ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE
Voyage au ponant, à Saint-Jacques de Galice et Finisterre à travers la France et l'Espagne.
de Domenico Laffi Bolognese
traduction de José Martinez-Almoyna en cours
Voyage de Roncevaux à Pampelune
Ayant quitté cette chapelle, nous commençâmes à descendre sur un quart de lieue,
sans parvenir à ce Roncevaux tant désiré au point que l'anxiété nous épuisa. Le bonheur
fût d'autant plus intense car au milieu de toutes ses montagnes et de ces grands arbres
nous nous figurâmes être encore loin et, tout d'un coup, nous étions au portail.
Nous dévalâmes des marches et entrâmes sous un grand porche. À la suite, sur la droite,
se trouvent de nombreuses tombes anciennes, dans lesquelles reposent les restes de
nombreux rois, ducs, marquis, comtes, palatins et seigneurs qui périrent lors du
grand fait d'armes qui a marqué les mémoires pour des siècles. Sur la gauche se trouve
l'église principale, très ancienne, que Charlemagne fit construire et où
l'Évèque Turpin célébrait la messe.
À notre arrivée, on chantait solennellement la messe avec de la musique
à l'espagnole où n'interviennent pas d'autres instruments que des cornemuses (?)
de plusieurs tons qui provoquent un énorme fracas au point que nous ne pûmes
rien entendre pendant un bon laps de temps. L'orgue constitué de tubes en étain
et en bois domine en sonnant toutes les cornemuses en sourdine ou à pleine puissance.
Aussi, nous ne pûmes entendre pas grand chose ou presque rien, une chose prenant
le pas sur l'autre selon l'oreille qui écoute et tout sur le même ton.
Il y avait de nombreux chanoines en surplis (*). Ils portaient soutane noire à l'espagnole
avec une croix verte sur la poitrine, côté du chœur. Le haut de cette
croix s'incurve vers la droite à la manière d'une crosse d'évêque. Ils portent
également un petit rochet (*) blanc pour officier dans le chœur avec mosette
(* divers habits ecclésiastiques) noire sur laquelle
ils portent la même croix. Ils officient vraiment bien, avec beaucoup de sérénité
et de dévotion et ils entretiennent magnifiquement l'église comme cela se fait partout en
Espagne. Nous entrâmes dans la sacristie pour demander s'il était possible de dire la messe.
Aussi, une fois la chose faite, nous rendîmes grâce au sacristain et demandâmes pardon
devant le maître autel. C'est un superbe autel ancien avec une pieuse image de la bienheureuse
Vierge et une grande quantité de lampes énormes, toutes d'argent. Sur le devant,
il y a une grille épaisse, grande et haute et à son sommet est accroché le
cor de Roland, long de presque deux brasses et d'une seule pièce. Il y a une
fente du côté où on souffle. Elle se produisit, comme déjà dit, en haut des Pyrénées,
alors qu'il appelait Charlemagne en attente à Saint-Jean-Pied-de-Port. Roland en effet était
allé percevoir le tribut de Marsile, roi d'Aragon. À côté de ce cor, il
y a deux masses d'arme en fer. Une de Roland, l'autre de Renaud, elles furent
utilisées lors de la bataille. Elles pendaient de leurs selles. Elles sont faites
comme un gros bâton d'une coudée de long. Au bout, il y a une chaînette de fer d'un
empan de long. À son extrémité, se trouve une boule de fer massif,
constituée de huit faces et autres formes distinctes. Il y a aussi le bouclier en fer de
Roland et ses bottes ou ses chausses. On nous dit que l'évêque les porte
lorsqu'il célébre la grand messe dans les grandes occasions.
Nous quittâmes l'église et parcourûmes la zone pour voir les parties anciennes.
Un peu à l'extérieur, à quatre pas, il y a une chapelle que fit construire
Charlemagne après la mort de Roland et ses palatins. Lorsque nous y entrâmes,
nous vîmes qu'on y disait la messe et nous y restâmes jusqu'à son achèvement.
La messe est un peu différente de la nôtre dans son déroulement mais guère.
À l' Élévation par exemple, ils bénissent le pain rompu en petits
morceaux et à la Communion, après la distribution, ils l'emportent à travers l'église
dans une sorte de terrine recouverte d'une serviette blanche. Ils donnent à
baiser en même temps une grande médaille comme nous faisons lorsqu'on
donne la paix. Dans cette chapelle ne disent la messe que les gens de qualité.
Elle a la forme d'un carré parfait, elle n'est pas très haute et est située à
l'endroit exact où Roland, au terme de la seconde bataille, se mit à genoux,
nous dit-on. Tourné vers Roncevaux, il pleura avec ses compagnons disant
ces paroles ou de semblables : "Oh triste, oh malheureuse vallée, tu seras à jamais
à jamais ensanglantée !" On nous dit également que tous les barons présents
demandèrent à Roland de sonner du cor.
...
On a ici un grand et bel hôpital où les pèlerins peuvent séjourner
l'espace de trois jours, manger et dormir et où on les les traite très bien.
C'est l'un des plus riches que nous ayons rencontré pendant ce voyage.
L'après midi, après avoir dîné, nous allâmes sur la place prendre le frais et nous
vîmes qu'on y jouait à la crosse avec la règle suivante : on dispose quatre madriers sur le sol
formant un carré parfait. Chacun a une boule en bois, grosse comme celle avec laquelle
nous jouons à la pétanque. Ils ont aussi une espèce de batte avec manche, concave
au milieu comme une gouttière. Au centre du jeu, on dispose un cerceau en fer.
Pour lancer la boule, ils la font rouler dans la gouttière creusée dans la crosse
en cherchant à l'envoyer dans le cerceau. Celui qui ne l'entre pas perd et celui qui
boule l'adversaire gagne, ainsi que celui qui sort du jeu, c'est à dire des quatre madriers.
Ils lancent toujours avec ces crosses et les joueurs ne peuvent être que deux.
Comme ils avaient joué douze manches et que le jeu n'était pas totalement conclu, nous
assistâmes à la partie sans en voir la fin. Nous gagnâmes ensuite le refuge de manière
à pouvoir partir tôt le lendemain car il y avait déjà deux jours
que nous étions là. Le lendemain matin, nous quittâmes Roncevaux et, au moment de
partir, nous voulûmes de nouveau voir la tombe de Roland, nous
disant intérieurement que seul Dieu savait si nous la reverrions. Nous la regardâmes
longuement et gravâmes nos noms et prénoms avec la pointe d'un couteau sur une des
pierres du tombeau. Nous jetâmes ensuite un regard sur tout Roncevaux qui est
vraiment prospère avec en abondance du bétail dont les chanoines sont propriétaires
et seigneurs absolus ainsi que de tout le reste. Ils sont donc réellement riches.
Après un dernièr regard sur le tombeau et sur cette contrée, nous
avançâmes en descendant peu à peu dans la plaine, nous retournant maintes fois
vers la droite pour revoir Roncevaux car nous regrettions de le quitter. Finalement
nous le perdîmes de vue et lui donnâmes le dernier adieu. Nous
poursuivîmes notre voyage vers un endroit appelé Burguete à une lieue. Nous
déjeunàmes dans les environs de Burguete à côté d'une source délicieuse.
Cette zone est pleine de bergers avec du gros bétail : vaches, chevaux,
moutons, cochons et autres bêtes. Il y en a en grande quantité. En effet,
de grandes prairies sont disponibles car la terre y est riche et fertile.
De là, nous cheminâmes jusqu'au Pont du Paradis (Zubiri),
à une distance de trois lieues (en vérité près de 18km)
en traversant des bois et zones montagneuses difficiles et abruptes où on ne
distinguait ni sentier ni chemin. De près du sommet d'une crête, nous aperçûmes
le pont. Avec l'anxiété d'y parvenir, nous commençâmes à descendre à grandes enjambées
bien que la pente fût abrupte et qu'il y eût de multiples et horribles précipices.
Comme j'ai dit, il n'y avait aucun sentier qui indiquât le cheminement. Étant,
de nombreuses fois, sur le point de tomber et après de grandes
difficultés et de grands dangers, nous arrivâmes enfin au pont du Paradis
tant désiré. À vrai dire, c'est plutôt le pont de l'enfer. Ce pont est
jeté sur une rivière large et profonde qui coule entre deux hautes montagnes...
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À l'entrée du pont, il y a de soi-disant soldats ou, comme ils disent
plutôt, des bandits et assassins qui, profitant de l'isolement de l'endroit,
rançonnent les voyageurs. Comme il y a constamment des gens qui passent, ils nous dirent
qu'il convenait de payer et de bonne grâce car, à la moindre résistance, ils vous
donnent la rivière comme sépulture. Dès lors, pour éviter ce désagrément, il faut
donner ce qu'ils veulent. Ce sont les soldats ou les malfrats d'un certain Don Jaime,
seigneur de la Torbaca, un des principaux chevaliers de Cordoue qui se convertit
en chef de bande et sévit dans toute cette zone de la Navarre avec mil hommes.
Ils assassinent la première personne qu'ils rencontrent, désolant les terres et
même les châteaux et ils s'acoquinent avec la pire engeance. Nous demandâmes le chemin
de Pampelune et combien il fallait payer pour passer le pont. Ils nous montrèrent le
véritable chemin et nous dirent que le prix était d'un real d'argent par tête soit
un paolo de notre monnaie.
Ils nous demandèrent de quel pays nous étions et où nous allions. Nous répondîmes
Italiens et que nous allions en Galice. Ils nous laissèrent passer en nous
demandant si nous passerions par là au retour. Nous leur dîmes que oui pour faciliter
notre passage et les saluâmes avec grande courtoisie mais avec grande frayeur et
tremblements car tous les pèlerins que nous rencontrâmes avaient été maltraités
par ces hommes.
Finalement, avec l'aide de Dieu, nous passâmes mais ces hommes n'arrêtaient pas
de nous regarder de travers et de murmurer entre eux.
Mélangés à d'autres pour qu'ils ne nous distinguent pas, nous nous mîmes à courir
si terrorisés que nous ne regardions pas en arrière. Nous courûmes tant sans répit
que nous parvînmes à une terre appelée Larrasoaña (Risogna pour Laffi)
, à une distance d'une lieue.
Étant arrivés à cet endroit qui nous semblait un petit paradis, nous rendîmes
grâce à Dieu et à saint Jacques pour nous avoir délivré de ces assassins. Avec leur
aide, ils nous avaient laissé partir pour ensuite au retour nous dévaliser. Raison qui
nous fit prendre un autre chemin.
À notre arrivée à Larrasoaña,
nous nous reposâmes un peu. C'est un bel endroit, riche et
bien peuplé où convergent de nombreuses personnes des terres voisines et c'est
bien agréable à voir. Nous quittâmes cet endroit et parvînmes dans une superbe plaine
d'où on aperçoit la grande ville de Pampelune qui présente au loin un bel aspect.
Elle est située sur une petite colline dominante à pas plus de quatre lieues du
début de la plaine.