Journal de Juan Holgado ©.

Ce texte a été traduit en français avec l'autorisation de l'auteur pour le site web de l'Association Française des Pèlerins de Saint Jacques de Compostelle. Il figure en espagnol sur http://www.jaholgado.com

Prologue

...Dans cette première incursion sur le chemin de Saint Jacques du Nord dans son passage par la zone intérieure des Asturies, j'ai été étonné de ne rencontrer aucun pèlerin durant les trois jours de mon cheminement. Je suppose, et on me l'a confirmé, qu'il y pendant la saison estivale pas mal de marcheurs mais on ne doit pas atteindre des chiffres extravagants. L'itinéraire est terriblement dur avec d'importants dénivelés qui obligent à de continuels efforts ; en outre il faudra prendre en compte le manque de refuges et d'endroits pour passer la nuit. Le manque de monuments historiques d'une certaine ampleur, en dehors des grandes villes, est largement compensé par de superbes paysages et d'extraordinaires panoramas, des zones boisées, des vertes prairies tout au long de l'année, des petits villages où la vie s'écoule paisiblement, des modestes constructions au toit d'ardoise et des beaux greniers en bois sans oublier le caractère sympathique et attentionné de ses humbles habitants, presque tous avancés en âge. Ces vieilles personnes le plus souvent s'aident d'une canne pour marcher car elles souffrent de rhumatismes et d'arthrose que favorise l'intense humidité qui règne presque tout au long de l'année. Ajoutons un climat hostile en permanence, des chemins continuellement boueux et parsemés de flaques d'eau. Pour ces personnes âgées, la vie n'a presque pas changé si on excepte ces dernières années les commodités à l'intérieur des maisons : Réchauds électriques, chauffage, télévision, téléphone, etc. Leurs douleurs, ils les traînent depuis des lustres, toute une vie de travaux durs et peu rémunérés dans la campagne en plus des privations qu'on peut imaginer et qui ont marqué leur corps qu'ils sortent maintenant péniblement devant leur maison pour jouir des maigres rayons des rares jours ensoleillés.

Première période automne 2000, d'Oviedo à Grandas de Salime.

Oviedo - Salas, 26 octobre 2000, 42 km

L'autocar de la compagnie ALSA m'a déposé avant 6 heures du matin au terminal routier d'Oviedo. Celui-ci se trouve à côté de la gare de chemin de fer (Renfe) et, de ce fait, très près de l'itinéraire du chemin de Saint Jacques qui traverse la capitale de la Principauté des Asturies. Vers 4 heures du matin, quand mon autocar est sorti du tunnel et descendait vers Campomanes, il pleuvait intensément. La pluie a continué jusqu'à l'arrivée à Oviedo m'incitant à penser que le début de mon camino serait bien arrosé. Par bonheur, tel n'a pas été le cas ! La brume, un peu plus humide par moments, a donné l'impression de me mouiller mais sans parvenir à me tremper. À la mi-journée, le soleil a failli se montrer et a fait monter pas mal la température. J'ai même du me mettre en manches courtes. Il faisait nuit noire alors que j'attendais à la gare routière et j'en ai profité pour me renseigner sur les services et les horaires pour mon trajet de retour de Grandas de Salime où je souhaite arriver. Peu après 6h30, je sortis repérer le balisage du Camino vers la sortie de la capitale. Ce fut facile car j'avais tracé l'itinéraire sur un plan. Petit à petit en attendant l'arrivée du jour je me suis mis à la recherche des coquilles dorées placées aux croisements des rues. Grâce à l'éclairage, j'ai pu suivre l'itinéraire de nuit donc jusqu'à Loriana à 6,5 km. À partir de là, la route était en travaux et le jour se levait. Le balisage est assez bon bien que le dessin des flèches et marques soit un peu bâclé. Mais l'important a été de ne pas se perdre. L'itinéraire se déroule à 70% sur des chemins, sentiers, pistes ou chaussées peu fréquentées. Du coup, le parcours a été très agréable, certes avec plein d'humidité et de la boue partout et en quantité. J'ai fini avec de la glaise jusqu'aux genoux. En contrepartie les bois étaient très beaux, pleins de senteurs et la température délicieuse. Les châtaigniers me bombardaient au passage et les fruits couvraient le sol. Je suppose que les sangliers font des orgies de châtaignes. Je les ai goûté moi aussi et les ai trouvé bien bonnes presque comme des figues très mûres. Certes les monuments du chemin principal me manquent mais le chemin lui même est bien plus beau par ici. De plus, je n'ai rencontré aucun pèlerin : tranquillité et quiétude, un vrai plaisir !

J'ai vu des châtaigniers centenaires, des chênes gigantesques, d'énormes eucalyptus et plein de houx. La forêt est superbe à cette époque de l'année. J'ai vu plein de maisons abandonnées ainsi que de nombreuses exploitations agricoles comme partout en zone rurale. J'ai traversé le fleuve Nalon où le débit était élevé et l'eau très sale ainsi que la Narcea avant leur confluence... Demain je passerai la vallée du Navia et j'imagine que ce sera pareil. Il est vrai que ces dernières semaines ont été très pluvieuses. C'est pourquoi les niveaux des rivières sont hauts. Vers 12h, j'arrive à Grado. J'achète dans une pâtisserie deux ou trois choses et je déjeune dans un parc, assis sur un ban, un vrai plaisir. Il doit faire 16 degrés environ.

De là, en suivant le cours du ruisseau Ferrera, je commence la très forte montée du versant du Pic del Forca jusqu'au Alto del Fresno où se trouve le Sanctuaire de la Vierge del Fresno. Le dénivelé est important et c'est une suite continuelle de montées et descentes. Rien à voir avec le chemin principal (de Compostelle). J'ai franchi rivières et torrents sur de bien jolis petits ponts, très anciens et bien conservés. D'autres ont été emportés par les crues de sorte que le chemin doit parfois faire un grand détour à la recherche d'un passage par un pont moderne. Un autre village remarquable est Cornellana, en bordure du Narcea avec le Monastère de San Salvador en cours de restauration. Salas aussi, le but de mon étape aujourd'hui, avec une usine Danone. Le village se situe dans une zone très fertile. C'est une grande vallée avec de nombreux pâturages et des scieries. J'ai parcouru aussi de grandes carrières notamment une sablière comme je n'en avais jamais vu. Vers 5 heures 30, j'arrive à Salas. On me loge dans une auberge qui utilise les murailles anciennes et de vieilles installations comme une tour médiévale. Le tout est en bon état et porte le nom de château de Valdés-Salas. C'est bien agréable et à petit prix. En face se trouve l'église collégiale de Santa Maria. Le centre ancien est tout petit. J'ai eu des problèmes avec les chiens. Le chemin traverse des hameaux et des fermes avec des chiens ; certes ils sont attachés au bout de courroies ou de chaînes mais ils me donnent de grandes frayeurs car je n'ai qu'une vague idée de la longueur de leur lien. Comme les chemins sont étroits, la distance entre moi et leurs crocs n'est parfois pas bien grande à mon grand dam. De nombreux chemins traditionnels ont été réutilisés comme le "Camin de Grao", "Camin de Misa", "El Morriondo", etc.

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Salas - Pola de Allande, 27 octobre 2000, 50 km

Une autre journée que je n'oublierai pas ! Le temps a été splendide, la nature est à son moment critique de l'automne et tout m'a réussi ! Seul point noir, la boue. Une fois de plus, j'ai eu affaire à cette satanée boue. Parfois, étant fatigué de faire attention où je posais mes pieds et de chercher à ne pas m'enfoncer jusqu'aux genoux, j'allais tout droit sans précaution aussi j'ai récupéré comme la veille de la glaise plein les chevilles. Cette nuit, j'ai eu un sommeil bien mérité et me suis reposé de 10 heures jusqu'à 7 heures et demi du matin avec une seule interruption. Au lever, j'étais comme neuf, prêt à toute épreuve, plein d'énergie et disposé à partir à la conquête du monde. Plus tard, vers 5 heures de l'après-midi quand pèseront les kilomètres, ce ne sera plus le cas. À 8 heures, je quitte l'auberge et entre dans un bar ouvert pour prendre un bon petit déjeuner et laisser passer le temps car le jour ne s'est pas encore levé et mon orientation ne serait dès lors pas possible. Ainsi à 8h30, je quitte Salas pour aborder la forte côte et m'échauffer rapidement, puis suer à grosses gouttes avec un dénivelé de 400 m. Comme il fait sombre encore, je monte par la route. Il y a peu de voitures et je vais bon train. Ici à Salas, je vois le ciel étoilé ; là-haut quand j'arrive au col, c'est autre chose. La brume est épaisse et on ne voit que dalle à vingt mètres ! Je remonte la vallée du Nonaya qui, dans sa partie haute, se creuse en ravin profond bordé par un beau bois de châtaigniers et de chênes. Quand je franchis le col qui est à 650 m, le brouillard est très dense et humide mais 100 m plus haut le soleil brille et la vue s'étend sur de grandes distances. Ainsi je peux distinguer toute la Cordillère Cantabrique et ses sommets renommés entre Somiedo et le col de Leitariegos. Plus à l'ouest, on voit Los Ancares et la branche voisine en Galice ; tout un spectacle avec une mer de nuages dans les vallées basses. Je longe le versant des Altos de Pereda dans des paysages inoubliables. Les bois de châtaigniers, chênes, hêtres, bouleaux, noisetiers, etc. ont en ce moment leur couverture automnale dont les couleurs sont avivées par le brillant soleil du matin. Ces tonalités sont rehaussées par le vert des prairies. Je crois rêver et il me semble bien difficile de décrire tant de beauté. Le milan guette, perché sur la tête d'un hêtre. Les bruits de la forêt me sont familiers sauf certains que j'ignore ; mais c'est le bombardement constant des châtaignes qui domine la quiétude et le silence...

Parfois les chemins laissent entrevoir sur de courts tronçons un antique pavage. Je suppose qu'on a réutilisé les pavés pour d'autres besoins. Encore ainsi, en examinant leur tracé, on se rend compte que ce furent des voies de communication entre tous les centres habités. J'arrive à Tineo par la partie haute à travers la promenade de Los Frailes, lieu enchanteur d'abord à cause de ses hêtres et ses chênes millénaires, ensuite de par sa situation qui surplombe le noyau urbain avec en  toile de fond les sommets cantabriques entourés de vertes prairies et de forêts magnifiques. Mon impression de Tineo a donc été gratifiante. Il est maintenant 12h30 et j'ai devant moi l'ascension de Las Canteronas, une montée de près de 300 m qui épuise mes forces par un beau chemin qui me permet de voir les environs. C'est comme une fenêtre car le chemin est flanqué de grands châtaigniers et, entre eux, j'aperçois le beau paysage. De plus je bénéficie de la protection de leur ombre agréable. Je garde à ma gauche la vallée de la rivière Narcea et je ne passerai dans le bassin du fleuve Navia que demain. Des hauteurs de Piedratecha, je descends à travers le plus merveilleux des bois, touffu et beau, avec un mélange de chênes, hêtres et châtaigniers. Un vrai délice dont on profite en marchant.

Je traverse une série de hameaux et, par une route peu fréquentée, je me dirige vers le col de la Lavadoira. Plusieurs habitants de la région, plutôt âgés, profitent de la soirée ensoleillée pour faire une promenade dans les tranquilles et paisibles hêtraies. En plusieurs occasions, je lie conversation avec eux . Je fais ainsi une petite parenthèse et discute un moment mais je ne peux me permettre le luxe de m'attarder car il me faut encore plusieurs heures pour atteindre Pola de Allande. Dans cette zone, les bouleaux et les hêtres atteignent 40 ou 50 mètres à la recherche des rayons du soleil . Cette partie est la plus belle du parcours, loin des zones peuplées et des axes routiers, une oasis de nature. À 6 heures, quand j'arrive au col de la Lavadoira, je regarde en arrière et vois que les brumes commencent à monter de la côte. Je descends rapidement vers Allande le long d'un chemin très pentu mais très direct. En quelques minutes, il me conduit à Pola de Allande où j'arrive à 7 heures. À l'entrée, je rencontre une vieille dame qui me surprend en admiration devant un manoir. Elle me dit qu'elle appartient à un "indiano", un "indien" qui habite Porto Rico. Pour d'autres maisons, certaines de mauvais goût, d'autres dans la tradition, on fera référence à ces émigrants. Ma déduction approuvée par la dame est que ces indiens ne s'adaptent pas ; ils sont étrangers de par leur origine et leur lieu de travail actuel. Pola de Allande se situe dans une belle vallée, le destin ne semble pas lui avoir été très favorable sur le plan économique. Toutefois c'est un des plus bel endroit de l'intérieur des Asturies. Il est 7 heures et je prends une chambre à l'Hostal la Allandesa. Demain sera un autre jour et pour l'instant, toilette, dîner et repos.

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Pola de Allande - Grandas de Salime, 28 octobre 2000, 32 km

Cette nuit aussi, j'ai superbement dormi. Ça ne m'étonne pas, après les dures journées, je tombe d'épuisement. De plus la chambre était chauffée et mon linge un peu mouillé a bien séché ainsi que mes bottes. L'hôtel est épatant, très bien aménagé et moderne. Il n'y a pas foule, je crois que 2 ou 3 chambres seulement sont occupées. Le restaurant n'était pas plein non plus mais il y eu des convives pour 6/8 tables. Le dîner fut à la hauteur de mon attente et le prix très raisonnable. Au total 30 euros pour la chambre et le repas.

Vers 8h15, je termine mon petit déjeuner et aborde la dernière journée (de cette marche d'octobre 2000). Elle sera, comment en douter, très dure. Le panneau qui se trouve à la sortie de la ville sur la route de Grandas de Salime affiche 43 km. Par le chemin naturellement, ce sera autre chose. L'économie sur la distance réclame de l'effort car les dénivelés sont plus importants que par la route. Pendant cette étape, le balisage sera très déficient. Ainsi rien qu'à la sortie de Pola de Allande quand on quitte la route pour suivre la rive du Nison à la hauteur du hameau d'El Mazo, il n'y pas de marque. Je me dirige vers le fond de la vallée et, au bout d'une demi heure sur un beau petit chemin en bordure de rivière, j'aboutis dans un pré. La vallée se rétrécit et la pente des versants est très inclinée. J'attaque par le versant de droite. Je grimpe dans une zone brûlée en montant mètre après mètre. Je sue à grosses gouttes pour m'élever finalement de 200 m et voir un chemin qui zigzague sur la hauteur. Je le prends et maintenant j'avance plus doucement Je distingue en bas Pola de Allande et, dans le lointain, le spectacle de l'aurore. Un fort vent qui, au fur et à mesure de mon ascension, se fait plus intense et désagréable commence à souffler . Vers les 700 m, les dénivelés s'adoucissent et des prairies apparaissent . Des juments et des chevaux paissent tranquillement dans les environs. Je m'engage sur une piste de terre avec des traces de 4x4. Je suppose que c'est en rapport avec l'entretien du bétail. Je finis de monter et, de l'autre côté, apparaît la route en lacets qui grimpe au col del Palo qui se situe à 1145 m. Le chemin y débouche sur la route près d'une fontaine. Sur 800 m, je suivrai la chaussée où très peu d'autos circulent. Au col, il y a un vent d'enfer et il fait un peu froid. Maintenant le chemin descend tout droit recoupant les lacets de la route et en direction du petit village de Montefurado où il n'y a qu'une maison habitée. Les maisons sont d'architecture traditionnelle, toit en ardoise et greniers classiques en bois (horreos). Je suis passé maintenant au bassin du fleuve Navia et d'ici la vue est vaste. Au fond, à l'ouest le col del Acebo et la province de Lugo, vers le sud-est la chaîne cantabrique dans la zone de Los Ancares et du Parc de Muniellos. Maintenant je suivrai la route sur plusieurs kilomètres à une altitude de 900/1000 m avec un vent qui continue à être très désagréable. Je traverse plusieurs hameaux et à Berducedo qui est un peu plus gros, je m'arrête dans un bar pour un bref repos et une conversation animée avec le propriétaire. Il est presque une heure et je retourne sur le chemin pour escalader un autre coteau puis descendre au village de La Mesa où il y a un refuge de pèlerins qui ne semble pas avoir été très utilisé. Encore une forte montée à un autre col où plusieurs cervidés paissent tranquillement dans un pré. En m'apercevant, ils détalent comme des flèches. Je suis à 1100 m d'altitude et la descente au barrage de Salime qui est à 100 m d'altitude me fera dévaler d'un kilomètre sur un très court trajet. Je laisse derrière moi Buspol où il y eu autrefois un hôpital pour pèlerins avec une petite chapelle d'ardoise qui a l'air d'un jouet. Je commence la descente vertigineuse vers le barrage dont je vois le lac couleur bleu-vert. Après une interminable descente et sans être sûr de suivre le chemin correct puisque, comme je l'ai dit plus tôt, il n'y a pas de balisage, je prends un chemin de terre fréquenté par des véhicules tout-terrain. En effet dans les environs, on replante la forêt. Je continue en direction du barrage que j'aperçois au fond. Je rencontre plusieurs chasseurs près de deux véhicules, ils me disent que je suis dans la bonne direction. Je continue donc pendant un bon moment jusqu'au point où le chemin quitte la piste vers la gauche pour pénétrer dans une belle châtaigneraie. Ici d'autres chasseurs bien armés m'invitent à faire attention car d'autres sont à l'affût d'un sanglier traqué par des chiens. Dès lors, c'est en chantant et en sifflant pour me signaler que je traverse la belle châtaigneraie jusqu'à atteindre la route et passer sur le barrage. Je rencontre quelqu'un du pays qui descend dans la même direction chargé d'un bidon sur l'épaule. C'est un homme de près de 70 ans qui porte du miel jusqu'à l'hôtel plus loin. Il me dit que le miel est expédié à Gijon et qu'il vient d'un village dans la montagne. Je tente de l'aider mais je suis à peine capable de soulever  le bidon du sol. Il doit bien peser 20 kg et le pauvre homme doit monter et descendre les côtes avec ça sur l'épaule. Dur travail ! À 3h30, j'arrive à Grandas de Salime. Je m'informe sur les transports pour rejoindre Oviedo ou Lugo. On me dit que pour Oviedo, il n'y en a pas en raison d'un conflit entre le village et l'entreprise Alsa au sujet d'un changement unilatéral des horaires. La solution alternative est d'aller à Fonsagrada, à près de 30 km et de là jusqu'à Lugo. Comme c'est samedi, il n'y a pas de service l'après-midi pour Fonsagrada. En conséquence, je prends un taxi et de Fonsagrada un autocar qui part à 6h15 pour Lugo où finalement j'embarquerai à minuit dans un autre autocar qui me laissera à Madrid à 6h30 du matin. Par ailleurs, en arrivant à Grandas de Salime à 3h30, il a commencé à pleuvoir. Les environs se couvrent de nuages et ça tombe intensément. J'y ai échappé d'un poil, si la pluie m'avait surpris dans les montagnes, j'étais frais ! Le voyage jusqu'à Fonsagrada en taxi sous une pluie intense, avec brouillard et vent violent, m'a permis d'entrevoir les environs, réellement beaux, chênaies, bois de houx, etc. qui me laissent un bon goût dans la bouche pour la suite quand je reviendrai sur le Camino de Santiago Primitivo.

Deuxième période, de Grandas-de-Salime à Saint-Jacques-de-Compostelle en mai 2001.

Grandas de Salime - O Cadavo (Baleira), 18 mai 2001, 52 km

De nouveau, je reprends le chemin de Saint Jacques appelé Primitif là où je l'ai laissé en automne dernier, soit à Grandas de Salime, avec le but d'arriver à Saint-Jacques-de-Compostelle en 4 jours. Hier soir à Madrid, je suis monté dans un car Alsa pour Lugo où je suis descendu à 6h15 du matin. Au bout d'une heure, j'ai pris un autre autocar qui me transfère à Fonsagrada. De là à Grandas de Salime, 28 km, c'est un aimable habitant du pays qui me conduit jusqu'à l'entrée de Grandas. Quelle chance j'ai eu ! Dans la zone du col del Acebo, quand nous sommes passés en voiture, il y avait beaucoup de brouillard et un vent froid fort et désagréable. Plus tard, quand je suis passé à pied, le ciel était dégagé et il faisait un temps très agréable. À 9 heures, je commence le camino. À certains moments, il suit la route ; sur les tronçons herbeux, il y a tellement de rosée que je me trempe les bottes et le pantalon ; sur d'autres, je finis couvert de boue jusqu'aux genoux. C'est un mélange de glaise et de bouse de vache répugnante et désagréable. De temps en temps, je prends la route où il n'y a presque pas de circulation et où je chemine très bien. On me dit qu'il a beaucoup plu jusqu'à deux jours auparavant, aussi la campagne et les arbres sont superbes. C'est un plaisir de tout voir si vert et avec autant de fleurs. Les paysans ne se plaignent pas cette année de la sécheresse. Il doit bien y avoir quelque chose de positif car généralement tout est malheur pour eux. Il y a des zones de la chaussée pleines d'escargots écrasés par les voitures en plus d'autres bestioles friandes d'humidité comme crapauds, grenouilles, limaces, salamandres, etc. Signe de temps pluvieux. Je traverse plusieurs petits hameaux de 5 ou 6 maisons, presque toutes vides. Les maisons et autres dépendances sont faites de lauzes d'ardoise, certaines sont en granite mais toutes ont un aspect terriblement humide . Parfois je m'arrête pour regarder en arrière par où je suis passé à l'automne, spécialement la descente vers le barrage de Salime. À présent je peux constater le formidable dénivelé. Parfois le chemin traverse des boqueteaux de pins ou de chênes, c'est alors un plaisir de cheminer à l'ombre et sous le gazouillis d'une multitude d'oiseaux. Le chant du coucou se fait aussi entendre au loin, annonce du printemps. J'ai traversé des zones avec de beaux et grands spécimens de houx et aussi de bouleaux et de chênes. Ces derniers ont le feuillage un peu en retard. Alors que la journée avance, la température monte et il fait même chaud mais, dans les zones les plus hautes et orientées au nord, la brise est plutôt fraîche. Par moments, j'ai une bonne perspective de la Cordillère Cantabrique du côté des Ancares avec les versants ouest couverts de neige. Il ne reste plus que quelques jours avant que ne disparaisse leur manteau blanc. J'ai eu aussi sous les yeux la région des Oscos que je visiterai un jour car j'ai lu que c'est très beau et très près de cette zone-ci. Vers une heure, avant d'arriver à Fonsagrada, je rattrape deux pèlerins adultes français. Ils sont partis à 7 heures du même endroit que moi et en 26km je les ai rattrapés bien que je n'aille pas très vite. L'un a deux ans de plus que moi et l'autre est plus vieux. Ils disent avoir l'habitude de marcher et de fait, ils ont parcouru le chemin de Saint Jacques par différents itinéraires. L'un des deux n'est pas sportif et ils s'arrêteront pour dormir à Fonsagrada. Comme il est 2 heures et que j'ai une faim terrible, je demande où il y a un endroit recommandable. C'est ainsi que je m'installe dans la salle presque comble du restaurant Cantabrico avec l'intention de manger dignement. La recommandation est bonne. J'ai mangé comme un prince et à bon prix. J'ai passé à table près de deux heures pour me préparer à affronter ce qui me reste du trajet qui sera long et dur. J'ai déjà mentionné que ce Camino Primitivo est terriblement dur, avec sans cesse des montées et descentes en forte pente. Au col de l'Hospital, à près de 1000 m d'altitude, je bénéficie d'un vaste panorama. Alors que je prends quelques photos et suis en pleine contemplation, apparaît quelqu'un qui s'avére s'appeler José Antonio avec lequel je me lance dans une conversation animée. Il me raconte qu'il y a pas mal de temps il y avait ici une sorte d'auberge avec une petite église. Quand il faisait mauvais temps et qu'il n'y avait pas de visibilité, on faisait sonner la cloche pour que les gens puissent s'orienter car c'était un passage obligé pour conduire les troupeaux aux foires et aux autres pâturages. Maintenant tout est en ruines et personne ne passe plus par ici. Je prends congé de José Antonio et dans le hameau plus bas, Paradavella, je rencontre par hasard son oncle. Maintenant je traverse un autre hameau avec un nom réellement curieux "A Degolada". Je ne peux imaginer la raison qui a donné ce nom, toutefois c'est dans une zone boisée de chênes et les parages sont magnifiques. Quand je commence la descente vers ma destination du jour, après la traversée du hameau de A Fontaneira, vers 7h30, une bise froide qui commence à m'énerver se met à souffler. La température dégringole à toute vitesse et moi aussi de telle façon qu'un peu après 9 heures j'arrive à O Cadavo. Comme le seul endroit pour passer la nuit est le Refuge des Pèlerins, je m'y dirige. Il porte une pancarte sur la porte avec un numéro de téléphone. Immédiatement arrive une dame qui me dit que je suis l'unique locataire. Le refuge neuf est très bien entretenu. Il doit fonctionner depuis un an. Peu après arrive le mari (Leandro) qui, très aimablement, me laisse les clefs. Nous convenons d'un rendez-vous demain à 8h30 pour mon départ. J'ai terriblement sommeil et après 52 kilomètres, avec le calme et la tranquillité du lieu, je vais tomber groggy. Leandro dit que c'est la première fois qu'il a affaire à quelqu'un qui a parcouru une telle distance. Les montagnes que j'ai parcourues aujourd'hui, surtout dans la dernière partie, séparent les bassins fluviaux de l'Eo et du Navia, toujours aux altitudes entre 900 et 1000 mètres. Demain je passerai au bassin du fleuve Miño.

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O Cadavo (Baleira) - Lugo, 19 mai 2001, 32 km

Un autre jour splendide et radieux se lève bien qu'à ces premières heures, en bas dans les vallées, il y ait de la brume. Un peu plus tard, ça se dissipera et il fera assez chaud. Pas comme à Madrid où, comme me dit Manoli, il pleut abondamment et le temps est désagréable. Quelle chance j'ai ! J'ai dormi comme un loir, je n'ai entendu aucun bruit. J'ai fait la nuit d'un seul trait, bien au chaud dans le duvet sur un bon matelas et avec un bon oreiller. Leandro me dit que le refuge a été inauguré il y a un an et qu'il est bien entretenu. Il dispose même d'une plaque de cuisson de vitrocéramique pour ceux qui ont besoin de cuisiner. Aucun détail ne manque. J'écris cette chronique assis sur la Grand Place (plaza Mayor) de Lugo et, comme c'est samedi, il y a foule. De plus, un groupe de musique galicienne égaye la soirée avec ses cornemuses et ses voix bien accordées. Mais retournons à la chronique du jour. Je me lève à 7h45, ramasse mes affaires et à 8h30 je retrouve Leandro et nous partons prendre un bon café au lait (café con leche). Lui part à la cueillette de champignons à Villablino (Province de Léon) avec un ami. Un peu avant 9 heures, je commence la journée en grimpant dans la Serra de Vaqueriza à travers une pinède qui me protège du vent fort. Les cimes des arbres oscillent et le vent siffle. À partir d'ici, les hauteurs s'adoucissent au point qu'il n'y a plus de grands dénivelés et les pentes sont moins prononcées. Très au loin, j'ai les premières perspectives de Lugo. Il me reste un long chemin avant d'arriver. Les geais et les tourterelles me réjouissent le cœur pendant la traversée de la pinède et très vite j'arrive au premier village, Vilabade où il y a un manoir transformé en hôtellerie et une bonne église gothique. Je passe devant plusieurs magnifiques résidences secondaires de granite et des jardins soignés. Toutes sont d'un style très similaire, il doit s'agir du même constructeur. Je rattrape un couple (César et Casilda), lui catalan, elle galicienne. À l'heure de la retraite, ils ont préféré la belle et placide Galice pour passer le temps qu'il leur reste à vivre. Ils aiment marcher, lui spécialement qui est très fervent de la cueillette des champignons. Il se propose de marcher 20 kilomètres chaque jour. Nous continuons à parler à bâtons rompus jusqu'à Castroverde où nous nous quittons amicalement. Je me dirige vers un four où, me dit-on, la pâtisserie est bonne. J'achète pour 2,10 euros une petite tarte de Santiago qui est à se lécher les doigts. J'en aurai pour deux jours. Le chemin continue maintenant dans des zones boisées, le long de sentiers où je m'enfonce jusqu'aux genoux dans divers bourbiers d'autres composants plus désagréables. Ces petits moments de panique sont compensés par bien d'autres où j'ai joui de parages superbes plein de châtaigniers centenaires et de belles prairies à l'herbe intensément verte parsemée de mille fleurs. Des nuées de grillons ne cessent de striduler. Alors que je suis détendu et absorbé dans la tranquillité d'un sous-bois, une explosion dans le ciel me paralyse. J'aperçois la poudre brûlée d'une fusée qui indique une fête dans le prochain village. En approchant de Souto de Torres  les puissants décibels d'une musique me font songer au camp Techno-Mad dans les Alpujarras. En face du cimetière où il y a une petite église d'une vierge très vénérée, on a monté une scène avec d'énormes baffles qu'on essaye maintenant en mettant la musique à fond. Si j'étais l'un des morts enterré là, j'aurai fui comme une flèche ! Moi aussi je pars comme une âme happée par le diable. Il est midi et, comme me disent les habitants, à 1h30 il y aura  messe, vin et vermouth et m'invitent à rester. Je ne sais pas si par vermouth il faut comprendre vin, musique ou repas. Quoiqu'il en soit, je m'éloigne rapidement. C'est plein de stands de pâtisseries et de médailles de la vierge. Peu à peu arrivent diverses voitures qui se rangent dans des emplacements délimités par des cordons. Je suppose que ce sera totalement plein.

Peu après, avant d'entrer dans Vilar de Cas, je lie conversation avec un jeune qui termine ses travaux agricoles et se dirige vers le village. Je l'accompagne jusque chez lui où il m'offre 3 ou 4 verres de bonne eau fraîche.

Sur cette partie du chemin et jusqu'à Lugo, le balisage brille par son absence. Il est vraiment déficient. Il y a très peu de signalisation et celle qui existe est très effacée. Après Vilar de Cas, je rencontre un petit hameau abandonné "Soutomerille" envahi par la végétation et avec une église qui, d'après ce que j'ai lu, est d'origine préromane. Il est situé dans un beau lieu solitaire entouré de châtaigniers centenaires et de grands chênes. Un bien bel endroit ! Plus loin, une carrière a laissé un grand trou rempli d'eau et plein de grenouilles qui donnent un concert assourdissant. Le chemin traverse maintenant des petits villages et des endroits qui se ressemblent. Parfois je prends un morceau de route, puis très vite je retourne dans les bois pour arriver enfin en vue de Lugo vers 5 heures. Comme la chaleur est étouffante et la circulation intense, une charmante jeune fille (Lola) me conduit jusqu'à la partie ancienne, à deux pas de l'Hôtel Mendez Nunez à l'intérieur des murailles où hier j'ai réservé une chambre pour la nuit. À 5h30, je m'installe et prends une bonne douche. Après un court repos, je vais faire un tour dans la zone ancienne. La température commence à descendre vertigineusement. Il est 8 h et, bien que le soleil brille encore, la brise me fait frissonner. Je vais devoir me mettre à l'abri. À l'intérieur de la cafétéria, c'est autre chose. La grand place est très belle, la façade de l'Hôtel de Ville est taillée dans le granite dans un style typiquement galicien, très provincial dans le bon sens du terme. Les ruelles étroites sont calmes et paisibles et, à 10 heures, il n'y a plus personne dans les rues car aux carrefours le vent frais coupe comme un couteau.

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Lugo (Lucus Augusti) - Ribadiso, 20 mai 2001, 40 km

Hier soir je suis allé dîner dans un restaurant recommandé par la campagne de promotion "L'escapade galicienne" organisée par le Gouvernement Autonome (Xunta de Galicia). Le dîner a été assez bon mais à la fin pas de réduction de 10% annoncée dans la campagne. Tentant de faire valoir mon bon droit c'est tout juste s'il ne faut pas appeler au téléphone le Président de la Région, Don Manuel Fraga, pour qu'il donne des éclaircissements. Les employés du restaurant Casa Alberto qui, apparemment n'avaient aucune idée de ce qu'ils devaient faire, se sont esquivés...

Après m'être couché et m'être endormi profondément, je fus réveillé vers 2h30 par l'irruption dans l'hôtel du 7ème Régiment de Cavalerie à la poursuite des indiens, une troupe de jeunes faisant un boucan du diable qui par bonheur ne dura qu'une demi heure. Ensuite le calme fut absolu. Je me levai un peu avant 7 heures et à 7h15 j'appelai un taxi pour qu'il me sorte de Lugo. À 7h30 le taxi me laisse au village de O Burgo à 8 km de Lugo. Pendant que nous circulions dans la ville et ses environs de nombreux jeunes achevaient la fête de la nuit et allaient se coucher avec l'air d'avoir beaucoup travaillé. Maintenant commence le dur trajet d'une journée surprenante sur un chemin de Saint Jacques extrêmement mal signalé et qui se transformera en odyssée mettant à l'épreuve mon sens de l'orientation.

Par moments, je suis une route, celle qui mène à Palas de Rei et qui par chance n'est guère fréquentée. À d'autres moments, l'itinéraire utilise des chemins abandonnés et des sentiers envahis par les ronces et la boue. Ainsi je me trouve à un certain moment englué jusqu'aux genoux et au milieu d'orties bien piquantes. Je traverse nombre de petits hameaux sans voir personne. Tranquillité absolue et magnifiques paysages. Je circule entre des châtaigniers centenaires, de beaux bosquets de chênes et des prés bien verts. La signalisation commence à se montrer plus déficiente au point que je m'égare fréquemment. Par conséquent, je me repère par rapport à la route et y retourne chaque fois que je me perds. À la hauteur de San Pedro de Mera, une paire d'habitants tuent le temps sur le seuil de leur résidence secondaire ; ils sont de Lugo. Je leur demande s'ils peuvent remplir ma gourde et nous nous lançons dans une longue conversation. Ils me donnent plusieurs conseils pour suivre le camino mais comme toujours j'opte pour "mon" itinéraire. Sur des tronçons compliqués, le chemin disparaît dans les ronces. Il n'y a aucune indication et je retourne donc au bitume comme au village de Ferreira. À partir de là et jusqu'à Melide, c'est à dire sur 15/20 kilomètres, je ne verrai plus aucune signalisation. Au pont sur la rivière Ferreira, il y a un panneau avec l'indication de la voie romaine qui unissait Lucus Augusti (Lugo) et Iria Flavia. Toute trace matérielle a disparu et j'imagine que le camino a suivi cette voie de communication romaine ; en effet tout semble indiquer que les deux itinéraires s'inscrivent dans une trajectoire identique ou semblable. Je traverse les hameaux de Augasantas et Merlan et, dans ce dernier endroit, un habitant m'indique que si je veux aller à Melide je dois franchir la Serra de Careon à droite d'un parc d'éoliennes. Avec ce renseignement, je prends une piste qui monte vers le haut de la crête. Comme il y a plusieurs bifurcations, que je ne veux pas me perdre pour la énième fois et que je vois venir une voiture sur la piste, je l'arrête pour m'assurer des repères et de la direction. Le jeune (José Manuel) non seulement me donne aimablement les indications voulues, mais aussi propose de m'emmener jusqu'au col et même de me descendre au premier village sur l'autre versant dans la province de La Corogne, bien que ce ne soit pas sa route. Nous nous arrêtons en haut de la côte pour prendre quelques photos et avoir une vision panoramique des environs. On voit au loin Melide mais il me reste encore un bon bout de trajet. Mon ami José Manuel me dépose au village de Vilouriz. Un peu plus loin, à deux heures de l'après-midi, près d'un ruisseau en crue avec une belle cascade, je fais une pause où je termine la tarte de Santiago que j'ai acheté à Castroverde. Elle a fait un bien long usage, cette tarte d'amandes bénie! À côté de la cascade, vers le haut et vers le bas, il y a plusieurs moulins en ruine qui témoignent d'une activité passée prospère et utile. Je continue à descendre vers Melide en traversant d'autres hameaux. Il y a de plus en plus de résidences secondaires neuves. La chaleur devenant suffocante, je cherche l'ombre des arbres et arrive à Melide à 4 heures. Avant d'aborder le "camino francés", dans le premier bar que je trouve au centre et en face de l'église, je m'arrête pour prendre une bière fraîche. À la sortie de Melide, je rattrape une jeune fille qui boite ostensiblement. Ce n'est pas une pèlerine mais elle marche sur le chemin juste en face de l'un des bijoux du camino : Santa Maria de Melide, de style roman pur et avec de magnifiques peintures à l'intérieur. J'accompagne Pilar sur son trajet. Elle me dit souffrir de sclérose dégénérative. Elle me fait de la peine, si jeune dans une situation aussi dramatique. Je tente de l'encourager jusqu'à ce que nous arrivions devant chez elle. Elle reste là tandis que je continue en solitaire. Maintenant le chemin est comme une autoroute par rapport aux chemins boueux et impraticables que j'ai endurés surtout aujourd'hui. Je me souviens de mes deux passages antérieurs et, en voyant les changements survenus au cours des huit dernières années, en vérité, je trouve que l'attrait a bien diminué depuis la première fois. Peut-être la commercialisation a-t-elle été excessive et ce tronçon est une espèce de grande avenue bien qu'il n'y ait pas trop de monde ces jours-ci.. Je m'imagine ce que ça sera aux époques critiques comme l'été. Maintenant je n'ai pas besoin de regarder le balisage et je vole connaissant de mémoire l'itinéraire et chaque endroit, croisements etc.

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Je m'ennuie un peu. Vers 6h30, j'arrive à Ribadiso de Baixo où je prétends passer la nuit au refuge des pèlerins. La responsable se souvient de mon passage il y a 7 ans. J'avais dit que j'arrivais de Portomarin et elle m'avait répondu qu'elle ne se souvenait que d'un autre pèlerin ayant couvert une telle distance en un jour. Le refuge est à moitié plein, soit 25 marcheurs environ, presque tous étrangers, français, allemands, britanniques, etc. Avec Alain, un retraité français, ingénieur en aéronautique de Toulouse, nous allons à un bar voisin qui porte le nom de "O Muiño", le moulin, où nous prenons une bière. Au retour, Alain reste au refuge. Son épouse viendra l'attendre à Saint-Jacques le 24. Ils rentreront ensemble en France. Il est parti, il y a 28 jours de Saint-Jean-Pied-de-Port. Il beaucoup pratiqué la montagne et nous avons assez longuement parlé de toutes les Pyrénées. Maintenant je suis dans un bar proche du refuge "Casa Manuel". J'y dîne et récupère des forces. Demain pour arriver à Saint-Jacques, je me lèverai tôt. J'espère me reposer cette nuit et être en forme. En fait je me trouve merveilleusement bien, aujourd'hui j'aurais pu encore marcher sans problème 10 kilomètres.

Ribadiso de Baixo Santiago (Lavacolla), 21 mai 2001, 30 km

Hier soir après le dîner, je me suis mêlé à un groupe de pèlerins allemands qui font le camino à cheval. Puis à 10 heures, retour au refuge et petite conversation avec deux couples basques, enfin à 11 heures concert. Nous devons être une trentaine et la musique commence rapidement. Le trombone précède le cor et  les 3 ou 4 artistes qui nous donnent la sérénade habituelle se succèdent ainsi. Vers minuit, fatigué de tant de musique et pensant que le concert durerait jusqu'à l'aube, je plie bagage et m'en vais dans la salle à manger où je m'installe sur le sol en ciment avec ma natte supersonique pour dormir comme un angelot. Je laisse la porte ouverte pour laisser entrer la fraîcheur, le son mélodieux du ruisseau voisin et la douce lumière de la lune, rien à voir avec la salle des concerts. À 6h30 je me lève, récupère mes affaires et avant 7h j'abandonne le refuge dans la fraîcheur du matin radieux. À Arzua, je prends un bon café au lait et prends vite mon rythme de croisière de 5/6 km par heure, ce qui est une bonne moyenne. Rapidement je rattrape une jeune australienne qui a quitté le refuge un peu avant moi. La pauvre est quelque peu éreintée. Encore deux kilomètres et je rattrape aussi un brésilien adulte (José Bernaldez) avec qui je converse un bon moment. De nouveau un tronçon solitaire de près de deux heures jusqu'au moment où je rattrape une dame belge âgée (Christine) qui, avec l'appui de son mari en caravane, fait une quinzaine de kilomètres par jour. Je passe par le monument du pèlerin allemand qui mourut en 1993 et plus loin celui de Mariano Sanchez-Covisa, mort le 23-9-93 lui aussi sur le chemin. Cet homme fut très connu pour son rôle dans les années de transition 70. C'était le dirigeant des Guerilleros du Christ Roi, groupuscule infâme de caractère violent et agressif. Dans la montée du Alto de Santa Irene, alors que la chaleur commence à être forte et qu'il est près de 10h30, mes tripes rugissent. Pour assouvir ma faim, je m'arrête à l'hôtel O Pino où je mange un morceau de fromage et bois un petit verre de vin blanc d'Albariño. Le bout du chemin est proche, j'élabore donc mon plan de retour. Si je respecte mon projet initial jusqu'au bout, j'arriverai à Saint-Jacques et prendrai l'autocar pour Madrid à 9h30 ce soir pour arriver à la maison à 6h30 du matin après une nuit de voyage. Alors que j'approche de Lavacolla et passe près de l'aéroport, je prends la décision de passer à l'aérogare voir les vols, les prix et si ça me convient je retournerai confortablement à la maison. J'abandonne le camino au kilomètre 10 et pénètre dans l'aéroport. Spanair propose un vol à 3h30 de l'après-midi et il est 1h. Le billet spécial pèlerins coûte 60 euros. C'est décidé, je rentre à la maison en avion. Au moment de l'enregistrement, compte tenu probablement du faible nombre de voyageurs, à ma grande surprise, le vol est annulé. Quelle  déception ! On me propose de prendre à la place le vol Ibéria de 6h30 et on me donne un bon pour un repas. Quelle autre solution ? Cela aurait pu être bien pire ! Je garde le sentiment qu'on s'est moqué de moi car à 1h, quand j'ai acheté le billet, ils devaient bien savoir que le vol était annulé. (NB : Le traducteur a eu la même mésaventure sur un autre vol de Spanair !). Bon, il faut prendre son mal en patience.

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Les 10 kilomètres qui m'ont manqué pour arriver à Saint-Jacques sont les plus assommants du trajet. Il y a d'abord le passage au Monte del Gozo et ses constructions pharaoniques, ensuite les voies d'accès à Saint-Jacques avec une circulation intense, le bruit, les feux tricolores, etc. Au total, la mission de découvrir le Chemin Primitif par l'intérieur de la Principauté des Asturies et par Lugo était accomplie.

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