J'habite dans le sud de la France au pied des Pyrénées. Notre grand fleuve ici, c'est la Garonne qui a sa source dans le Val d'Aran, en Espagne.
Le village le plus proche de l'autre côté de la frontière s'appelle Lés. La Garonne y passe et la route de France en ville s'appelle rue Saint-Jacques.
D'ailleurs, au centre, sur la façade d'un vieux café-bar se trouve une niche triangulaire qui abrite une statuette, une statuette de saint Jacques bien sûr !
Attendez, rien n'est sûr ! Lors de mon avant dernier passage, en septembre (2014) c'était un saint Jacques matamore et il y a quelques jours,
en octobre, un saint Jacques pèlerin !
À l'issue de la cruelle guerre civile qui ravagea l'Espagne de 1936 à 1939, de nombreux Espagnols du camp républicain vaincu se
réfugièrent en France,
notamment dans le sud toulousain. Mal traités par la République Française ils ne participèrent pas à sa défense en 1940.
Mal traités par le gouvernement de Vichy (comme "métèques") et l'occupant allemand, ils
furent nombreux à rallier les rangs de la Résistance et à rejoindre les maquis.
Pour les communistes, ce ne fut, naturellement, qu'après la rupture du pacte germano-soviétique en juin 1941.
Ces Espagnols, encadrés par le Parti Communiste Espagnol, prirent part, nombreux, aux combats de harcèlement des troupes nazies.
Ainsi, ils facilitèrent la réussite des débarquements de Normandie (juin 1944) et de Provence (août 1944).
On sait que plusieurs unités de la 2eDB de Leclerc étaient composées d'Espagnols notamment lors de la Libération de Paris
en août 1944. Le sud toulousain se libéra lui-même, avec eux, grâce certes aux parachutages d'armes, mais aussi au
repli vers le nord des troupes allemandes. Ensuite, hélas, ces Espagnols ne participèrent
plus vraiment à la lutte contre l'Allemagne nazie. En octobre 1944, alors que la France est encore partiellement occupée
(Leclerc n'arrive à Strasbourg qu'en décembre et les Allemands lancent une contre attaque dans les Ardennes),
des exilés espagnols "guérilleros" et pour la plupart membres du Parti Communiste Espagnol, croient bon d'utiliser leurs armes,
munitions et autres équipements de maquisards non contre l'Allemagne nazie mais contre l'Espagne franquiste.
On imagine que le Général de Gaulle, les Alliés anglo-américains et l'URSS n'apprécièrent pas du tout ce
"lâchage" qui risque de provoquer l'ouverture d'un nouveau front au sud.
Ils en gardèrent une profonde méfiance vis-à-vis de ces Espagnols fantasques.
Tout au long des Pyrénées, il y eut des franchissements de la frontière par des unités plus ou moins importantes de combattants (au total 14.000 ?).
L'attaque militaire la plus notable se fit au centre de la chaîne, au Val d'Aran. On dit que quatre ou cinq mille "guerilleros"
probablement pas bien équipés, participèrent à l'opération. La "reconquête" commença le 19 octobre 1944,
mais le commandement resta à Toulouse.
On rencontra assez vite une forte résistance de l'armée régulière espagnole et pas de soutien de la population.
Ces "guérilleros" manquaient-ils de conviction ? Se comportèrent-ils "correctement" vis-à-vis de la population française
(approvisionement en vivres, carburant, armes, munitions, camions...) ?
Se comportèrent-ils judicieusement en arrivant en Espagne ? Moscou (Staline ?) dut-il rappeler, comme la France combattante, que la priorité
était de lutter contre l'Allemagne nazie ?
Quoi qu'il en soit, ils se replièrent très vite (le 27 octobre, 8 jours !) sur la France mais ne
gagnèrent pas le front des Vosges et du Rhin ou les poches de l'Atlantique.
Les soldats de Franco eurent la sagesse de rester en Espagne et ne pas franchir la frontière.
Le gouvernement du Général de Gaulle tenta de désarmer ces "milices" mais n'y parvint pas. Les gouvernements
suivants fermèrent la frontière deux ans à partir de mars 1946 mais ils n'osèrent pas trop démembrer cette armée
étrangère.
Elle ne le fut qu'au début des années cinquante !
À la frontière, face à la France, on afficha un portrait de Franco.
À Lès (5km de la frontière), on installa dans une niche une statuette de saint Jacques "combattant du Christ",
défenseur du christianisme contre les "rouges" de France.
Un "matamore" traditionnel, sur un cheval blanc, l'épée en avant vers la France avec deux ennemis terrassés au sol. Curieusement, avec le retour de la
démocratie, cette statuette devint "transparente", les habitants ne la voyaient plus.
J'eus l'occasion d'interroger le maire durant l'été 2014.
Il prétendit ignorer son existence mais quelques semaines plus tard, le matamore en plâtre avait disparu.
À sa place, trônait un saint Jacques pèlerin, en plastique. Effacer les images du passé, est-ce une bonne solution ?
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Le 16 septembre (1944), j'étais à Toulouse... une "division" espagnole se formait dans la région avec le but, hautement publié, de marcher sur Barcelone...
Je fis connaître aux chefs espagnols que le gouvernement français n'oublierait pas les services...rendus dans nos maquis, mais que
l'accés de la frontière des Pyrénées leur était interdit.
... (Le 28 octobre) passant outre aux objectifs de plusieurs et aux démarches de divers comités, j'amène le gouvernement à ordonner
formellement la dissolution des milices.
Mémoires de Guerre, Charles de Gaulle.
La Gendarmerie Française "laisse faire, laisse passer".
Le journal l'Humanité (Paris, Organe central du PCF) en octobre 1944, ne parle pas de l'opération. Le journal ABC (Madrid) n'en
parlera qu'après.
À la bouche sud du tunnel de Viella, un panneau informatif de 2011 du Conseil Général du Val d'Aran, fait
durer 12 jours l'opération et ajoute que "le drapeau tricolore ( bleu, blanc, rouge ? rouge, jaune, violet ?)
ondoya dans beaucoup de villages de la vallée". La photo d'illustration, hélas, a été prise à Perpignan.
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