ASSOCIATION FRANÇAISE des PÈLERINS de SAINT JACQUES de COMPOSTELLE
Voyage au ponant, à Saint-Jacques de Galice et Finisterre à travers la France et l'Espagne.
de Domenico Laffi
traduction de José Martinez-Almoyna
De Burgos à Léon
Burgos est vraiment une belle et grande ville ; métropole de la Vieille-Castille,
où fût, dans d'autres temps, la cour du roi.
Elle est située dans une magnifique et large plaine au milieu de laquelle
coule une délicieuse rivière qui l'arrose abondamment.
La cathédrale est des plus anciennes et vastes avec une façade
vraiment superbe de haut en bas, toute modelée de nombreuses sculptures.
Dedans, elle est d'une architecture grandiose également toute décorée
avec des peintures sans pareilles.
Sur son flanc, il y a une construction des plus somptueuse et royale. En direction
du midi, il y a le Palais Épiscopal vers lequel nous
nous dirigeâmes pour faire timbrer nos crédenciales, puis ensuite
nous nous consacrâmes à la visite de nombreux couvents
de moines et de bonnes sœurs
et autres grands édifices très anciens. Finalement, nous
allâmes chez les moines de Saint-Augustin dire la messe et nous la
célébrâmes à l'autel du Christ Saint, appelé
Christ de Burgos.
C'est un des trois crucifix fait par Nicomède et cette sainte image ferait
vraiment fondre de
compassion jusqu'aux pierres si celles-ci étaient capables de sentiments.
Il est si bien fait et provoque une telle compassion qu'il vous arrache
des larmes de pitié. Par son côté merveilleux, il laisse de
pierre certains spectateurs - ce dont ils demandent absolution car c'est
le véritable et réel portrait du Christ quand, déchiré
par la flagellation, il avait perdu tout semblant d'humanité.
La messe célébrée, nous nous dirigeâmes vers la
sacristie et y laissâmes les habits sacerdotaux. Le sacristain nous fit cadeau de
pain bénit que les pères ici
répartissent dans un grand geste de dévotion ; il est très
bon pour de nombreuses maladies, en particulier contre la fièvre.
Il y a ici aussi une fontaine,
appelée du Christ, d'où surgit une eau très douce qu'on donne
à boire par dévotion. Après avoir vu encore quelques
objets divers, nous sortîmes de là
et parcourûmes la ville en marchant un quart de mille par la rive droite
sur un grand espace de galets plein d'arbres sur l'une et l'autre rive.
Au bout, se trouve l'Hôpital qui, de par ses dimensions, semble être
une autre ville. Je ne crois pas qu'il y ait chose similaire en Espagne.
Sa capacité est de deux mille personnes. Grande est la charité
répartie aux pèlerins. On donne bien à manger et dormir.
On y trouve ici une personne qui s'exprime dans toutes les langues et, en compagnie
d'un moine de Saint François de l'ordre des Déchaussés,
ils sont en charge de cet hôpital qui s'appelle Hospital del Rey.
Ils n'ont de supérieur que le roi.
Nous n'avions pas fait une lieue après avoir laissé cet hôpital
que nous arrivâmes à un petit pays qui se prénomme Orivella.
À sa lisière se trouve un couvent de Chartreux très grand
mais comme il est éloigné du chemin, on a édifié
une maison en bordure de celui-ci. Elle héberge les pèlerins et
donne pain et vin pour qu'ils économisent le voyage jusqu'au couvent
car il est très facile ici de se perdre. En effet, plus avant, on ne
distingue rien parce que tout n'est que ciel et plaine pelée et sableuse.
Dans cette maison, nous rencontrâmes trois Allemands qui se dirigeaient
vers la Galice et devinrent nos compagnons. Nous cheminâmes toute la
journée dans cette plaine embrasée, pas tellement par le soleil,
mais par une nuée de sauterelles qui avaient tout dévasté.
On ne voit aucun arbre, ni aucun brin d'herbe, que des cailloux et du sable.
Il y a une telle quantité de ces maudits criquets qu'on ne peut
avancer qu'avec difficulté. À chaque pas, il s'en élève
un nuage dans l'air au point qu'on ne peut voir le ciel.
Cela dura pendant les six lieues qu'il y a entre Burgos et Hontanas
(del Camino, Fontana pour Laffi).
Une fois franchi, grâce à Dieu, ce désert de sable, nous
parvînmes au bourg qui s'appelle Hontanas et nous y passâmes
l'après-midi. Il est caché au creux de la vallée d'un ruisselet
qu'on voit à peine avant d'y pénétrer.
L'infortuné hameau est, de plus, petit et pauvre.
Il a dix ou douze maisons, que dis-je, des cabanes recouvertes de paille pour
les protéger de la neige où n'habitent que des bergers.
Il y a une grande palissade autour des cabanes pour se défendre des loups
quand ils viennent à l'assaut la nuit, si affamés
qu'ils se dévorent les uns les autres. Ils arrivent en si grand nombre que,
s'ils ne voient du feu, ils attaquent les moutons de jour comme de nuit.
Toutefois qui veut traverser cette zone sableuse doit le faire à
mi-journée quand les bergers sont à l'extérieur dans la plaine
avec d'énormes chiens ; ainsi à ce moment on passe facilement.
Quand nous parvînmes, l'après-midi, comme j'ai dit,
à ce malheureux endroit, nous mangeâmes
un peu de pain avec de l'ail que nous donnèrent les Allemands et
bûmes un peu de vin. Puis nous nous couchâmes à même
le sol car il n'y avait rien d'autre. Nous eûmes la chance de pouvoir
occuper une de ces cabanes en payant d'avance la nuitée.
Le matin, nous nous levâmes tôt mais
les espagnols nous dirent de ne pas partir si vite parce que les loups avaient
été menaçants et qu'il valait mieux partir le plus tard possible,
quand les bergers seraient sortis dans la campagne comme ils font dans ces zones
sableuses de Burgos. Ainsi, nous attendîmes un peu, puis nous
sortîmes et partîmes vers Castrogeriz
(Castel Geriz pour Laffi) à la distance de deux lieues.
Les maudites sauterelles couvraient toujours le vieux chemin. Elles dévoraient
non seulement les fruits et l'herbe mais aussi les arbres et la vigne.
C'était peine à voir, car non seulement les humains fuyaient la
faim, mais les bêtes ne trouvaient plus de pâturages, tout étant
dévasté par ces animaux.
Nous trouvâmes ici un pauvre pèlerin français qui se
mourait au bord du chemin, totalement recouvert de sauterelles.
Dieu semblait nous avoir envoyé à l'aide de cette âme.
À peine l'eûmes-nous confessé qu'il mourut.
Ces bestioles acharnées avaient commencé à le
dévorer et nous eûmes à supporter une grande fatigue
tout au long de notre arrêt pour le sauver car même sur nous
elles s'acharnaient avec voracité.
Une fois mort, nous lui couvrîmes le visage et les mains de sable
pour que les sauterelles ne le dévorent pas totalement, puis nous reprimes
le chemin pour Castrogeriz. Arrivés là, nous allâmes
chercher le curé pour lui dire qu'un pèlerin était
mort à une lieue de distance.
Il promit d'envoyer quelqu'un le chercher. Nous partîmes acheter du pain,
du vin et du fromage en compagnie des Allemands qui étaient
de fidèles compagnons.
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Nous déjeunâmes tous ensemble et, au sortir du château
qui est endroit vaste et bien fortifié situé derrière
deux montagnes et où aussi il y avait de tout en abondance, nous passâmes
sur un grand pont (pont romain sur le rio Odrilla).
Nous aboutîmes à une colline élevée
au delà de laquelle nous trouvâmes une vaste étendue plate
toute sèche au milieu de laquelle il faut traverser un grand pont
qui se nomme de la Mule (puente Itero sur le rio Pisuerga).
Celui-ci franchi et toujours sur la dite plaine et
toujours avec ces maudits criquets, sous un soleil terrible, finalement, avec
l'aide de Dieu nous parvînmes à Fromista
(Formezza pour Laffi) à une distance de quinze milles.
L'endroit s'appelle Ormeste (probablement le quartier
fermé de Santa Maria del Castillo)
et nous y passâmes la soirée. Il est assez grand pour être
considéré comme une ville mais souffre de la cherté due aux sauterelles
et nous ne pûmes nous procurer ni vin, ni fromage, ni fruits, ni rien.
En somme, c'est dommage de voir cet endroit totalement désolé à
cause de ces maudits animaux. La nuit venue, les habitants de ce territoire
sortent de la ville avec des faisceaux de branchages pour tuer les
dites sauterelles qui le jour s'agglutinent sur les murailles et les couvrent au
point qu'elles semblent teintées de noir.
Le soir, elles tombent au sol à cause du froid et on peut donc les tuer.
S'il n'en était ainsi, il nous faudrait tous abandonner la terre et
la ville elle-même.
Ici, dans la cathédrale, nous vîmes un admirable miracle du Saint
Sacrement. Un individu excommunié, voyant la mort arriver, mais
certainement personne ne le savait sinon lui, demanda la Sainte Communion. Le
curé lui apporta au lit le Saint Sacrement mais quand il voulut prendre
avec la main l'hostie pour donner la communion, celle-ci resta collée
à la patène. On ne pouvait la détacher ni avec l'ongle ni avec un couteau. Elle
se trouva même toute ensanglantée. À la vue de ce miracle,
on rapporta la patène avec l'hostie à l'église et on
plaça l'ensemble, tel qu'il est
aujourd'hui, dans un reliquaire. Quiconque passe à cet endroit peut
parfaitement les voir. En sortant de la cathédrale, nous fîmes le tour
de la ville, de sorte qu'il se fit tard. Nous prîmes du pain et du vin et
dînâmes avec nos Allemands qui s'étaient eux aussi promenés dans
la ville pour vendre certaines estampes en parchemin. Au petit matin, nous
continuâmes notre voyage à Carrion (de los Condes)
qui se trouvait à quatre lieues et où nous déjeunâmes.
C'est une terre rude mais assez fertile où se trouvent divers couvents de
moines et spécialement celui de Saint François.
Nous partîmes à peine le déjeuner terminé et, à
la sortie de Carrion, nous trouvâmes un grand monastère (San Zoilo)
où on distribue du pain et du vin aux pèlerins.
Ayant reçu ces aliments, nous cheminâmes sur un grand espace
sablonneux tout recouvert de sauterelles qui nous permettaient à peine d'avancer dans
la campagne. Nous trouvâmes quatre champignons énormes, quand on
le raconte c'est incroyable, mais ils pesaient bien quatre livres. Nous les cueillîmes
et nous nous dirigeâmes vers Calzadilla de la Cueza (Cascadegia
pour Laffi) à quatre lieues car il était déjà tard.
Comme nous arrivâmes de nuit,
nous ne trouvâmes pas
de logement et nous dûmes rester dans les champs mais nous y fûmes
heureux avec les Allemands qui marchaient en notre compagnie.
Au matin, nous nous levâmes vite sans perdre de temps à nous habiller
et avançâmes sur la plaine sablonneuse.
À peu de lieues de la terre d'où nous étions partis, nous
trouvâmes un hôpital très riche et vaste qui se dénomme
Hospital de Grande Caballero (Santa Maria de las Tiendas,
après Calzadilla de la Cueza) où on donne
à manger aux pèlerins du pain, du vin et de la viande. On en trouve
en abondance dans cet endroit car il y a quantité de bétail. Ils nous donnèrent
aussi deux fromages et un petit pain à chacun et à boire. Nous
partîmes ensuite toujours accompagnés par ces maudites sauterelles qu'il fallait
écarter de nos yeux. Nous parvînmes enfin à une ville qui
s'appelle San Juan à deux lieues où nous fîmes cuire les
champignons que nous avions
trouvés l'après-midi précédente. Nous achetàmes
du pain et du vin et déjeunâmes. Ensuite, nous continuâmes
sur Sahagun (S. Fongon pour Laffi) à
une distance de deux lieues. En y arrivant, nous vîmes la muraille
recouverte par tant de criquets que ça faisait peine à voir. Une fois à
l'intérieur, nous observâmes comment les femmes les balayaient dans la rue en les tuant avec des fagots de bois.
Nous circulâmes un peu regardant avec curiosité. Il y a ici deux couvents, l'un et l'autre
très riches et beaux. Un de Saint Benoît et l'autre des déchaussés
de Saint François. Nous allâmes au monastère de Saint Benoît
pour voir le réfectoire. Il est d'une telle conception, qu'il n'y a pas d'équivalent, à mon avis.
Il a le plafond tout en bois travaillé en caissons. Il est superbe,
à coup sûr, et digne d'être contemplé par n'importe qui. Ils nous donnèrent
à manger et nous traitèrent très honorablement.
Nous partîmes de là très reconnaissants et nous nous dirigeâmes ensuite vers le couvent de
Saint-François pour retrouver les Allemands qui étaient allés vendre des estampes en parchemin aux
moines. Nous partîmes pour El Burgo Ranero (Brunello pour Laffi) à quatre bonnes lieues
mais au bout de trois lieues approximativement sur ce terrain sableux, nous trouvâmes un pèlerin
mort que deux loups convoitaient et avaient commencé à dévorer.
Nous fûmes aux aguets, puis continuâmes vers El Burgo Ranero.
Quand nous arrivâmes durant l'après-midi, nous partîmes à la recherche de l'aumônier pour qu'il envoie
quelqu'un chercher le mort.
Nous trouvâmes un hébergement assez pauvre ; en effet nous dûmes
dormir à même le sol car ici s'arrêtaient tous les bergers de cette ville
constituée de cabanes recouvertes de paille.
Au réveil, le lendemain, nous partîmes pour Mansilla (de las Mulas, Mansila pour Laffi)
à quatre lieues de distance et où nous prîmes le petit-déjeuner.
Nous poursuivîmes vers Leon (Lione pour Laffi) situé
à trois lieues et où nous arrivâmes vers midi.