Légende du vieil Ambroise.
Légende glanée par Pierre Alves.
Le vieil Ambroise était carrier dans le Vivarais. Il avait perdu la compagne
de ses jours et, quoique âgé, il avait décidé pour obtenir son paradis
d'aller à Saint-Jacques-de-Compostelle et aussi de s'abstenir de vin.
Marchant difficilement, il perdit le groupe dans l'Aubrac. Attaqué par des
loups, il ne dut son salut qu'en entrant dans l'eau glacée du lac. Il fut
arraché à une mort certaine par des cavaliers qui étaient des Frères
Hospitaliers.
Il continua son chemin mais ses pas devenaient de plus en plus lents si bien
qu'à une étape - dont personne ne peut préciser le nom - ses compagnons
décidèrent de le laisser, en recommandant à l'aubergiste du lieu, moyennant
une somme d'argent, de s'occuper du lui jusqu'à leur retour. Un des
pèlerins, pour être sûr qu'il ne pourrait plus les rejoindre, lui déroba son
bâton et le jeta loin dans des buissons épais.
Ambroise se réveilla, comprit qu'on l'avait abandonné, ne vit plus son
bourdon et s'écria : " Santiago ! "
Alors la lumière se fit dans la vieille tête toute simple et sans
complication. Il sortit de la grange oú il avait dormi pour couper un autre
morceau de bois. Hélas ! Pas d'arbre autour de lui, rien que de l'herbe
parsemée de quelques touffes de plantes sauvages : des mauves. L'une des
tiges, plus haute que les autres, portait une fleur. Ambroise saisit la tige
fleurie.
La mauve, un jour, nous dit la chanson, s'ouvrit pour recevoir Jésus enfant.
Ici, la mauve se raidit et au contact de la vieille main d'Ambroise, la tige
grandit et s'affermit. L'homme sentit cette vigueur végétale se communiquer
à tout son être. Il arracha vigoureusement la mauve devenue arbuste, la
débarrassa de ses feuilles et la serrant très fortement dans sa main se
remit en marche.
Au bout du bâton, la petite fleur se balançait doucement et, quand le soir
fut venu, elle se ferma en chiffonnant sa belle robe qui ne servait plus à
rien, ayant bien rempli sa mission.
De son pas retrouvé d'homme jeune et vigoureux, Ambroise est bien arrivé à
Santiago.
Janine Ducrot, Vers Compostelle, (Nouvelles éditions latines).
Dans la cathédrale, devant la statue de saint Jacques au lourd manteau d'
argent, comme ses compagnons Ambroise s'est prosterné - non pas agenouillé
mais prosterné - le chapeau posé devant lui, le bâton à son côté.
Au bout d'un long moment, les uns après les autres, les pèlerins se
relèvent. Sauf Ambroise qui, le sourire aux lèvres, s'est endormi d'un
sommeil paisible et bienheureux.
À Padron, ses amis ont ramassé une coquille qu'ils ont attachée à une
humble croix, à l'extrémité d'une tombe fraîche. La coquille témoignera de
quelle manière Ambroise a gagné son paradis.
Georges Blond, l'Homme, ce pèlerin.
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