ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE

Le tunnel Saint-Adrien, enfin !

(Chemin de Saint Jacques de Compostelle dit de l'intérieur)

José Martinez Almoyna

J'avais décidé en septembre 2015 de faire «enfin» le parcours du chemin de Saint Jacques par le tunnel Saint-Adrien au pays basque. Après consultation de guides, de cartes topographiques, d'horaires de trains, de listes d'hébergements, de photos, de sites internet, je me suis construit tout un parcours et tout un programme.

Je parvins à Irun, à la frontière espagnole à la mi-journée du vendredi 9 octobre 2015. Au guichet de la gare, je pris un billet pour Brincola (Brinkola, allez comprendre la différence !) l'autre bout de la ligne C1 de la banlieue de Saint-Sébastien. La rame composée de 3 longues voitures confortables était à quai. Le parcours de bout en bout dura 1h30. Je n'aperçus l'eau de la mer qu'un court instant vers Pasages (Pasaia Donibane en basque). J'eus à traverser une multitude de zones commerciales, de zones et friches industrielles, d'espaces encombrés de routes, viaducs, bretelles, voies rapides pour aboutir finalement à une bourgade minuscule au fond d'une vallée quasi alpestre. Une plaque dans la gare indiquait : altitude 460m et précisait « au-dessus du niveau moyen de la mer à Alicante ». Tout voyageur attentif comme moi en conclut que l'altitude du milieu du pont Saint-Jacques qui relie Hendaye en France et Irun en Espagne est différente selon l'origine de l'information, France ou Espagne car notre 0 de référence est à Marseille !

Avec les cartes 1/25000e de l'IGN d'Espagne et celles de Google maps, j'avais préparé un itinéraire de la vallée de l'Ibaia où se trouve Brinkola vers la vallée de l'Oria, voisine et parallèle où passe le «camino del interior». Il n'y avait pas de route, mais des pistes, des chemins ruraux et des sentiers permettant, en 9km, de franchir un col à 800m d'altitude. Sous la pluie et/ou dans le brouillard, j'aurais hésité mais il y avait un grand soleil et j'avais 4 heures devant moi avant la nuit. Je ne comptais pas sur l'aide des panneaux indicateurs car, par expérience, je sais qu'ils sont rares et/ou incompréhensibles ou hors de propos. Aucun panneau n'indiquera Cegama ou Zegama ni aucun autre endroit figurant sur la carte. Les noms des chemins qui figurent sur Google earth, c'est à mourir de rire. Qu'ils conduisent au Nord, à l'Est, l'Ouest ou au Sud, ils affichent tous la même étiquette. Par exemple, on a d'abord une bonne dizaine de fois Brinkola Diseminado Barreiatua puis, Arrietaaldea Auzoa, plus loin. (Bougre d'imbécile, tu t'engages sur la Brinkola Diseminado Barreiatua et au bout de 800m, tu parviens à un triple carrefour. Tu ne prends ni la Brinkola Diseminado Barreiatua ni la Brinkola Diseminado Barreiatua mais oui la Brinkola Diseminado Barreiatua. Attention, 50m plus loin la Brinkola Diseminado Barreiatua qui s'écarte de ta Brinkola Diseminado Barreiatua aboutit à un cul de sac au bout de 3km ...)

Bref, le mieux, c'est une carte et une boussole ou le GPS. Ce fût, pour moi, une rude, très rude montée mais il faisait beau et le panorama était plutôt superbe. La descente aussi fut éprouvante, car la pente était forte et que je du couper à travers champs...

carte ign 1 carte ign 2 carte ign 3 carte ign 4 carte ign 5 carte ign 6 carte ign 7
gare d'Irun entre Brinkola et Zegama descente sur Zegama église San Martin, Zegama statue saint Martin
- Gare d'Irun
- Entre Brinkola et le col
- Descente sur Zegama
- Église San Martin de Zegama
- Statue de saint Martin

J'ai rencontré deux, trois 4x4 mais pas de piéton. Après avoir côtoyé plusieurs fermes isolées dotées, bien sûr, de chiens gueulards, j'ai abouti à Zegama (ou Cegama, allez comprendre la différence !), un joli village possédant une belle église Saint-Martin de Tours (fermée), un hôtel-restaurant, plusieurs bars, divers commerces, des beaux bâtiments et des balises jacquaires.

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Samedi 10 octobre, du sérieux au programme avec plus de 20km à parcourir et un col à 1150m à franchir soit 850m à grimper. Le ciel était bleu, le temps s'annonçait magnifique. Devant l'église, l'horizon était fermé très haut par la vaste barre rocheuse blanche de la sierra de Aizkorri. À un grand stand de cuisson, deux gaillards commençaient à faire griller des gros piments rouges parfumés tirés d'une camionnette.

La zone à parcourir jusqu'au col est presque inhabitée . Pas de village, mais quelques bâtiments isolés et, de temps à autre, des panneaux incompréhensibles, des balises jacquaires ou des flèches peintes jaunes. On arrive à la hauteur de la voie ferrée Irun-Madrid, puis on la dépasse. De temps en temps, en se retournant, on a une belle vue sur Zegama et sa vallée. Souvent, on est dans les bois. Quand on parvient à la chapelle Sancti Spiritus, le tunnel, clou de ce camino, est proche. On a devant soi le vaste cirque de Lizarrate recouvert de prairies et fermé par une barre rocheuse blanche où il y a un petit trou noir. Sur la gauche, en contre-bas, on aperçoit comme une sorte de chalet que la carte IGN dénome : mikeleten etxea (maison des miquelets, une ancienne milice propre au Pays basque). Les guides consultés disent refuge et précisent "en ruine" ou "fermé".

maison des miquelets bouche sud chapelle entre le tunnel et le col photo 19e siècle
- Maison des miquelets
- Le tunnel droit devant
- Chapelle Saint-Adrien dans le tunnel
- Ancienne chaussée aprè le tunnel
- Vieille photo

En effet, on doit traverser un tunnel naturel qu'emprunte notre chemin de Saint Jacques. L'endroit est très impressionnant. Il est un peu défiguré et de façon extravagante. D'abord, il y a deux lignes de haute tension dont une passe juste au dessus de l'entrée. Pas à 100m ou à 200m sur le côté mais exactement à la verticale de la bouche du tunnel.

L'ouverture est murée et le mur comporte un portail maintenant sans vantail. En retrait, sous la vaste voûte, on aperçoit immédiatement une chapelle et les fondations d'autres constructions. Deux graffitis sur les murs blancs de la chapelle sont des slogans réclamant le regroupement au Pays basque des braves terroristes condamnés pour divers attentats et responsables de plusieurs centaines de vulgaires cadavres et d'une multitude d'estropiés. Ces graffitis nous disent que les terroristes ou les bourreaux et leurs commanditaires méritent plus notre compassion que leurs victimes, l'inverse donc du message de saint Adrien à qui cette chapelle est consacrée. Saint Adrien a été martyrisé sauvagement vers 305. Il vivait en Bithynie (au nord de l'actuelle Turquie).

Le troisième acte affligeant de dégradation du patrimoine est celui d'une association jacquaire régionale qui a cru bon de fixer récemment une grosse coquille de pierre sur la chapelle. Pourquoi pas une machine à tamponner les crédenciales ?

Une quatrième dégradation est apparue en 2016 avec la mise en place de quelques filets anti chute de pierres sur la voûte. À croire que le tunnel n'est pas «classé» monument historique, qu'on l'a exclu du périmètre du Parc Naturel qui l'entoure ou qu'il n'est qu'un élément dérisoire du réseau des chemins de Saint-Jacques «Premier Itinéraire Culturel Européen et Patrimoine de l' Humanité».

Une légende veut que Charles Quint y ait dû baisser la tête pour la première fois de sa vie. C'est probablement faux car les archéologues nous disent que la vieille chaussée dans le tunnel était environ 2 à 3m plus bas que le sol actuel et qu'elle était encadrée par toute une série de constructions des deux côtés. En plus de la chapelle, il y a eu une auberge, divers entrepôts, des écuries, une citerne, diverses structures fortifiées en bois et pierre et même un cimetière. Les fouilles ont procuré des témoignages de présence humaine depuis 14000 ans, le Magdalénien des grottes de Lascaux en France et Altamira en Espagne. L'endroit est depuis le Moyen-âge, étiqueté Saint Adrien. Au Magdalénien, personne ne sait  ! Il semble que parfois la consécration à la sainte Trinité ait remplacé celle à saint Adrien.

Une vieille photo de la fin du 19e siècle est assez surprenante puisqu'on y voit les façades de l'auberge et du bâtiment abritant la garnison des miliciens sensés protéger le passage qui donnait lieu à péage. Les piétons qui ne pouvaient ou ne voulaient pas payer cette taxe avaient la possibilité de grimper le long de la paroi sur la droite pour rejoindre le col de Lizarrate au dessus. On voit d'ailleurs dans la pente quelques marches creusées par ci et par là dans le roc. Mais cet aménagement est peut être seulement l'œuvre récente des électriciens installateurs des lignes de haute tension.

bouche nord La bouche nord du tunnel se situe au creux d'un entonnoir herbu, une doline. Autour et en hauteur, on aperçoit des traces de murs, probablement l'ancien château dont parlent les archéologues. Sur le côté, une borne localise un vague tumulus préhistorique.

Après le tunnel, l'ascension se poursuit et c'est épuisant ! Le temps est magnifique, la forêt est superbe. La chaussée refaite de multiples fois depuis le Moyen-âge et jusqu'au 19e siècle, est en très mauvais état. Il y a plein de bosses et de trous car les pierres sont disjointes. On passe de la province de Gipuzkoa à celle d'Alava. Les panneaux restent le plus souvent incompréhensibles mais les flèches jaunes rassurent le pèlerin. Le col, à 1150m, porte le nom de La Horca, c'est-à-dire, le gibet. La zone était infestée de bandits, on exhibait ici ceux qu'on attrapait et qu'on pendait «pour l'exemple».

La descente m'a semblé interminable. J'atteignis enfin la plaine avec la chaîne de montagne si belle dans le dos. Le premier village, Zalduendo (610m), disposait de 2 gîtes ruraux mais ils étaient pleins. Il y avait en effet un pont au week-end, lundi étant fête nationale. On célèbre, en effet, le 12 la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb ou on fête Pilar, Notre Dame du Pilier. L'église de Zalduendo, assez belle, est dédiée à saint Saturnin, notre saint Sernin toulousain.

Il reste 5km pour Salvatierra (Agurain en basque, allez comprendre la différence !) avec à mi-chemin un bourg, Erdoñana ou Ordoñana, sur un petit monticule.

Salvatierra est en fête et la pension se trouve sur la grand'place, le foyer des décibels. Heureusement, il y a un refuge pour pèlerins en zone périphérique. Un pèlerin italien qui m'a vu arriver et qui prenait un verre parmi les fêtards m'y conduit. Une bonne douche lave ma sueur et emporte une partie de ma fatigue.

Dimanche 11. J'ai la possibilité de faire une étape de 13km seulement. C'est bien assez pour moi ! La normale semble être couramment de 25-30km sur cet itinéraire ! Je ne cherche même pas un café-bar pour le petit-déjeuner et pars vers l'ouest dans le petit jour blême. Je perds le balisage par inattention mais le retrouve quelques kilomètres plus loin à Gaceo grâce à ma carte. Au village d'Esquerecocha on est encore dans la plaine mais après sa gare on doit franchir une ligne de collines avant de descendre vers Alegria (Dulanzi en basque, allez comprendre la différence !) est un mignon gros village avec refuge. Il fait beau, les bars et restaurants sont ouverts.

Lundi 12 octobre . Vitoria, la capitale du Pays basque est à 17km. J'ai noté deux adresses proches de la gare pour mon hébergement. J'avance doucement et atteins les premiers immeubles à l'heure du déjeuner.

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