MICHEL GOISLARD

LA COQUILLE ET LE BOURDON
Si la lecture - bienveillante -
de ce succès de librairie, épuisé,
tiré en trois éditions
à moins de cent exemplaires,
parvient à distraire, même un peu,
quelques lectrices et lecteurs téméraires,
alors j'en serai heureux.

COQUILLE [...]. n. f. (XIIIe ; lat. conchylium ; gr. koghulion, avec infl. de la rac. coccum « coque ».
  1. 1° Enveloppe calcaire qui recouvre le corps de la plupart des mollusques, ...
    Coquille Saint-Jacques : coquille d'un mollusque du genre peigne (appelée ainsi parce que les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle la fixaient à leur manteau ou à leur chapeau). V. Coquillard. Coquille Saint-Jacques : le mollusque comestible par lui-même.
    2° Motif ornemental représentant une coquille. Coquille de bénitier, de fontaine : vasque en forme de coquille. Petit ornement...
    Méd. Plâtre amovible...
  2. (1538 ; de coque). Enveloppe dure des noix, noisettes, etc. ; enveloppe calcaire des oeufs d'oiseaux...
  3. (1754). Faute typographique, lettre substituée à une autre. Épreuve pleine de coquilles. Corriger une coquille.
  1. BOURDON [...]. n. m. (XIIe ; lat. pop. burdo, de burdus « mulet »). Long bâton de pèlerin surmonté d'un ornement en forme de pomme.
  2. BOURDON [...]. n. m. (XIIe ; onomat.).
    I. 1° Insecte hyménoptère (Apidés) au corps lourd et velu, qui butine comme l'abeille. Nid de bourdons. Bruit de bourdon. V. Bourdonnement. 2° Faux bourdon : mâle de l'abeille. 3° (1915) ; être mélancolique, avoir le cafard.
    II. 1° Mus. Ton qui sert de basse continue dans certains instruments tels que la vielle, la musette, la cornemuse. - V. Faux-bourdon. 2° Grosse cloche à son grave.
  3. BOURDON [...]. n. m. (1690 ; de bourde). Typogr. Faute d'un compositeur qui a omis un ou plusieurs mots de la copie.
    LE PETIT ROBERT.

PREMIÈRE PARTIE

ULTREIA ! (Plus avant ! Plus outre !) C'est par cette exclamation que les pèlerins du Moyen Âge s'encourageaient à poursuivre leur marche sur le chemin de Compostelle. Ultreia ! Ce cri s'entend toujours, sur le chemin, aujourd'hui. En avant donc, à partir des quelques notes prises en route et d'une partie de ce qui me reste en tête, pour le récit de cette pérégrination dont je garde les souvenirs des amis rencontrés, des paysages aux formidables couleurs, des merveilles d'architecture et d'art. Tout ce que j'ai bien envie de revoir.

Et des émotions. Et le plaisir de marcher libre, heureux, bien que fréquemment seul. Et le sentiment, inexplicable, de vivre dans un autre monde.

Ce chemin que le Conseil de l'Europe déclara, en 1987, pour sa partie espagnole, premier itinéraire culturel européen, est fréquenté par les pèlerins depuis le début du second millénaire. Certains prétendent qu'il était déjà fréquenté avant Jésus-Christ...

Sans entrer dans les détails, indiquons qu'il existe au moins quatre grands chemins jacquaires en France : par Tours, par Vézelay, par Le Puy-en-Velay et par Arles. Les trois premiers se rejoignent, entre Ostabat et Saint-Jean-Pied-de-Port, pour ensuite former, avec le chemin d'Arles et le chemin aragonais, à Puenta la Reina, en Espagne, le Camino Francés (chemin français).

Pour fixer les idées, voici quelques chiffres récents, communiqués par le prieur de Roncevaux lors d'une réunion de la Société des Amis de Saint Jacques de Compostelle :

- À Roncevaux, au 31 août 1996, 9.112 pèlerins sont passés, en un an, dont 7.574 catholiques pratiquants ou non, 615 protestants, 42 anglicans, 600 sans religion, le reste imprécisé ;

- Motivations : religieuse 4.573, spirituelle 5.735, culturelle 5.715, sportive 3.000, autres 613 (une même personne peut indiquer plusieurs motivations) ;

- Le nombre de pèlerins passant à Roncevaux augmente de 1.500 à 2.000 chaque année.

Sont pris en compte les pèlerins à pied, à vélo et à cheval partis de Roncevaux ou passant à Roncevaux.

Beaucoup d'entre eux, limités dans le temps par la durée de leurs congés ou pour tout autre motif, accomplissent une partie du chemin avec le projet de continuer sur la partie suivante aux prochaines vacances.

Pour ce qui me concerne, retraité parti, à pied, le 26 avril 1996, du Puy-en-Velay, je suis arrivé, le 2 juillet de la même année, à Saint-Jacques de Compostelle.

Sans compter les détours, cela représente 1.500 kilomètres, couverts en 63 jours de marche, avec une moyenne journalière de 23,8 kilomètres.

Rapprochée des 50 kilomètres quotidiennement parcourus par les pèlerins du Moyen Âge, cette moyenne n'est pas terrible. Mais je ne ferai certainement pas mieux la prochaine fois, si, comme je l'espère, il y en aura une.

Voici donc, pour la partie française, mes étapes sur le Chemin qui emprunte scrupuleusement le G.R. 65 (chemin de grande randonnée n° 65) :

Haute-Loire. - Le Puy-en-Velay, Monistrol-d'Allier, Chanaleilles.
Lozère. - Les Estrets, Nasbinals.
Aveyron. - Saint-Côme-d'Olt, Golhinac, Conques, Livinhac-le-Haut.
Lot. - Figeac, Cajarc, Vaylats, Cahors, Lascabanes.
Tarn-et-Garonne. - Montesquieu, Moissac.
Gers. - Saint-Antoine, Lectoure, La Romieu, Condom, Eauze, Nogaro.
Landes. - Aire-sur-Adour.
Pyrénées-Atlantiques. - Arzacq-Arraziguet, Arthez-de-Béarn, Sauvelade, Navarrenx, Aroue, Ostabat, Saint-Jean-Pied-de-Port.

Et les étapes de la partie espagnole :

Navarra. - Roncesvalles, Larrasoaña, Pamplona, Puente la Reina, Estella, Los Arcos.
La Rioja. - Logroño, Nájera, Santo Domingo de la Calzada.
Burgos. - Belorado, San Juan de Ortega, Burgos, Hornillos del Camino, Castrojeriz.
Palencia. - Frómista, Carrión de los Condes, Calzadilla de la Cueza.
León. - Sahagún, El Burgo Ranero, Mansilla de las Mulas, León, Hospital de Orbigo, Astorga, Rabanal del Camino, Molinaseca, Villafranca del Bierzo, Vega de Valcarce.
Lugo. - Hospital de Condesa, Samos, Ferreiros, Hospital de la Cruz.
La Coruña. - Melide, Santa Irene, Santiago.


Arrivé au Puy-en-Velay, le mardi 23 avril, au gîte retenu sur la liste de la Société des Amis de Saint-Jacques : la Providence, ancien couvent transformé en maison d'accueil. J'y ai attendu Jean, de Tours, mon compagnon de route qui, victime d'une grippe, a différé son départ de deux jours.

Le repas du soir et le petit déjeuner sont servis, dans une salle commune, par Marie-Thérèse, soeur de l'ordre des Ursulines. Attentive personne qui mijote de copieux repas à l'attention des visiteurs de passage, randonneurs ou pèlerins à pied, à cheval, à bicyclette ou en voiture, en route vers Conques, Roncevaux, voire Santiago.

Ces deux jours d'attente m'ont permis de faire le touriste au Puy. Saint-Michel d'Aiguilhe, chapelle construite sur un piton de lave, paraît-il à l'emplacement d'un temple dédié à Mercure ; le rocher Corneille et sa statue de la Vierge à l'Enfant coulée avec deux cent treize canons pris à Sébastopol ; la cathédrale Notre-Dame et sa Vierge Noire...

Les convives des dîners de la Providence, oiseaux de passage, sont souvent des personnages intéressants. La gentillesse et le talent de la bonne soeur Marie-Thérèse créent une ambiance où, chacun se sentant à l'aise, les langues vont bon train. Tous racontent d'où ils viennent et quelles sont les prochaines étapes. Les différents trucs sur l'équipement, les renseignements sur la qualité des gîtes, etc., sont échangés. Il n'est pas question des motifs qui poussent ces pèlerins à prendre le bâton et le sac. Respect des idées de chacun.

Un soir, la porte de la salle à manger est poussée par une dame corpulente, équipée des matériels de randonnée les plus récents dont en particulier un bâton métallique, phosphorescent, rétractable, à poignée ergonomique et à bout pointu. C'est Marie-Jeanne. Tout juste la cinquantaine. Bouille ronde et pauvre chevelure des patientes qui ont subi un traitement lourd. Des yeux qui disent la bonté. Elle parle, à peine, de chimio et ne s'étend pas. Elle voudrait aller jusqu'à Cahors en seize jours et, après d'autres séances de chimio, effectuer un autre tronçon du pèlerinage. Toute seule. Marie-Jeanne est de Senoncourt où son mari attend, certainement avec inquiétude, son coup de fil quotidien. Elle nous dit tout ça avec l'accent de la Haute-Saône.

D'autres arrivent ensuite, dont un petit bonhomme sec, les cheveux blancs, le regard mince. Certainement autoritaire. C'est un prêtre retraité de soixante-dix et quelques années. Venant de Nantes, en voiture, il se rend, après avoir répondu à une petite annonce, sur l'île d'Hyères, pour y faire un remplacement dans une communauté religieuse. Bizarre personnage dont les propos anodins laissent percer une forte curiosité. Durant le repas, il tente d'interroger chaque convive et, arrivé à Marie-Jeanne, sa manière de questionner devient insistante. Il veut savoir de quoi elle souffre, pourquoi elle entreprend cette pérégrination seule et, malgré le mutisme de Marie-Jeanne et nos tentatives pour faire dévier la conversation, il lui conseille vivement de renoncer à son projet... Les bonnes soeurs de l'île d'Hyères ne vont pas être déçues.

Rencontré également : un couple de jeunes retraités, pèlerins campeurs partis de l'Oise ; Philippe et Alain, randonneurs rapides, de Moissac où ce dernier est responsable du syndicat d'initiative.

Vendredi 26 avril. Le Puy-en-Velay - Monistrol-d'Allier. 27,5 kilomètres.

Étape terminée par une forte descente vers Rochegude. Arrivée au gîte communal sur les genoux. Le gîte est également occupé par un groupe de jeunes gens des Yvelines venus faire du rafting sur l'Allier. Ce soir-là, ils faisaient du raffut dans la cuisine mitoyenne de notre chambrée. Un sacré raffut qui traversait bien les boules Quiès. Malgré cela, je me suis endormi, d'un coup, et ne saurai jamais ni comment ni à quelle heure les rafteurs ont terminé leur soirée.

Longue étape pour moi, avec des sentiers pentus, caillouteux, boueux, inondés. L'attention est mobilisée par la recherche et le repérage des balises blanches et rouges, le suivi du topo-guide, les doutes aux embranchements lorsque les marques ont disparu, les chiens en liberté qui nous accueillent en nous gueulant dessus et souvent nous font un bout de conduite peu agréable. Il reste, heureusement, du temps où, comme le corps, l'esprit vagabonde, au hasard des paysages découverts, du ciel, des nuages et des invasions incontrôlées des souvenirs.

Tout cela m'empêche de mémoriser correctement les noms des lieux où nous passons. Heureusement, j'ai fait un programme auquel s'ajouteront, au fur et à mesure, les tampons du « credencial ». Le credencial, c'est la carte d'accréditation délivrée au pèlerin par une association jacquaire. Ce document doit porter le cachet de la halte du jour, être daté et signé par le responsable du lieu d'accueil. Ce qui permettra, en arrivant à Compostelle, d'obtenir la « compostela », diplôme attestant de l'accomplissement du pèlerinage. Sur le credencial, le président de l'association recommande le pèlerin à toutes les autorités religieuses et civiles, ainsi qu'aux autorités militaires et de la gendarmerie...

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Samedi 27 avril. Monistrol-d'Allier - Chanaleilles. 27 kilomètres.

Trop fatigué pour écrire...

Dimanche 28 avril. - Repos.

Avant le départ, Jean avait proposé de ne pas marcher le dimanche. Aujourd'hui, je suis particulièrement heureux d'avoir souscrit à cette idée.

Lundi 29 avril. Chanaleilles - Les Estrets. 33 kilomètres.

Au soir du troisième jour de marche, il est temps de reprendre ce journal. Nous avons parcouru plus de quatre-vingts kilomètres. Des courbatures mais pas de sérieux problème. Le moral est excellent. Mon compagnon de route, qui a de grandes jambes et du métier - c'est un randonneur expérimenté - marche devant, à sa cadence, et moi, de plus en plus loin derrière, à la mienne, avec des jambes plus courtes et moins de métier. Il m'attend fréquemment aux endroits du chemin où il peut y avoir doute. Il m'attend aussi, le soir, au gîte.

Ce G.R. 65 est pourtant, paraît-il, un des mieux balisés. Magnifique chemin qui nous offre des paysages de splendeur : la Margeride... le Gévaudan...

La veille, par téléphone, Jean réserve nos places aux refuges où nous sommes bien reçus. Incroyable, la quantité de nourritures que nous absorbons, après une journée de marche. La douche du soir est un moment de bonheur précédé d'un plaisir plus bref : sortir les pieds des godillots.

Le sac est lourd, trop lourd. J'espère m'y habituer car tout ce qu'il y a dedans me semble indispensable. En marchant, j'en récapitule l'inventaire et ne trouve rien dont je pourrais me séparer. Voici son contenu : gourde d'un litre, thermos d'un demi-litre, assiette et quart en alu, couverts pliants, couteau multilames, duvet, couverture de survie, pull léger, chemise, pantalon de rechange, short, espadrilles, poncho, chapeau de toile, trousse de toilette, serviette de toilette, pharmacie, topo-guide, un roman, quelques poèmes, lunettes de vue, appareil photo compact, récepteur radio, pinces à linge, pellicules, lampe-torche, chaussettes et sous-vêtements. L'ensemble, avec le ravitaillement pour la journée, atteint onze kilos.

La troisième étape s'est terminée, avant Aumont-Aubrac, aux Estrets, chez madame Rousset. Nous sommes accueillis avec du feu dans la cheminée, un grand bol de thé chaud et des paroles de bienvenue.

Deux des cavalières de la troupe à cheval rencontrée au domaine du Sauvage, puis sur le chemin, arrivent ensuite. Elles sont bien occupées avec leur monture qu'il faut nourrir, soigner, étriller, mener à l'écurie. Elles nous expliquent qu'elles doivent descendre du cheval et le laisser aller seul dans les endroits difficiles, qui représentent une bonne partie du chemin. Si bien qu'en plus des inconvénients particuliers aux cavaliers, elles ont des ampoules aux talons. Les bottes de cheval n'étant pas spécialement étudiées pour la marche. J'ai bien fait de partir à pied.

Les cow-boys, c'est ainsi que Jean a baptisé la troupe à cheval. Troupe composée, outre de nos deux cavalières, d'une grande bonne femme vêtue d'un uniforme de la police montée canadienne, d'un filiforme et souriant gardian de Camargue et de deux forts bonhommes. Leur étape finale est Conques où nous les avons retrouvés. Un peu fatigués les deux forts bonhommes. Ils avaient mal aux reins et aux pieds. Cela dit, cette troupe de cavaliers avait fort belle allure, sur les sentiers praticables à cheval.

À table, nous avons fait la connaissance de Louis, la cinquantaine trapue, heureux d'être sur le chemin au point, quelquefois, d'y galoper en chantant. Il a promis à son épouse d'être de retour avant le 30 mai et a prévu de reprendre son bâton de pèlerin en septembre. Ce Breton, ancien officier mécanicien sur les pétroliers, me rappelle quelques hommes de qualité, navigants rencontrés dans la « royale » durant le service militaire : l'accent, les tournures de phrases, le style. Louis a eu une tendinite à un pied, soignée à l'hôpital, en route. Maintenant, c'est l'autre pied qui lui fait mal. Il fait quand même des étapes de vingt-cinq à trente kilomètres, avec une joie de vivre contagieuse.

Jean, bon pédagogue, nous répète la méthode, qu'il tient d'un ami coureur de fond, pour prévenir les tendinites : il faut boire toutes les demi-heures... et pisser clair. Il faut boire. Ne jamais attendre d'avoir soif. Il me semble entendre des rires approbateurs. Il faut boire seulement de l'eau.

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Du lundi 29 avril au lundi 6 mai, nous avons marché depuis Les Estrets, petite commune située avant Aumont-Aubrac, à Cajarc, en faisant étapes à Nasbinal, Saint-Côme-d'Olt, Golhinac, Conques, Livinhac-le-Haut et Faycelles, jusqu'au refuge de la Cassagnole, après Figeac. Cette partie représente environ cent quatre-vingts kilomètres pour sept jours de marche, souvent sous la pluie. C'était quelquefois dur, mais c'était beau. Très beau.

De l'avis des randonneurs d'expérience, la fraction comprise entre Le Puy-en-Velay et Conques est une des plus riches parties du Chemin en France. C'est je crois vrai. Et sûrement enchanteur par beau temps.

Marie-Jeanne, qui marchait une journée devant, nous a laissé un message, je crois à Saint-Côme-d'Olt, pour indiquer une partie inondée du chemin. Elle s'était engagée, sur un sentier inondé et, après une glissade, de l'eau et de la boue jusqu'aux seins, seule, elle a eu bien du mal à s'en sortir en s'agrippant à sa canne accrochée aux barbelés d'une clôture. Elle a voulu nous éviter pareille mésaventure.

Mardi 7 mai. Cajarc - Vaylats. 30 kilomètres.

Il m'eût plus plu qu'il eût moins plu. En effet, de Limogne-en-Quercy à Veylats, de la pluie sans arrêt, souvent avec violence. Heureusement, la qualité de l'accueil au couvent de la congrégation des Filles de Jésus, complétée par un convecteur électrique dans la chambre, m'ont permis de retrouver le moral et de tout sécher.

Hier, Brenden, citoyen britannique, pèlerin déjà rencontré au Puy, a demandé notre accord pour cheminer avec nous. Bien sûr. En ordre de marche et en plus d'un lourd sac à dos, il est équipé de machins accrochés à sa ceinture, autour de son cou, à son sac : jumelles, gourde, appareil photo, magnétophone, sifflet, lunettes, boussole, cartes et j'en oublie. Il s'appuie sur un grand bourdon, bâton bagué de cuivre au bout ferré, surmonté par une crosse de corne sur laquelle est accrochée une coquille Saint-Jacques.

Aujourd'hui, il a perdu ses lunettes de vue en cours de route et, après des va-et-vient et diverses rencontres, il a fini par les retrouver. Il nous a rejoint le soir, après dix-huit heures. On commençait à être inquiets. On ne comprend pas toutes ses explications. Son français, bien que laborieux, reste bien meilleur que mon anglais. Il a fait une dizaine de kilomètres supplémentaires, sous la pluie, pour retrouver ses lunettes. On le réconforte.

En marchant, il enregistre ses impressions et il note, si le temps le permet, la légende de chaque photo prise. Un méthodique l'ami Brenden. Le soir, il écoute ses enregistrements. Aujourd'hui, il n'a bien sûr pas pris de photos, mais il a enregistré les aboiements, les meilleurs, des chiens qui lui ont gueulé dessus et il se les repasse, avant de s'endormir, dans sa chambre, à côté de la mienne, chez les Filles de Jésus. Peut-être pour s'endurcir. Curieux effet.

Étapes à Varaires, Cahors, Escayrac et Montesquieu avant l'arrivée à Moissac, le samedi 11 mai. C'est la quinzième étape et trois cent quatre-vingts kilomètres sont parcourus. Il pleut toujours. Une pluie qui mouille bien, jusqu'aux os, malgré le poncho. À Moissac, nous nous rendons directement au syndicat d'initiative où nous savons retrouver Alain qui a repris ses fonctions. Retrouvé également Louis, accompagné de René, de Saint-Priest-en-Jarez.

Hébergés au gîte communal, assez loin de la ville, passé le pont sur le Tarn, nous ne reprendrons le chemin que lundi matin, sans Brenden, pressé par un rendez-vous. La pluie s'est arrêtée le dimanche matin, longtemps après le départ de Brenden, toujours habillé en arbre de Noël - j'avais omis de noter un appareil à ultrasons pour éloigner les chiens - et le tout recouvert d'un vieux poncho, genre militaire, bien lourd et percé de toutes parts. Un courageux, le gars Brenden.

Je suis retourné en ville voir le cloître et l'abbatiale. Cette fois, en touriste, avec un appareil photo pour tout bagage. C'est la fête à Moissac. Grand marché. Inauguration d'une rue piétonne et artisanale. Musiques. Défilés. Au soleil. ça change tout.

Ce dimanche soir, quatre randonneurs stéphanois débarquent au gîte. Frais comme des roses, bien que porteurs de lourdes charges. Connaissance faite, ils nous expliquent qu'ils marchent à trois, sans sac à dos, et qu'ils fixent des rendez-vous au quatrième, toujours le même, qui conduit une automobile dans laquelle sont rangés leurs bagages. Ils partent cette année de Moissac et projettent d'aller jusqu'à Roncevaux. Certainement une bonne formule.

Autre arrivant : un jeune gars bien chargé, coiffé d'un large chapeau. Fatigué. Allemand venu à pied d'Allemagne, il ne comprend ni le français ni l'anglais. Restent les sourires et les signes.

Dernier à pousser la porte du gîte, un Hollandais renfrogné, à bicyclette. Il s'est installé dans la même chambre que nous. L'imprudent. Sur le coup de minuit, il a empoigné son matelas et est parti énergiquement s'installer dans la cuisine. Cette nuit-là, Jean avait amélioré son record personnel en matière de ronflements. Même équipé de boules Quiès bien enfoncées, j'avais l'impression d'être près d'un quadrimoteur en train de faire son point fixe.

Évoquons plutôt le cloître de Moissac et ses quatre-vingt-huit chapiteaux, tous différents : thèmes floraux alternés avec des scènes bibliques. Il faudrait rester, en touriste, pour quelques jours. Avec le magnifique portail de l'abbatiale qui compte plus de soixante figures, il y a de quoi voir, essayer de comprendre et tenter de réussir quelques photos.

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Lundi 13 mai. Moissac - Saint-Antoine. 31 kilomètres, plus 3 kilomètres consécutivement à une erreur de parcours.

Départ vers sept heures du matin, arrivée à cinq heures de l'après-midi au gîte communal. Nous nous retrouvons à dix dans une ancienne ferme, vieux bâtiment rustique, très rustique. Le chemin n'était pas trop accidenté. Il n'a pas plu, mais il a fait froid jusqu'à midi (six degrés). C'était le dernier jour des saints de glace et le dernier saint a fait fort cette année. Les premiers arrivés ont allumé un feu dans la grande cheminée d'angle. Ça fume, un peu, beaucoup. Nous sommes enfumés. Ça pique les yeux, ça gratte la gorge. Mais ça réchauffe et ça sent bon. On a fini par trouver comment placer les bûches pour obtenir un meilleur tirage.

Tristes, ces paysages sous un ciel gris avec, de loin en loin, d'anciennes fermes en ruine, quelquefois encore habitées, plus souvent abandonnées. On rencontre aussi, mais plus rarement, des constructions neuves, vastes, décorées de belles pierres, pas modestes, bien closes et inoccupées. Résidences secondaires ou tertiaires de la nouvelle élite de cette difficile période ?

Les Stéphanois m'ont doublé. Ils marchent d'un bon pas, sans sac. Au croisement du chemin et d'une route de campagne, l'accompagnateur et sa voiture les attendait pour le repas de midi. Comme je voulais franchir la Garonne avant la pause casse-croûte, malgré leur invitation, je ne me suis pas arrêté. Ils m'ont rejoint dans l'après-midi et m'ont suivi sur un chemin qui, à l'usage, n'était pas le bon. Après vingt minutes de marche sans rencontrer de balise, sans correspondance avec la description du topo-guide, nous avons fait demi-tour et avons trouvé, à un croisement, caché sous la végétation nouvelle, la preuve que nous n'étions plus sur « le » chemin. Bah ! Le moral était bon et nous n'étions pas à trois kilomètres près.

Les chiens. Ils sont un peu plus espacés maintenant, mais suffisamment nombreux pour que je puisse entendre, loin devant, leurs aboiements accompagnant la progression des Stéphanois. Il s'agit de ne pas montrer sa crainte lorsque ces fauves ne sont ni attachés ni derrière une clôture. Jean m'a bien fait la leçon : s'ils approchent, il faut gueuler plus fort qu'eux. Jusqu'à maintenant, ça a marché. Il arrive, rarement, que le maître sorte pour assurer que ses bêtes ne sont pas méchantes et qu'elles n'ont jamais mordu personne...

Mardi 14 mai. Saint-Antoine - Lectoure. 30 kilomètres.

Dur, dur. Coup de pompe à trois kilomètres avant la fin de l'étape. Épuisé, je me suis allongé dans l'herbe au bord du chemin et j'ai compris qu'il ne me convenait plus d'accumuler des étapes de cette taille.

Arrivé à Lectoure et avant de parvenir au gîte, j'ai téléphoné, d'une part, au refuge plus proche de La Romieu pour y retenir une place et, d'autre part, à Condom, pour annuler ma place retenue par Jean. Ce dernier était visiblement désolé et voulait trouver le moyen de raccourcir les parcours à venir en empruntant le bord des départementales. Les Stéphanois proposaient de prendre mon sac dans la voiture de leur accompagnateur. Je n'ai rien accepté et suis resté sur mon idée de couper en deux les étapes dépassant trente kilomètres.

Arrivé deux heures avant, Jean nous avait trouvé un restaurant au pied de la ville, à un bon kilomètre du gîte, par un chemin descendant, raide. Il n'était pas fatigué l'ami Jean.

Continuer seul, décider de l'étape du jour et de celle du lendemain, à mon rythme : voilà ce qui me conviendra mieux. Nous nous quitterons demain matin, avec promesses réciproques d'échanger de nos nouvelles. Promesses tenues.

Mercredi 15 mai. Lectoure - La Romieu. 16 kilomètres.

Le pied. Temps idéal. Beaux paysages, chemins agréables et courte étape. Arrivée vers une heure de l'après-midi. Salué en passant les Stéphanois, installés pour déjeuner à l'entrée de la belle vieille petite ville. Je ne les reverrais plus car ils poursuivront leur marche jusqu'au soir.

Découverte de La Romieu, de sa collégiale, de son cloître et de sa sacristie. L'intérieur de cette dernière est entièrement décoré de fresques étonnantes : des anges noirs. Certainement devenus noirs parce que peints avec du blanc d'argent. Et des motifs aux formes inexpliquées à ce jour. Art abstrait du treizième siècle ? Le dernier chanoine de La Romieu tenait secrète cette sacristie dont les peintures murales n'ont été découvertes qu'en 1966. Ce chanoine, exorciseur à ses heures, utilisait le local pour pratiquer sa spécialité.

Un peu de l'histoire racontée sur le dépliant touristique : Arnaud d'Aux, né en 1265 à La Romieu, camérier et camerlingue des papes d'Avignon Clément V et Jean XXII, fit construire, en six années, collégiale, cloître et résidence. En ce temps-là, la Gascogne était sous la juridiction d'Edouard II d'Angleterre et cet Arnaud d'Aux, cardinal, consul de Philippe le Bel, était aussi conseiller du roi d'Angleterre. Il fut, de plus, le président du procès des Templiers.

Et un peu de l'histoire racontée par le Petit Robert :

« Camérier : officier de la chambre du pape.»
« Camerlingue : cardinal de la cour pontificale qui administre la justice et le trésor, préside la chambre apostolique et gouverne quand le Saint-Siège est vacant.»

Le cumul des mandats fonctionnait déjà à l'époque.

Au gîte communal, j'ai fait la connaissance d'un sympathique marcheur d'une quarantaine d'années. Postier au centre de tri de Metz, fils d'un métallurgiste lorrain, il consacre son temps libre à la randonnée, depuis plus de vingt ans.

Dix-sept personnes étaient attendues, ce soir-là, au refuge. En fait, le même groupe de sept ou huit personnes avait réservé deux fois et donc avait été compté deux fois. Au gîte, juste le compte de lits, mais seulement dix couvertures, un ouatère et une douche. La dame de la mairie était affolée et avait collé une affiche « complet » sur la porte.

Le groupe attendu, des randonneurs des environs de Versailles - cinq dames et deux messieurs - a débarqué vers sept heures du soir. Sexagénaires fatigués car, partis de Paris le matin même, descendus du train à Lectoure, ils avaient rejoint La Romieu à pied. Leur projet est de parcourir une dizaine d'étapes sur le chemin de Compostelle, puis de regagner Paris. Ils me font forte impression. Leurs sacs à dos aux couleurs passées indiquent des marcheurs expérimentés. Dans l'ordre et la discipline, le ouatère et la douche ne désemplissent pas.

Jeudi 16 mai. La Romieu - Condom. 16 kilomètres.

Vendredi 17 mai. Condom - Eauze. 31 kilomètres.

Samedi 18 mai. Eauze - Nogaro. 18 kilomètres.

Par chance, nous étions à l'abri, deux Mégevoises, un Mégevois et moi, occupés à déguster des spaghettis dans un petit restaurant italien, lorsque de violents orages se sont abattus sur Eauze. Orages accompagnés de fortes précipitations. Le lendemain matin, le G.R. 65 comportait des chemins envahis de hautes herbes gorgées d'eau. Après quelques kilomètres, le moral, inversement proportionné au niveau de l'eau dans les godillots, était au plus bas. Au premier croisement avec une petite route bitumée, j'ai vidé mes chaussures et tordu mes chaussettes. Et les sentiers du G.R. continuaient parmi les herbages détrempés...

Arrivé à Manciet, après avoir téléphoné pour réserver au gîte de Nogaro, je suis entré dans un bar-restaurant. Il n'était que onze heures et la patronne m'a gentiment servi une assiette gasconne, à la terrasse, au grand soleil. J'ai retiré et vidé une nouvelle fois mes godillots, tordu soigneusement mes chaussettes et étalé artistement mes effets pour les faire sécher. Malgré mes efforts, ça n'était pas très décoratif.

Puis, les doigts de pieds au soleil et la tête à l'ombre douce d'un parasol, j'ai commencé à m'occuper de la fameuse assiette gasconne (gésiers de volailles sur un lit de laitue, asperges, tomates, carottes râpées et pâté), arrosée d'un demi pression. Quelque chose comme le paradis s'il existe. Il s'agissait de déguster le tout sans précipitation, de façon à terminer sur le dernier cube de pâté arrosé de la dernière gorgée de bière encore fraîche. Opération réussie.

Toujours seul à la terrasse, je me donnais bonne conscience en me disant qu'il n'était que midi et que ce n'était certainement pas à cause des chaussettes qui séchaient doucement qu'il n'y avait pas de nouveaux consommateurs.

Fin de la journée de marche vers trois heures de l'après-midi, en même temps que les Mégevois, au beau gîte d'étape de Nogaro, difficile à trouver, loin du centre de la ville, dans le complexe sportif. Nous sommes logés, serrés tous les quatre, dans un petit dortoir à l'étage. Pas de chambre individuelle disponible.

Cuisine et souper sur place. Pas de chance : un locataire permanent du centre d'hébergement, bourré et agressif, vient s'installer à notre table et nous gâche la soirée. On lui offre une assiettée de notre repas, comme toujours à base de nouilles mais, pour son bien, on lui refuse la demi-bouteille de vin qui restait. Il n'est pas content et commence à être désagréable avec les dames. Pierre, le Mégevois, va téléphoner à la responsable qui arrivera, une demi-heure plus tard, navrée et accompagnée de gendarmes qui nous expliquent qu'il ne faut pas hésiter à se défendre... Même préventivement. Heureusement pour lui - et aussi pour nous -, le costaud pénible avait, entre-temps, quitté les lieux pour, à ce que nous avons compris, terminer la soirée à la fête des patrons de bistros de Nogaro, aux arènes. Histoire de bien se finir.

Ça avait failli mal tourner, avant l'arrivée des autorités, pendant que le Mégevois était parti téléphoner. Pour dormir tranquilles, on a bloqué la porte avec une grande table. Le locataire permanent est revenu dans la nuit faire du raffut. Il n'a pas pu entrer.

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Dimanche 19 mai. Nogaro - Aire-sur-Adour. 28 kilomètres.

Parti à sept heures du matin par le chemin historique. Manière élégante de dire que j'ai pris un raccourci de trois kilomètres en empruntant la N 124 qui correspond effectivement, dans cette région, au chemin historique. Il n'y avait pas trop de voitures et je suis arrivé au gîte d'Aire-sur-Adour, vers deux heures de l'après-midi, en pleine forme, après une pause-déjeuner dans une pizzeria, à Barcelonne-de-Gers.

Personne au centre d'accueil, qui est fermé. Heureusement, l'accès au parc de loisirs jouxtant le centre est ouvert. Il y a du soleil, des bancs et une tonnelle. Bien installé, j'y étudie le parcours du lendemain. Ensuite, retour en ville pour téléphoner chez moi puis au responsable du centre afin de poser mon sac et de me doucher.

Violette, mon épouse, m'apprend le décès de Georges. Nouvelle qu'elle tient de l'ami Lucien. Georges, Jojo, le truculent directeur technique du quotidien Les Echos. Fils spirituel, ô combien, de madame sa patronne. Mon pote qui devait m'emmener récolter des champignons avec un râteau. Son souvenir me hantera en chemin.

Je retrouve, en soirée, au couvent des Carmes où il m'avait proposé un rendez-vous, Jean-qui-ne-marche-pas-le-dimanche et qu'ainsi j'ai rattrapé. Comme il désirait assister à l'office du soir, je lui tiens compagnie. Ignorant du rituel, je m'assieds, tourné vers les religieuses placées derrière une grille, au lieu, comme je le réalise vers la fin de la cérémonie, de me tourner vers l'autel. À mon âge, c'est foutu.

Intéressante discussion, avant de quitter le couvent, avec la mère supérieure, sur la peinture des icônes, sur monseigneur Gaillot, sur le sort des sept religieux détenus en Algérie... Elle nous explique le mode électif de la désignation des responsables, chez les Carmélites. C'est démocratique.

Dîner avec Jean, Brenden et René avant d'aller dormir, seul, dans une des grandes baraques du centre de loisirs.

Lundi 20 mai. Aire-sur-Adour - Arzacq-Arraziguet. 27 kilomètres.

Chemin faisant, je comptais bien, après avoir pris quelques photos de l'église de Pimbo, aux curieux disques sculptés dans le portail, m'offrir un café au bar signalé sur le topo-guide. Hélas, là encore, le bistro, abandonné, est en ruine. Trois vieilles dames m'expliquent que maintenant, avec les voitures... Elles ne m'ont toutefois pas offert de café.

Mardi 21 mai. Arzacq-Arraziguet - Arthez-de-Béarn. 23 kilomètres.

Les jambes mollissent sur les derniers kilomètres. Avec d'autres pèlerins, je me suis perdu après Louvigny. Le balisage est fantaisiste. René, puis trois des randonneurs rescapés du groupe des sept rencontrés à La Romieu, m'ont rejoint et nous avons, ensemble, copieusement merdé, hors du G.R. dont il n'y avait pas de trace. Cartes, boussoles, doigt mouillé... Enfin, après avoir traversé des haies, escaladé des talus, franchi des ruisseaux coulant au fond de profonds fossés, René a aperçu un clocher vers lequel on s'est dirigé, hors des chemins, à travers bois et champs.

Le soir, tout le monde s'est retrouvé à Arthez-de-Béarn, au presbytère, l'unique possibilité d'accueil. Il n'y a pas d'hôtel ouvert à cette époque de l'année. Les trois Versaillais rescapés sont repartis en taxi, vers la gare la plus proche. C'est terminé pour eux.

René, Jean et moi avons dormi sur des lits de camp militaires, sans matelas, avec une sangle dure à la hauteur des reins. La position sur le dos est la moins douloureuse. C'est presque mieux sur le sol. Du coup, malgré l'amicale insistance de Jean et de René, je couperai une nouvelle fois l'étape suivante en deux. Par téléphone, la femme du maire de Sauvelade a donné son accord pour m'accueillir au gîte communal.

Mercredi 22 mai. Arthez-de-Béarn - Sauvelade. 15 kilomètres.

Désertique village où j'arrive au début de l'après-midi. Les chiens, en liberté, de la dame du gîte sont très désagréables et leur maîtresse n'intervient qu'au dernier moment. C'est une mère de famille très occupée. Unique client, je coucherai dans l'immense salle des fêtes, sur une grande table de bois. On me prête un matelas pneumatique et une casserole. On me vend un demi-pain congelé et on me donne deux oeufs. Et j'apprécie. Merci madame. L'unique hôtel-restaurant du pays est abandonné.

Pourtant, l'ancienne abbaye de Sauvelade, restaurée pour servir de centre culturel et de gîte, a du caractère et mérite d'être mieux connue. Il fait beau. Douche, lessive (il y a des grands locaux sanitaires neufs, propres, avec eau chaude), écriture, photos, lecture. Demain matin, je tenterai de rendre à la dame le matelas pneumatique et la casserole sans me faire bouffer par ses chiens.

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Jeudi 23 mai. Sauvelade - Navarrenx. 14 kilomètres.

Les doigts dans le nez. Arrivée à Navarrenx avant midi. Il était convenu que Jean et René m'y laissent de leurs nouvelles, au presbytère. Le curé est navré. Son gîte est déjà complet. Le gîte, c'est chez lui. Il veut me garder pour déjeuner avec lui. Il insiste. Si, si, à la fortune du pot. C'est un homme sympathique, la bonne soixantaine. Il est très mécontent parce que Jean et René lui ont glissé, subrepticement, un billet sous une casserole. Il veut que je le leur restitue et j'ai bien du mal à refuser de me charger de cette délicate mission.

Il n'arrête pas de bouger durant tout le repas, tout en discutant. La jeunesse, le chômage, les événements récents, ses souvenirs de la guerre d'Algérie, les pèlerins. Ses idées s'accordent souvent avec les miennes. Pas un mot sur la religion, sur les motifs de ma pérégrination. Puisqu'il ne veut absolument pas de sous - il dit qu'il en a bien assez - je propose de lui faire parvenir une icône peinte récemment. Ça, il aimera. Il a écrit un mot gentil sur le credencial, puis il est parti, à fond de train, car il avait un enterrement à quinze heures et, quand il a regardé sa montre, il était déjà bien en retard. L'excellent abbé Sébastien m'a invité à revenir avec ma famille. Il serait heureux de nous recevoir. S'il offre la même chose à tous les pèlerins qu'il accueille, il risque d'avoir du monde.

Avant de partir à son enterrement, il m'a recommandé à la patronne du café-restaurant, en face de l'hôtel de ville. Cette dame s'occupe aussi du gîte communal. Étonnant, le temps que consacrent ces gens pour recevoir, écouter, rendre service. Et agréable pour ceux qui en bénéficient. Rendez-vous est pris, par téléphone, avec les vieux amis Claude et Eugénie qui résident, à mi-temps, dans la région. Ils m'attendront devant l'église Notre-Dame-du-Pont, à Saint-Jean-Pied-de-Port. Nous nous connaissons, Claude et moi, depuis 1947. Nous étions apprentis typographes, à l'école Simon de Collines, près des buttes Chaumont. ça va bientôt faire un demi-siècle...

Vendredi 24 mai. Navarrenx-Aroue. 20 kilomètres.

Parvenu tranquillement au terme de l'étape avant midi. Il faut dire que j'ai pris le chemin de bonne heure le matin. Marche facile, sous un ciel gris. Madame Lagarde, qui s'occupe du gîte communal, tient la station-service-épicerie-tabac-restaurant du bourg. Le gîte est aménagé dans un local situé au ras de la route où roulent, vite, de nombreux véhicules. Il paraît qu'il ne passe rien de nuit. Sieste quand même, interrompue par l'arrivée de deux maçons qui, avec un fort accent basque, m'expliquent qu'ils doivent procéder à des travaux dans les lavabos. Je me laverai demain. Peut-être...

La soupe est servie à la table familiale de madame Lagarde. Renseignement pris, le gîte d'Ostabat, où je comptais dormir, est complet pour demain soir. Comme il n'y a pas d'hôtel à Ostabat, il faudra poursuivre, six kilomètres plus loin, jusqu'à Larceveau où, là, il y a deux hôtels. J'apprends, en téléphonant, que ces deux établissements accueillent des mariages, qu'à coup sûr je ne pourrai pas dormir, mais que ça coûtera quand même deux cents francs.

Samedi 25 mai. Aroue - Ostabat. 20 kilomètres.

Étape coupée par une halte agréable dans un vieux café-épicerie-quincaillerie, isolé dans la nature, où une charmante dame de soixante-huit ans - nous avons échangé nos âges - m'a servi une colossale omelette-sandwich, poussée avec un grand bol de café noir.

Avant l'arrivée à Ostabat, le G.R. se transforme, sur un bon kilomètre, en sentine, en égout, pour conduire le marcheur devant le gîte renommé et aujourd'hui complet. Fatigué, je veux quand même vérifier s'il n'y a toujours pas de place, ce qui maintenant m'étonnerait car, seul, hier à Aroue, je n'ai rencontré personne sur le chemin. Interrogé, le responsable maintient pourtant qu'il ne peut m'accueillir car son gîte est entièrement retenu. Difficile d'obtenir des précisions. Des motards, des vététistes ou des randonneurs circulant en sens inverse ont certainement réservé. Et je n'ai plus du tout envie d'aller jusqu'à Larceveau pour entendre la ronde des canards toute la nuit. Plus de moral, plus de jambes.

Dans le village d'Ostabat, deux cafés-épiceries. Bien crotté et pas rasé depuis trois jours, j'entre dans le premier pour demander s'il y a une possibilité d'accueil. Non. On m'envoie dans le bas du pays, voir une dame qui a une grande maison dont elle loue quelques chambres aux estivants. Il y a de l'espoir, bien qu'en chemin, je le réalise, pas rasé et maculé de la boue des derniers kilomètres, je ne suis pas bien présentable. La dame m'explique qu'elle attend ses enfants ce soir et que, par conséquent, elle ne peut pas me louer de chambre. Le reste se lit dans son regard. D'ailleurs, elle finit par m'indiquer une grange, pas trop loin...

En remontant au centre du village, je rencontre trois vieilles dames, puis un couple. Je leur fais part de ma déception. Ces derniers m'offriront spontanément, et ils y tiennent, gratuitement, l'hospitalité. Ils ont quatre enfants et mettent à ma disposition leur salle de bains, des serviettes, du savon et la chambre d'une de leurs filles qui ira coucher avec une de ses soeurs. Merci, grand merci. J'ai décommandé, avec plaisir, la chambre retenue à Larceveau.

Mes hôtes habitent une vieille maison basque à l'intérieur garni de meubles massifs, de boiseries et huisseries sombres et aux sols faits de fortes et larges planches. Le tout, portant les traces des outils à main qui ont servi au façonnage, est bruni et imprégné des couches de cire étalées par plusieurs générations. À me regarder dans la glace de la salle de bains, l'attitude de la dame qui voulait me voir coucher dans une grange peut se comprendre.

L'hôtesse tient le deuxième café. Elle m'y servira un bon dîner et le petit déjeuner du lendemain. Elle aussi attendait, pour le dîner, des gens qui avaient réservé. Ils ne sont pas venus.

À noter, sur le parcours de ce jour, la chapelle de Soyarza, abri haut perché, entouré d'une ronde de platanes taillés en couronne. Le G.R. 65 qui y mène est sans ombre, rocailleux et monte fort, sur deux bons kilomètres, à partir de la stèle de Gibraltar, point de rencontre des chemins de Tours, de Vézelay et du Puy.

Ascension effectuée sous un grand soleil, vers une heure de l'après-midi. Mais, une fois là-haut !... Des moutons et des vaches, libres, sur de grandes étendues où l'herbe ne semble pas très abondante. Quel coup d'oeil ! Il y a un abri jouxtant la chapelle, avec une table, des bancs, des cahiers sur lesquels les visiteurs notent leurs impressions. J'y lis celles, émouvantes, de Louis et de Jean. Il y a aussi de l'eau fraîche.

Dimanche 26 mai. Ostabat - Saint-Jean-Pied-de-Port. 20 kilomètres.

Étape mal balisée, mais plutôt facile. La pluie de la nuit a détrempé la terre et gorgé d'eau la végétation. Là où le chemin se devine à peine, les hautes herbes m'ont mouillé jusqu'à la ceinture et, malgré ou à cause des guêtres, ont rempli mes chaussures de flotte. Une nouvelle fois, j'ai vérifié pourquoi on parlait, quelquefois, de pompes.

Arrivé à Saint-Jean-Pied-de-Port vers quatre heures de l'après-midi. La rue principale est fréquentée par de nombreux touristes. Short, chaussures de randonnée, sac à dos fantoche, canne décorée, foulard et même, quelquefois, béret basque rouge. Bien propres sur eux. Comme j'avais encore réussi à m'embouser plus haut que le pantalon et que je transpirais fort, il m'a semblé que j'avais, une nouvelle fois, l'allure du gars qu'on envoie coucher dans la grange.

Chez les Etchegoin, gîte privé, Jean, qui toujours se repose le dimanche, m'attendait. Il est logé dans un espèce de couloir, au rez-de-chaussée, au ras du trottoir de la bruyante départementale. Il m'a gardé un lit dans son couloir. C'est gentil. Après discussion avec les pittoresques propriétaires du gîte, je me suis vu proposer une chambre au deuxième étage, avec trois lits, des vrais et larges lits, équipés de matelas et sommier, pour moi tout seul. Cette fois, le contact est bon. Un colis à récupérer, en poste restante, m'obligeant à rester jusqu'à mercredi matin à Saint-Jean-Pied-de-Port, il vaut mieux être correctement logé.

Jean et moi avons dîné, bien dîné, en terrasse, dans un restaurant à l'intérieur des remparts. Puis Jean, qui part demain à l'aube, a regagné son couloir et moi ma vaste chambre pourvue d'une bibliothèque aux rayons garnis de bons titres et des albums de Tintin. Une fois choisi le meilleur lit, Tintin fera l'affaire pour ce soir.

Lundi 27 mai.

Claude et Eugénie sont au rendez-vous. Quel plaisir de rencontrer ces bons amis. Nous montons en haut des remparts. Temps clair. Beau panorama. Photos. Je les emmène déjeuner au restaurant découvert hier soir.

Ensuite, Claude nous conduit, en voiture, sur les petites routes de montagne. Nous nous arrêtons pour saluer leurs neveux et nièce qui nous offrent le café. Le neveu pêchait et prenait - parfaitement, prenait - des truites dans une large et rapide rivière courant juste devant chez lui. La belle vie. On repart sur les petites routes. On ne sait plus si on est en France ou en Espagne. On est un peu perdus. Il y a des pentes vertes, arrondies, douces, moins douces, abruptes, des bancs rocheux et des troupeaux de bêtes en liberté : des moutons à la tête et aux pattes noires, des pottocks - poneys du pays basque dont Claude dit que certains sont sauvages - et des vaches. L'ensemble me donne une idée de ce qui m'attend. C'est beau, mais ça ne sera sûrement pas facile.

Sur une route étroite, bordée d'un côté par des rochers et de l'autre par une vue panoramique brutalement plongeante au ras du bitume, une voiture se présente en sens inverse. Ça s'ajuste au millimètre, doucement, doucement. Avec des sourires, un peu crispés, mais des sourires. Au fond, l'homme, et en particulier l'homme automobiliste, n'est pas mauvais. Ce sont les routes qui sont trop larges. Le soir, en ville, j'ai retrouvé Brenden.

Mardi 28 mai. - Deuxième jour de repos à Saint-Jean-Pied-de-Port.

Il a fallu attendre l'ouverture de la poste pour récupérer le colis qui m'y attendait puis expédier, pour la troisième fois, divers objets et quelques effets « indispensables » dont je saurai me priver, pour alléger le sac. La règle figurant dans le manuel du pèlerin est bonne, mais pas facile à appliquer : le poids du sac ne doit pas dépasser le dixième du poids du marcheur. J'y suis presque parvenu.

Dans la soirée, visite à madame Debril, responsable du Centre d'études compostellanes pour la région. Sur son bureau, un exemplaire du livre de Coelho : le Pèlerin de Compostelle. Je fais part à la dame de ma déception lors de la lecture de cet ouvrage. Du coup, elle me fait asseoir et me demande de rester pour en parler. Elle est en colère. Elle m'explique que l'auteur a utilisé son nom et celui du prieur de Roncevaux pour camper, dans la version portugaise, éditée au Brésil, de son livre, des personnages antipathiques. Comme Coelho est passé à l'émission de Bernard Pivot, elle projette d'écrire à ce dernier.

J'ajoute que les acheteurs qui, se fiant au titre ci-dessus, comptent trouver des informations pratiques sur le chemin de Compostelle, sont effectivement abusés.

Après avoir tamponné mon credencial, madame Debril me recommande de prendre la route Napoléon et, en Espagne, de suivre le balisage jaune et les bornes frappées d'une coquille.

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