, presque sournois. On suit ses indications et au bout d'une bonne demi-heure on se trouve devant un vieux portail rouillé cadenassé qui met fin au chemin envailli par les herbes. On aimerait bien revenir en arrière donner une leçon à ce naufrageur et finalement on prend la lisière d'un champ de blé qui semble partir dans la bonne direction. Il faut franchir des herbes hautes pleines d'urticants, en montée et on arrive devant une haie d'épineux doublée de barbelés. On se crée un passage en rampant. De l'autre coté un autre champ, avec des vaches qui accourent mais nous laissent passer. On suit une autre lisière, on passe de nouveaux barbelés et cette fois on se retrouve sur les balises, après un gymkhana épuisant sous le soleil.

Varzy

La fin est plus facile mais nous arrivons bien entamés à Varzy où nous faisons nos courses pour le soir. Nous sommes hébergés au camping municipal, encore un bon km en plus, dans une charmante maisonnette, style maison d'éclusier, au bord d'un grand plan d'eau. Il y a 4 places et Jean dort à nouveau par terre, il y a là deux pèlerins sympas, mais plus âgés que Jean...

Je me couche en essayant de me souvenir du sens du théorème de Fermat ; ce matin je croyais avoir compris, ce soir j'ai un doute... Je m'endors très vite.

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jeudi 4 juin

Nous quittons le gîte pour retraverser Varzy, ville morte, église fermée. À part nos deux compagnons de cette nuit nous ne verrons aucun autre pèlerin aujourd'hui, comme la veille.

Nous entrons dans de grands bois épais, humides et frais (alors que partout ailleurs le vent chaud a séché la terre qui craquelle) et nous découvrons la chapelle Saint Lazare, XIIème, qui abritait les lépreux ; le panneau placé devant ce beau monument, le désigne comme une "ladrerie". Elle se trouve au fond d'un creux, noyée dans une végétation luxuriante.

Nous marchons ensuite dans une grande forêt sur une large piste toute droite, pendant plus de 8 km. Nous verrons des chevreuils, à deux reprises.

À Champlemy, nous chargeons le sac pour midi, ce soir et demain matin. En sortant du village nous avons un gros problème de balisage. Il faut savoir que le chemin est ici beaucoup moins bien réalisé que sur tous les chemins que nous avons pratiqués et au surplus certains panneaux sont volontairement arrachés. Il y a aussi la circonstance que parfois le GR ne se confond pas avec le parcours balisé par l'association des amis de la Voie de Vézelay. Et comme nous ne disposons pas des moyens modernes tels que les cartes téléchargées et le GPS, il nous arrive de galérer parfois.

Aujourd'hui nous ferons tout de même plus de 24 km et arriverons à destination à 14 h 30.

En revanche il fait très chaud à travers les blés et sur le goudron. Nous épuisons nos ressources en eau à plusieurs reprises. La providence et saint Jacques nous font heureusement rencontrer de bonnes âmes qui acceptent de remplir nos gourdes d'une eau bien fraîche ; notamment à l'entrée de "l'Hopitot", une jeune femme charmante interrompt pour nous son travail de désherbage du jardinet de sa vieille mère qui la regarde tristement depuis sa chaise, à l'ombre, dans l'encadrement de la porte d'entrée de son pavillon.

En passant devant la place, la mairie et le monument aux morts d'Arbourse nous sommes hélés par l'adjoint au maire lui-même, qui nous annonce que nous sommes arrivés à la destination que nous avons retenue par téléphone et qui nous installe aussitôt dans un petit refuge très bien équipé, sous le préau de l'école. C'est notre meilleur hébergement depuis le départ, et pour 10 euros. À la cuisine il y a tout ce qu'un pèlerin peut souhaiter : bière pour 45 centimes, confiture 30 c., beurre, boites de conserve, vin, etc... Le tout fourni et remplacé par quelques dames bénévoles du village, qui entretiennent aussi le bâtiment.

Aujourd'hui nous avons franchi la Nièvre, petit ruisseau à l'eau blanchâtre, peu engageante.

vendredi 5 juin

La journée s'annonce chaude, le gouvernement, attentif au bien être des citoyens, a lancé une "alerte canicule".

Le parcours est constitué, jusqu'à Raveau, de très longues lignes droites, sur de larges pistes, à travers la forêt de Bertranges, une des plus grandes de France. À mi-parcours, alerte pour Brigitte, avec l'apparition d'une petite ampoule, qu'elle soigne sur le champ efficacement. À mon avis cela est dû au fait que nous marchons avec la chaleur sur de longues lignes droites qui nous font plus ou moins consciemment forcer l'allure et provoquer l'échauffement.

Nous cassons la croûte à Raveau où il y a une boulangerie, un point d'eau et un banc propice.

Après Raveau nous avons 6 km jusqu'à La Charité-sur-Loire, à travers champs, puis sur le goudron, sans ombre, on traverse la RN 7 ; c'est dur.

La canicule est bien là et nous puisons dans les réserves pour arriver bien rétamés devant l'OT qui n'ouvre que dans une heure. Nous nous abritons dans l'église Notre Dame où nous trouvons une fraicheur dangereuse. Nous visitons à fond et sommes impressionnés par le nombre de reliques notamment un bras de saint Jean Baptiste (c'est le troisième que je rencontre...).

L'OT ouvre et nous installe au gîte. Nous sommes 4 avec J.Claude, parti de Vézelay avec nous et que nous rencontrons de temps en temps.

5 juin

En fin d'après-midi nous bravons la chaleur et nous visitons la ville. C'est le fait qu'elle s'étale le long du fleuve qui fait son cachet. En dehors de cela elle est triste, vieillotte et paraît très pauvre ; il n'y a que les banques et les pharmacies qui ont un air pimpant.

Nous complétons la visite de l'église et du prieuré en cours de restauration, où nous découvrons les vitraux de l'américain Christofer Wool. L'opuscule distribué mentionne "l'œuvre de Wool est en tension, elle associe le minimalisme et l'expression, le doute et la certitude, l'abstraction et la matérialité". Pour moi, il s'agit des premiers pas d'un enfant de 5 ans sur le programme Paint de Windows, un nouvel exemple de ce qui se fait depuis déjà très longtemps pour enlever à l'art sa place dans l'humain, une nouvelle régression de l'intelligence collective, toujours prête à accueillir les plus grossières escroqueries.

Fière de son acquisition, et je préfère ne pas en connaitre le prix, la municipalité est allée jusqu'à faire éditer des cartes postales des vitraux. J'en achète une et l'expédie à notre nouvel ami peintre de La Maison-Dieu en lui suggérant de comparer l'œuvre de Wool avec celle de Soulages à Conques...

Nous dînons en ville d'un carpaccio en discutant du choix de l'itinéraire à partir de demain (passer par Bourges ou par Nevers) et allons vite dormir.

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samedi 6 juin

Nous partons tous les quatre à 6h30 pour éviter un peu de chaleur et nous allons à Parigny-les-Vaux, à 20 km. C'est un choix qui est offert à tous et nous entendons les arguments pour l'une ou l'autre solution. Nous avons choisi d'aller vers le Sud, vers Nevers, on passera par Bourges la prochaine fois... Il fait moins chaud mais nous baissons le rythme car nous avons l'étape d'hier dans les jambes.

Parigny

Tout se passe bien et Jean qui commence à s'accoutumer à la fréquentation du chemin, prend un peu de liberté en nous devançant et nous le perdons de vue car il marche vraiment très vite. Peu de temps après on le retrouve, venant à notre rencontre, sous l'autoroute A77, dans le tunnel qu'emprunte le sentier...

À Parigny où nous arrivons vers 13h, il hésite puis décide de continuer seul vers Nevers avec sa tente, son duvet, une belle paire de chaussure qu'un ami lui a offert à son départ et qui n'est pas de sa pointure, le tout dans son sac de 20 kilos. Séparation émue ; je lui donne la croix de Saint Jacques qui est sur ma casquette et il l'accroche sur son chapeau.

Il n'y a rien à faire dans ce village coquet, sauf dessiner l'église Saint-Jean-Baptiste. On se repose à fond, avec lessive complète.

Mauvaise nouvelle : il y a un mariage avec vin d'honneur devant la mairie, c'est à dire sous notre fenêtre et soirée animée avec orchestre dans la salle polyvalente qui est sous notre dortoir. Zim Boum Boum.

Jean Claude, parisien, reste avec nous et nous allons dîner tous les trois d'un croque-monsieur au café unique de Parigny. C'est un ancien ouvrier du livre, à la retraite depuis l'âge de 58 ans, coureur à pied ; il est sympa.

Le parcours d'aujourd'hui était le plus agréable depuis Vézelay. Souvent en hauteur, dominant la vallée de la Loire que nous remontons, traversant des villages et hameaux fleuris, beaucoup plus varié que les longues traversées de forêt, certes magnifiques, mais sur des pistes larges, droites, interminables et peu confortables pour les pieds.

dimanche 7 juin

Aujourd'hui nous allons à Nevers en remontant la rive droite de la Loire. Nous ne verrons personne, à part quelques VTT, joggers et pécheurs sur l'étang de Niffond. On ne voit pas non plus la Loire car nous marchons dans des bois obscurs, sur un chemin agréable jusqu'aux faubourgs de la ville.

À 11 heures nous sommes à la cathédrale Saint-Cyr et Sainte-Julitte, où commence la messe de profession de foi des collèges Fénelon et Victor Hugo. La cérémonie, qui double celle de la Fête Dieu, est présidée par l'Evêque en grande tenue, qui nous paraît très jeune.

Nous allons prendre pension à l'Espace Bernadette Soubirous qui comprend le monastère des sœurs de la Charité, où Bernadette a fini son existence, et un gîte pour pèlerins. Il n'y a plus que 7 sœurs et l'accueil est fait par une laïque de manière très "administrative".

Nous déjeunons d'un bon plat de pâtes au saumon et après une petite sieste nous allons visiter la ville en commençant par le palais ducal qui évoque les familles de Clèves et de Gonzague en nous donnant envie d'approfondir, en particulier pour connaître la vie de ces princesses qui ont fait des mariages fabuleux en France ou en Pologne.

Nous allons baguenauder sur les bords de Loire et dans les vieux quartiers, ou ce qu'il en reste. Si La Charité-sur-Loire est une ville morte, Nevers est une ville en voie d'appauvrissement.

Il fait chaud et nous retournons nous reposer. Je dessine le monastère, devenu centre de retraites, séminaires, hébergements de mouvements confessionnels.

le monastère

Nous dînons d'une salade de tomates et maquereaux. Une dame de 90 ans, ici en retraite, vient nous parler. Elle est stéphanoise et a fait à pied le voyage jusqu'à Compostelle, il y a 30 ans ; elle nous en parle avec des étoiles dans les yeux. Il y a au gîte un couple de hollandais qui est parti de Vézelay pour St-Jean-Pied-de-Port et qui revient par le même chemin ; nous ne sommes pas loin d'une gare, nous entendons les trains et le monsieur a bien envie d'en finir par voie ferrée... Aujourd'hui j'ai retrouvé dans les chemins creux enfouis dans les herbes, le parfum de chocolat que je retrouve souvent ; Brigitte m'apprend qu'il vient du troène.

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lundi 8 juin

Au petit jour, nous traversons Nevers et franchissons la Loire à 8h sous le tintement des cloches de la cathédrale. Temps idéal, paysage magnifique. Traversée des zones commerciales, industrielles puis pavillonnaires, un peu fastidieuse. Aujourd'hui nous resterons sur le goudron. Je pense aux pèlerins des temps anciens, qui avançaient sur des chemins défoncés par le charroi et qui auraient certainement préféré le goudron. Le goudron nous va donc très bien, il faut seulement ne pas marcher trop vite, de manière à ne pas provoquer l'échauffement.

Nous avons beau ne pas marcher vite, nous sommes à Magny-Cours à 11h30 et il nous reste 5 km à marcher pour atteindre l'étape retenue par téléphone, qui n'ouvre qu'à 17h. Il faut savoir que les hébergements ne sont pas très nombreux sur cette voie et qu'il n'est pas prudent de se confier au hasard. Nous avons tout notre temps et nous prenons une consommation et un plat au restaurant du Lion d'Or, au centre du village, au bord de la RN7 dans le hurlement des bolides qui tournent au loin sur le circuit, comme à Nogaro sur la Voie du Puy.

Arrivent un anglais qui a retenu dans le même gîte que nous ce soir, puis un jeune homme qui transporte sa tente. Ce dernier est très intéressé, comme moi, par ces pierres noires et brillantes, qui ressemblent à des obsidiennes vues du côté de Raveau, avant La Charité ; il en a une dans sa poche, moi aussi, trouvée près de Forges-Bas.

Nous repartons avec l'idée de se poser quelque part et de dessiner. Mais il n'y a aucun endroit ombragé et nous arrivons très tôt à Saint-Parize-le-Château. Après avoir tourné un moment sous la canicule sans trouver où attendre (2 cafés fermés, à vendre) nous faisons un peu de bruit devant notre gîte et le sympathique Yves Chrapek accepte de nous installer, en compagnie de l'anglais Robert, du Yorkshire, ancien de Atochem, qui marche seul et a emprunté tous les chemins possibles.

Françoise Chrapek nous rejoint pour un apéro au vin blanc et le repas, préparé par Yves est excellent. Notre hôte a travaillé dans la métallurgie et nous explique comment cette industrie a périclité dans la région et tout le reste avec. Dans certains villages il y avait 10 cafés, là où il n'en existe plus un seul aujourd'hui ; c'est bien ce que nous avons constaté sur le chemin, nous qui avons si soif tous les jours. Bien entendu je lui montre mon caillou : c'est du "laitier", c'est-à-dire un résidu de la couche de chaux que l'on place au-dessus du minerai en fusion pour empêcher l'oxydation. L'Équipement l'utilise pour le comblement des ornières sur les chemins. Peut-être l'utiliserai-je moi-même pour augmenter le tas de cailloux de la Cruz de Ferro.

La soupe de M. Chrapek était probablement diurétique car la nuit a été baladeuse pour tous.

Mardi 9

Peu après le départ, nous passons devant un beau moulin à toiture orientable, bien restauré, avec tous ses mécanismes et sa voilure ferlée.

À Saint-Pierre-le-Moûtier nous visitons la très belle église ; elle comprend une chapelle dédiée à Jeanne d'Arc qui a libéré la ville, l'an 1429, en chassant les anglais les armes à la main ; c'est précisément devant cette chapelle que nous retrouvons notre ami Robert du Yorkshire...

À Livry, petit village désert sous le soleil de plomb, nous cherchons un abri et le trouvons à l'ombre du chevet de l'église, assis dans le gazon et appuyés sur les pierres dorées. Nous dégustons notre jambon lorsqu'apparait le jeune homme "qui transporte sa tente". Il travaille dans l'industrie du luxe et crée aussi des dessins animés illustrant des contes animaliers. Il est sur le chemin avec l'idée de faire le point avant son mariage. Nous parlons de la Corse, son ile natale et j'évoque ma découverte, au cours d'une promenade avec masque et tuba, d'un animal étonnant qui m'avait amené à écrire au musée de Monaco pour apprendre qu'il s'agissait d'un "lièvre de mer". Il saute sur place en nous expliquant qu'il a depuis longtemps le projet de réaliser un conte qui met en scène cet animal qui le fascine et qu'en entrant dans le village où il nous a rencontré, il était précisément en train d'y réfléchir. Combien y avait-il de chances qu'il nous voit dans notre coin reculé, qu'il s'arrête, qu'il s'assoit avec nous et que je parle d'un animal aussi peu répandu et peu commun dans les conversations entre gens normaux ? À mon avis, aucune ; il n'y aurait donc pas de hasard ?

pont sur l'Allier

Nous franchissons l'Allier et je dessine le pont où s'est déroulé un épisode héroïque de la guerre en juin 1940. Nous entrons dans le département de l'Allier et la région du Bourbonnais.

Dans le village de Le Veuldre, nous sommes au gîte de Mme Foucaud, kiné et édile municipale, pèlerine active, comme les époux Chramek qui doivent reprendre leur chemin en décembre à Astorga ; elle doit reprendre à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous sommes avec Robert. C'est très calme, dans la verdure, rien à visiter, on se repose bien.

Au menu du repas que Mme Foucaud nous apporte, il y a de la limousine. Son mari, qui nous rend visite, est éleveur et s'est détourné de la charolaise que nous voyons peupler les prairies depuis Vézelay.

Depuis hier nous voyons des cigognes et notre hôte nous apprend qu'il existe une cinquantaine de couples sur les bords de l'Allier et que deux petits naissent chaque année.

Cet hébergement est vraiment excellent, il faut le dire.

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Mercredi 10 juin

À l'exception d'un court passage dans la forêt, où nous verrons un lapin et une cigogne, toute l'étape est sur le goudron et sous la chaleur : les chemins ont disparus pour les besoins de l'élevage intensif. Les bas cotés sont inégaux et dangereux pour les chevilles, de sorte que nous devons nous arrêter chaque fois qu'un véhicule passe. La route est très fréquentée, dans un sens comme dans l'autre. Certains conducteurs ralentissent et s'écartent, ce sont probablement des pèlerins...

À Lurcy-Levis nous visitons l'église où nous rencontrons les deux hospitaliers du gîte de ce soir.

Nous arrivons à Valigny où l'hôtel Relais de la Forêt nous tend les bras, c'est là que Robert fait étape. Nous sommes tentés. Nous prenons une glace et repartons car nous nous sentons bien pour 10 km de plus. Mais ce sera terrible : de longues lignes droites interminables sous le soleil de 15 à 17 heures, avec ces conducteurs dans leur voiture climatisée qui nous frôlent en nous ignorant. Vers la fin le ciel se couvre cependant et nous aurons quelques gouttes qui ne nous mouilleront pas.

Nous arrivons à 17 h 30 à Ainay-le-Château, épuisés et sommes reçus par les hospitaliers rencontrés ce matin. Ils sont charmants. Lui est du Morbihan, elle néerlandaise.

Nous partageons un petit dortoir avec un cycliste parti ce matin de Nevers, ancien pilote d'avion. Nous faisons un gros effort pour participer au repas, excellent ; nous n'avons qu'une envie : aller nous coucher tout de suite. C'est dommage car nos hôtes sont adorables et intéressants. Ils m'interdisent de les aider et de faire la vaisselle...

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Jeudi 11

Excellent petit déj. Avec nos hôtes et le cycliste-aviateur, puis traversée vers 8h30 du village où nous rencontrons Robert qui vient de faire les 10 km pénibles que nous avons parcourus hier et qui est en nage. Visite des remparts ; l'église est fermée.

Avant de quitter Ainay-le-Château je dessine l'ancienne porte fortifiée.

sortie d'Ainay

Le chemin est mille fois plus agréable aujourd'hui. Nous quittons l'Allier pour le département du Cher et le Berry. Nous marchons sur un plateau qui domine une vallée au fond de laquelle s'étend, rectiligne, l'ancien canal du Berry.

Très belle église, mais fermée. Deux boulangeries mais pas d'épicerie. Nous mangeons sur un banc le gâteau à la cerise offert ce matin par nos hôtes.

Long parcours au soleil brulant sur le goudron avant de rejoindre le canal, bordé d'arbres et dans l'herbe. Six kilomètres tout droit jusqu'à Saint-Amand-Montrond. Nous dérangeons des hérons et une cigogne.

Longue traversée de la ville pour arriver au foyer des Jeunes Travailleurs. C'est un véritable parador, tout neuf, chambre individuelle avec commodités individuelles, draps, ascenseur ultra moderne, salle de jeux avec billard, TV grand écran, bibliothèque, salle de sport. Les pèlerins sont acceptés, mais il n'y a que nous. Nous avons fait une erreur de choisir cet hébergement où ne nous sentons pas à notre place, au milieu de quelques accidentés de la vie que nous verrons au réfectoire. Après une excellente nuit, je serai satisfait de m'en aller...

le long de l'eau

Vendredi 12

Nous avons prévu une petite étape aujourd'hui mais nous allons errer dans la ville pendant une bonne heure avant d'en trouver la sortie. Nous arrivons à Bouzais où se trouve un hébergement que l'on aurait dû choisir plutôt que s'arrêter à Saint-Amand. C'est un petit hameau vert et coquetau milieu duquel coule une gentille rivière. Dommage. Nous sommes là, sur un banc devant le gîte, lorsque passe Catherine, pharmacienne en Seine-et-Marne, très gouailleuse, une pèche d'enfer, qui dort où elle peut, parfois à la belle étoile, en marchant 30km tous les jours. Nous restons avec elle jusqu'à Loye. Nous sommes les premiers pèlerins qu'elle rencontre depuis 8 jours. Nous prenons un verre au café et nous nous séparons avec regret.

Nous prenons ensuite notre gîte, "relais de Forêt Vieille" chez Monsieur Paul Gravost, homme charmant, veuf et agé, qui vit avec son fils François. Toute critique du confort ou de la propreté du lieu serait déplacée tant la gentillesse de cet homme cultivé et distingué est émouvante. Simplement, un lavabo serait le bienvenu.

Nous utilisons pour le repas du soir le solde d'un paquet de pâtes que j'ai dans mon sac depuis 8 jours, auquel nous ajoutons la sauce bolognaise tirée des provisions de M.Gravost.

La cuisine est largement équipée d'un grand nombre d'apareils ménagers, tous hors service, mais qui reprennent vie lorsque Paul les baptise "plans de travail".

Il y a dans le dortoir, où nous sommes seuls, de nombreux livres sur Compostelle, dont celui de Luc Adrian, intéressant.

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Samedi 13

Paul nous a préparé un bon petit dejeuner et avant de partir. Il nous prend en photo, ainsi qu'il le fait avec tous les pèlerins qui passent et qui se retrouvent dans un album que l'on peut consulter au gîte. Nous avons pu constater qu'il y a surtout des hollandais, des belges, des autrichiens, des allemands et des suisses. Lorsque nous partons, le bocage est noyé par la brume et nous traversons des bois sombres, des ruisseaux sous des moulins enfouis dans la verdure.

Magnifique parcours, une de nos meilleures matinées depuis Vézelay, jusqu'à l'abbaye de Puyferrand, superbe ouvrage roman.

À partir de là les choses se gâtent un peu : le soleil a dissipé la brume, la chaleur lourde est revenue avec le goudron. Au Chatelet nous devons absolument faire des courses et le Super marché nous oblige à un gros détour. Nous cassons la croûte aux Archers, village de potiers depuis le Moyen Âge.

Après ce petit répit, galère jusqu'à Chateaumeillant (cependant, très jolie traversée de Saint-Jeanvrin).

Nous sommes accueillis par Madame Nicolet qui vit dans le centre du bourg mais nous héberge dans un mobil home bien aménagé sur un terrain à peu de distance, où son époux entretient un potager et un lapin. Nous dégustons illico d'excellentes cerises cueillies sur l'arbre et après le repos habituel allons en ville faire nos courses pour les repas de ce soir et demain.

Nous dînons dans le jardin, devant le mobil home mais rentrons vite car un bel orage nous tombe dessus.

M. Nicolet vient prendre le lapin pour le ramener chez lui, à 300 mètres, pour la nuit, avant de le remettre au jardin le lendemain matin ; c'est ainsi depuis des années... (à moins qu'il ne craigne la voracité des pèlerins).

Dimanche 14

L'orage de cette nuit a calmé la température. Matinée un peu sur le goudron, un peu dans les hautes herbes, entre le blé et le tournesol. Première grimpette digne de ce nom depuis Vézelay.

Aujourd'hui, comme bien souvent, nous ne rencontrerons aucun pèlerin, tout juste un homme à bicyclette qui s'arrête pour bavarder agréablement avec nous quelques instants.

Le village Lacs est désert à midi et nous déjeunons sur un banc devant la belle église romane dont les modillons sont dignes d'intérêt ; certains représentent des têtes de singe.

Ce matin, dès le départ nous avons pénétré dans le département de l'Indre et nous franchissons la rivière éponyme en entrant dans La Châtre, théâtre de l'œuvre de Georges Sand.

Notre gîte est au presbytère où nous sommes accueillis par une très gentille paroissienne bénévole. Là nous sommes rejoints par Laurenzo, notre ami corse, amateur de lièvre de mer. Il a ramassé près des Ormeaux, dans un champ labouré, une coquille fossilisée qui ressemble à un ormeau ; il y en avait des centaines.

Voilà, notre première expérience de la voie de Vézelay va finir ici car nos obligations familiales nous rappellent, mais nous nous promettons de reprendre bientôt la route, là où nous la quittons.


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