MICHEL GOISLARD

LA COQUILLE ET LE BOURDON

DEUXIÈME PARTIE

MARDI 29 MAI. Saint-Jean-Pied-de-Port - Roncevaux. 26 kilomètres.

Montée continue, dans un épais brouillard, par la route Napoléon. Ensuite, un temps limpide, magnifique, jusqu'au soir. Le chemin offre des panoramas à couper le souffle et pourtant, du souffle, j'en ai besoin. Côté français, beaucoup de bestiaux en liberté, comme déjà vus lors de la promenade, en voiture, avec Claude et Eugénie.

Changement de décor côté espagnol où la partie la plus importante de l'étape se fait dans des forêts de hêtres aux ombrages invitant à la pause. Des pauses, j'en ai fait plusieurs dont une suivie d'un long sommeil réparateur.

Marcheur plutôt lent, je suis souvent rattrapé par les pèlerins partis après moi. Ainsi, Brenden m'a doublé en France, à la Vierge d'Orisson. Raymonde, Fernande et Pierre, les randonneurs de ma banlieue, m'ont dépassé côté espagnol. De bons marcheurs, ces trois sexagénaires rencontrés lors du petit déjeuner, chez les Etchegoin.

Sac posé à Roncesvalles (Roncevaux) vers cinq heures. Les jambes fatiguées par la descente. Réception un peu rugueuse du préposé de la collégiale. Ça doit être la même rugosité pour tous car Brenden, également, trouve que l'accueil manque de chaleur. Il faut préciser qu'il y a beaucoup de monde. Par conséquent, comme la réception, la douche est froide. De plus, nous apprenons que le refuge de Zubiri, prévu pour demain soir, est complet.

Foule le soir, à la bénédiction des pèlerins - bénédiction dont le texte remonte au Moyen Âge - célébrée à la Real Colegiata (collégiale royale) par les chanoines de saint Augustin. Émouvant, même pour l'agnostique que je crois être.

Jeudi 30 mai. Roncesvalles - Larrasoaña. 30 kilomètres.

Cheminé avec Patrick, grand barbu costaud, la trentaine, parti à pied du Puy deux jours après moi. Photographe passionné, inconditionnel du noir et blanc et du matériel Leica.

Marche rude sous un fort soleil avec cependant quelques moments délicieux en quittant Roncevaux où le sentier serpente dans des bois de hêtres, à l'intérieur de propriétés privées.

Et des passages éprouvants, en particulier autour de Zubiri et de l'emprise de l'usine de magnésite où nous avançons, sous une forte chaleur, sans ombre, sans un souffle d'air, à travers un paysage minéral, chimique, sans végétation, le long de gros tuyaux de fer aux raccords suintant une inquiétante liqueur. Le chemin passe aussi par des endroits comme ça.

Une quinzaine de pèlerins de différentes nationalités se retrouvent au refuge municipal de Larrasoaña, tenu par l'alcalde - le maire - Santiago Zubiri Elizade, amigo del Camino de Santiago, comme indiqué sur la carte de visite qu'il remet à chacun. Copieux dîner servi, à la grande table commune du refuge, par l'alcalde et ses aides.

En face de moi, un couple de Japonais, aimables et petites personnes d'une soixantaine d'années. La dame a une main et l'avant-bras plâtrés, des doigts jusqu'au coude, et l'autre main emmaillotée de pansements. En anglais et en souriant, ils nous racontent leurs mésaventures. Ils ont été victimes de malfaiteurs qui les ont détroussés après les avoir immobilisés en leur retournant les mains et en leur tordant les doigts. La petite dame a essayé de se débattre. Ça a cassé.

Si j'ai bien compris, à Tokyo, ils impriment des images pieuses. Ils nous en offrent. Images dans le style japonais avec un enfant Jésus aux yeux bridés et aux noirs cheveux raides. Nous les verrons prendre le départ le lendemain matin. Toujours souriants. Le petit monsieur porte un sac plus gros que lui. Je ne sais pas s'ils ont été loin. Je ne les ai jamais revus.

Vendredi 31 mai. Larrasoaña - Cizur Menor. 19,5 kilomètres.

Étape facile. Comme en Alsace, les clochers des églises que nous rencontrons sont toujours garnis d'un ou de plusieurs nids de cigognes. Avec des cigognes. Nombreuses.

Après la traversée de Pampelune, marche d'une heure et demie, en bordure de route nationale, pour arriver au gîte privé de Cizur Menor tenu par la gentille madame Maria-Isabel Roncal, passionnée du Camino, de chats et de micro-informatique. En stop, nous retournons à Pampelune, déchargés de nos sacs, pour visiter et dîner.

Samedi 1er juin. Cizur Menor - Puente la Reina. 19 kilomètres.

Toujours facile, malgré un dénivelé de près de huit cents mètres. Le franchissement de la crête Alto de Santa Maria del Perdón, prise dans les nuages, crête sur laquelle sont installées de grandes éoliennes, fut impressionnant. Les mugissements du vent dans les grandes hélices, scandés par le fort bruit du passage des pales devant les mâts, apportaient une ambiance sonore presque dramatique aux paysages de montagne aperçus entre les troupeaux courants de nuages bas.

Empilés sur des lits à trois niveaux, les pèlerins sont serrés comme harengs en caque dans le refuge des Padres Reparatores, à proximité de l'église du Crucifix. À l'intérieur de cette église, et lui donnant son nom, se trouve un Christ cloué sur une croix en forme de Y. Œuvre d'un réalisme remarquable que j'ai photographiée, au flash, sous l'œil nettement réprobateur de quelques rares fidèles. Ces photos n'ont pas été réussies.

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Dimanche 2 juin. Puente la Reina - Estella. 20 kilomètres.

Le chemin passe sur le pont de la Reine, à la sortie de la ville. Là encore, j'aurais aimé avoir un chevalet, une toile, des couleurs... Et un âne docile pour porter le matériel.

Je marche toujours avec Patrick qui, outre son sac à dos, son large chapeau de pèlerin et son grand bourdon finement sculpté et enjolivé de décors métalliques ouvragés, porte à la ceinture une lourde et spéciale banane contenant des objectifs, des boîtiers, des pellicules... Nous avançons en discutant photo, domaine où mon compagnon de route excelle. J'en apprends. Nous n'hésitons pas à faire des détours pour tenter de saisir un paysage, une ruine, un pont, un troupeau de chèvres et de moutons sous le meilleur angle, le meilleur éclairage. Ce qui gomme très bien les difficultés du chemin et fait oublier fatigue et petites douleurs.

Lundi 3 juin. Estella - Los Arcos. 20 kilomètres.

Une nouvelle étape facile après une nuit passée dans un truc moitié hôtel moitié gîte, bien tassés, dans une chambre meublée de lits à étages, avec Pierre, Raymonde, Fernande, Patrick et Paco, véloce et rondouillard marcheur espagnol. Excellente nuit pourtant.

Après moins d'une heure de marche, le chemin passe, près du monastère de Santa Maria la Real, devant la fontaine de vin édifiée par les Bodegas d'Irache (caves vinicoles). L'eau et le vin y coulent, gratuitement et à volonté. Du bon vin dont nous usons modérément. Petite précision : l'accès à cette fontaine n'est possible qu'à pied.

Plus loin, pas de bar ni de restaurante, donc pas de café con leche ni de tortilla - pas de café-crème ni d'omelette - jusqu'à Aztequa. La température est plutôt fraîche : dix degrés, c'est moins fort que le vin de la fontaine d'Irache mais c'est bien pour marcher.

L'hébergement de Los Arcos est tout neuf et accueille de nombreux pèlerins. Comme nous arrivons tard, en fin d'après-midi, il n'y a plus d'eau chaude. La douche, revigorante, est vite prise.

Dîner toujours à base de pâtes, pour les sucres lents - heureusement, je ne m'en lasse pas -, suivi d'une promenade en ville et d'une pause dans un bar « societos ». Beaucoup de monde, beaucoup de bruit. À fond la télé, à fond la chaîne hi-fi. S'ajoutent les conversations, bien sûr à voix fortes. C'est l'ambiance habituelle ici. On a demandé une infusion et on nous sert une « manzanilla », infusion de camomille. Bien sucré, c'est agréable. Ça doit être un calmant. Je ne sais pas si les Espagnols en boivent beaucoup.

Mardi 4 juin. Los Arcos - Logroño. 27 kilomètres.

Départ à sept heures du matin, sous un ciel bien dégagé qui promet une chaude journée. Promesse tenue. Halte à Viana, à une terrasse étalée sur l'étroite rue principale, sans trottoirs, aux façades ornées de grandes armoiries sculptées dans la pierre. Tortillas et cerveza - bière - sont appréciées. Photos des édifices religieux baroques, de la fontaine et des statues de saint Jacques, à pied et à cheval (en matamore, tueur de maures). Et dure remise en route sous le soleil avec, quelquefois, un léger souffle d'air.

Arrêt sous la première ombre rencontrée. Bancs et tables de ciment armé, près d'une fontaine surmontée d'une grande inscription : « Aqua potable. Prohibido lavar ». L'ombre des acacias est douce et invite à la sieste, sur l'aire de repos de la Ermita Santa Maria de las Cuevas où, la sieste terminée, le bedeau nous invite à visiter l'intérieur de l'édifice et insiste pour « le sello » (poser son tampon sur nos credentials). Après quoi le digne homme va pisser tranquillement au coin de l'antique porche avant de rallumer son noir et maigre cigare à la forte odeur.

Il reste six kilomètres à parcourir avant d'arriver à Logroño.

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Mercredi 5 juin. Logroño - Nájera. 26 kilomètres.

Le soleil, encore plus chaud, est au rendez-vous. Là, c'est autre chose. Il faut boire. Beaucoup et souvent. Dans mon sac, je porte deux litres d'eau en réserve et, calée à la ceinture, une bouteille de trente centilitres, ce qui évite de poser le sac pour sortir la gourde, ranger la gourde et recharger le sac.

Chemin faisant, peint sur le mur d'une usine bordant le sentier, près de Nájera, un poème, en espagnol, dont la traduction en français figure dans mon guide :
Poussière, boue, soleil et pluie
C'est le Chemin de Saint-Jacques
Des millions de pèlerins
Et plus d'un millier d'années.
Pèlerin, qui t'appelle ? Quelle est
Cette force obscure qui t'attire ?
Ni le champ des étoiles
Ni les grandes cathédrales.

Ce n'est pas la bravoure navarraise,
Ni le vin de ceux de la Rioja,
Ni les fruits de mer des Galiciens
Ni les champs castillans.

Pèlerin, qui t'appelle ?
Quelle est cette force obscure qui t'attire ?
Ni les gens du Chemin,
Ni les coutumes rurales.

Ce n'est pas l'histoire et sa culture,
Ni le coq de la Calzada
Ni le palais de Gaudi,
Ni le château de Ponferrada.

Tout cela, je le vois au passage
Et ce m'est une joie de tout voir
Mais la voix qui, moi, m'appelle
Je la ressens au plus profond.

La force qui, moi, me pousse,
La force qui, moi, m'attire
Je ne sais même pas l'expliquer.
Seul Celui d'en-haut le sait.

Selon le Guide El País, le poète anonyme, auteur de cet acte de foi en forme de ballade, serait Eugène Garabay Baños, curé d'Hornillejas. Le gîte de Nájera, tenu par les pères franciscains, est fermé, pour travaux ou définitivement. On n'a pas pu savoir. Donc, nous coucherons à l'hôtel où nous retrouvons un couple de Français d'une soixantaine d'années. Robustes marcheurs qui nous ont doublés en chemin. Ils sont équipés de parapluies pour se protéger du soleil. Ce qui semble une bonne idée.

Nous avons dîné ensemble, au restaurant. Quand des Français sont réunis autour d'une table, rares sont les cas où il n'est pas question de politique. Ce dîner n'a pas été un cas rare. Nous sommes restés corrects les uns envers les autres. Enfin, c'est l'impression que j'ai gardée jusqu'au lendemain matin lorsque, incidemment, Patrick m'a dit que j'avais fait fort. La fatigue, certainement.

Jeudi 6 juin. Nájera - Santo Domingo de la Calzada. 22 kilomètres.

Étape tranquille malgré le soleil et les chemins sans ombre, terminée à la somptueuse Casa del Santo, siège d'une confraternité qui se dévoue aux pèlerins depuis le douzième siècle. Lessive, douche chaude et sieste. Nous avons retrouvé Fernande, Raymonde et Pierre, éprouvés par une longue marche de la veille, et une Italienne qui, ne pouvant rien porter, tire son bagage, monté sur roulettes, au bord des routes. Dangereuse pérégrination.

Visite de l'intérieur de la cathédrale de Santo Domingo de la Calzada (saint Dominique de la Chaussée), patron des travaux publics. Les légendaires volailles blanches, le style roman mêlé au style gothique, l'autel aux foisonnantes et baroques sculptures dorées. L'ombre fraîche est reposante et laisse une douce sensation. Dans la crypte, de très dévotes dames espagnoles m'ont dissuadé de photographier, au flash, la magnifique statue de saint Dominique. Décidément, j'ai des difficultés avec les prises de vues en intérieur.

Vendredi 7 juin. Santo Domingo de la Calzada - Belorado. 26 kilomètres.

Le chemin « officiel » suit la route nationale 120 sur la quasi-totalité de l'étape. Par facilité, nous avons choisi de suivre le chemin officiel. Bien que progressant le plus à gauche possible, sur la lisière du bitume, hors de la zone matérialisée pour les véhicules, cette marche fut désagréable. Le rugissement et le déplacement d'air des poids lourds, des voitures, l'odeur des gaz d'échappement, le tout sous un fort soleil, nous ont fait presser le pas pour en terminer rapidement. Nous avons rencontré, pour la dernière fois, la marcheuse italienne attelée à son chariot.

Pierre avance vite et, comme souvent, il nous attend au bout du chemin, douché, vêtu de clair et légèrement chaussé, pour nous conduire jusqu'au gîte. Aujourd'hui, l'albergue de pelegrino est installée dans un ancien théâtre jouxtant l'église Santa Maria.

Agréable dîner avec Pierre, Raymonde et Fernande suivi d'une promenade digestive, sportive et en espadrilles, presque jusqu'en haut du rocher dominant la ville. Beau panorama, mais les nuages s'amoncellent et de très forts orages éclateront au début de la nuit.

Samedi 8 juin. Belorado - San Juan de Ortega. 25 kilomètres.

Curieux sentiers qui nous font traverser des villages presque morts, souvent désertés, dont les ruines évoquent de grands cadavres. Sûrement les villages, comme les êtres, ont une naissance, une jeunesse, une plénitude, un déclin, puis une fin.

Depuis le début de ma pérégrination, j'ai traversé, en Espagne et en France, des villages dans leur vieillesse, des villages agonisants et des villages morts. Aucune jeunesse. Cette forme de vie disparaît. Une chose est de lire ou d'écouter des propos sur la désertification des campagnes, la migration vers les métropoles, une autre chose est de découvrir le phénomène, lentement, au rythme de la marche.

Café con leche, dans une bruyante ambiance, à Villafranca Montes del Oca. Le paysage a changé. Sentiers escarpés, larges pistes forestières, lits de torrents pour monter jusqu'à mille deux cents mètres et nous retrouver, dans une épaisse brume, doutant du chemin que nous suivons.

Enfin, une croix, une stèle à la coquille, une éclaircie. En bas d'une descente, un monastère, une église, un refuge. Ce sont, au grand calme, les beaux vieux édifices de San Juan de Ortega. L'église, construite vers 1150 par Juan de Ortega, porte son nom. La petite agglomération - quelques modestes maisons, une auberge et les bâtiments religieux - est classée monument national. Les pères nous invitent à la soupe à l'ail du soir, suivie de tortillas, de patatas et de longues déclarations en espagnol. J'aurais dû étudier cette langue avant de partir.

Petit déjeuner servi, le lendemain matin, au monastère où nous avons dormi. Au mur, un tronc pour que les pèlerins y déposent une participation, selon leurs moyens.

Dimanche 9 juin. San Juan de Ortega - Burgos. 27 kilomètres.

Départ dans un épais brouillard, à travers un paysage deviné désertique, puis dans une forêt. Enfin, descente sur Burgos sous un soleil écrasant, le long d'une large route droite, sans ombre, desservant une importante zone industrielle. Progression laborieuse, au bord d'une voie au trafic intense, sur plusieurs kilomètres avant d'arriver au centre de la ville. Après coup, nous avons appris qu'il y avait un meilleur chemin.

Une douleur sur le devant du tibia de la jambe gauche m'a rendu la fin du parcours pénible. En boitillant, j'ai quand même voulu découvrir la cathédrale Santa Maria de Burgos et en faire le tour, sac au dos, canne d'une main et appareil photo de l'autre. Commencée en 1221 et terminée au quinzième siècle, elle a la réputation d'être la plus belle cathédrale d'Europe. Visité également l'intérieur, en boitant franchement. Profusion de minutieuses sculptures en pierre, en bois, de dorures, de peintures. De cette courte visite, il me reste la forte impression qu'il faudra revenir, ingambe, et rester quelques jours. Les deux grandes tours sont emmaillotées d'échafaudages et de filets verts de sécurité. Immense chantier. Pas de chance pour les photos d'ensemble.

Le centre d'hébergement, situé à la sortie ouest de Burgos, vaste baraquement en bois édifié dans un parc de loisirs, à l'ombre de grands peupliers, fut difficile à atteindre pour l'éclopé que je devenais.

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Lundi 10 juin. Burgos - Hornillos del Camino. 18 kilomètres.

La jambe gauche me fait mal, malgré les applications de Kamol et l'aspirine. Si mal qu'au bout de cinq kilomètres couverts péniblement en deux heures, je décide de me faire ramener à Burgos en taxi. Pas de cabine téléphonique au village où je suis arrivé. Le seul bar existant est fermé. Il n'y a personne. La douleur est supportable lorsque j'arrête de marcher. Donc, je m'arrête, je m'assieds, reprends deux aspirines et, après un repos d'une demi-heure, continue doucement vers Hornillos del Camino, enfin atteint vers quatorze heures et où Raymonde, Fernande et Pierre, inquiets, m'attendaient dans le gîte tout neuf. Ils m'ont passé de la Percutalgine. ça calme.

Je resterai seul, sur place, demain. Pierre et un pèlerin espagnol m'ont expliqué qu'il s'agissait certainement d'une tendinite et que le seul remède était le repos. Patrick nous rejoint en début de soirée. Le bar-restaurant, annoncé sur le guide, étant fermé définitivement, nous dînons au refuge d'un excellent plat de spaghetti - je ne m'en lasse toujours pas - parfumé de quelques rondelles de chorizo offertes par un voisin de table. Renseignements pris, un camion de ravitaillement, sorte d'épicerie ambulante, passe chaque soir vers vingt heures. L'épicier et son camion sont, cette fois, arrivés peu de temps avant vingt-deux heures. Il n'y avait plus grand chose à vendre. Avec des nouilles - eh oui -, des oranges et le dernier pain, je pourrai tenir le coup jusqu'au prochain passage, demain soir.

La responsable du gîte, autoritaire bonne femme au short et au verbe brefs, m'indique qu'un médecin viendra m'examiner demain. Il n'y a pas à discuter, cette bonne femme est un chef. Je ne sens rien si je reste allongé et cela est maintenant supportable de faire quelques pas. La journée avance et le toubib n'arrive pas. Encore plus tardif que l'épicier ambulant.

Au long de l'après-midi, le gîte s'est rempli : des couples de vieux Hollandais, de jeunes Anglais, des Belges, des Allemands, des Espagnols. Je suis le seul Français. Vingt-deux heures passées. L'épicier et le toubib ne viendront plus ce soir. Ils doivent faire la java ensemble, dans un bar societos, avec de la télé, de la hi-fi et de la manzanilla. Comme ça va de mieux en mieux, je partirai tôt demain, au petit jour.

Mercredi 12 juin. Hornillos del Camino - Castrojeriz. 21 kilomètres.

Départ avant six heures du matin. Le jour n'est pas encore levé et je crains de ne pas bien distinguer les marques, les balises du chemin. Heureusement, il n'y a qu'une voie, sans embranchement. Par contre, je n'ai effectivement pas bien distingué un bord de trottoir. Le poids du sac aidant, je me suis étalé de tout mon long, sans souplesse. Plus de peur que de mal. Cette fois bien réveillé, j'avance sans trop de douleur. Par précaution, je fais une pause de dix minutes après chaque heure de marche et, ainsi égrenée, l'étape est terminée vers midi et demi, après compostage du credential par le jardinier de la collégiale de Santa Maria del Manzano.

Sur la place de Castrojeriz m'attendent les Hollandais qui deviendront mes nouveaux compagnons de route. Ils m'avaient dépassé lors d'une pause. Ils m'annoncent que l'auberge des pèlerins n'ouvrira ses portes qu'à quinze heures. Quelques courses au marché, où sont installés de maigres étalages, en attendant.

Beaucoup de monde à l'ouverture du gîte dont les hôtes belges font tout pour nous être agréables. Accueil avec café, gâteaux secs et gentillesse. Les matelas sont posés dans des compartiments en maçonnerie, à raison de quatre couchages par compartiment. Je me retrouve voisin de Dick, finlandais, disert professeur de langues en retraite. Il émet un « chut » à chaque fois que je commence à ronfler. J'ignorais posséder cette nocturne et musicale particularité. Ça doit être récent. Grands sourires de part et d'autre le lendemain matin. J'éviterai le censeur au prochain gîte.

Jeudi 13 juin. Castrojeriz - Frómista. 25 kilomètres.

Le chemin commence par une forte montée, sur presque trois kilomètres. Malgré la fraîcheur du petit matin, je suis parvenu sur la meseta - le plateau ? - trempé de sueur. Marche facile ensuite, sans fort dénivelé, jusqu'à ce que le soleil commence à donner.

Arrêts café-crème sympas. Le dernier à Boadilla del Camino, dans un bar bondé et bruyant, à l'heure de l'apéritif. Les consommateurs se disputent ? Pas du tout, c'est toujours la manière espagnole de s'exprimer. Pénibles, les derniers kilomètres. La tendinite recommence à se faire sentir. L'enflure déborde gracieusement autour de la socquette. Après quelques arrêts-aspirine, arrivée au gîte municipal de Frómista, sous une chaleur dingue.

Refuge plutôt médiocre. Plus la ville est grande, plus le gîte est moche. Les aimables Hollandais, Pet et Thea, m'ont gardé un lit dans leur chambrée dont la fenêtre donne sur une place où coule, continûment, une fontaine au gazouillis stimulant, largement aussi efficace que l'infusion de queues de cerises. Je suis descendu de mon lit haut perché de nombreuses fois dans la nuit.

Rencontré un kiné de Besançon et un entrepreneur de travaux publics de Lyon. Ce dernier me prête un tube de pommade Voltaren. C'est ce qu'il me faudra pour continuer.

Vendredi 14 juin. Frómista - Carrión de los Condes. 20 kilomètres.

Départ de nuit pour limiter le temps de marche au soleil. Le chemin est large et bien aménagé, à côté d'une route, avec, à chaque intersection, des bornes en pierre reconstituée portant une céramique bleue marquée de la coquille. Ça ne durera pas. Heureusement, ça aurait pu devenir monotone.

Halte à l'église Saint-Martin-de-Tours, à Villarmentero, suivie d'un arrêt café-crème à Villalcazar de Sirga avant de visiter l'église des Templiers de Santa Maria la Blanca, fort et austère édifice roman terminé, lui aussi, en gothique.

Fin de l'étape vers midi, à Carrión de los Condes, au beau refuge privé du Real Monasterio de las Madres Clarisas. Vrai lit avec draps et couvertures. Il y avait longtemps que je n'en avais pas eu l'usage et c'est agréable. La ville est plaisante et, outre les nombreux monuments classés, on y trouve tout ce dont on a besoin. Même une pharmacienne qui, sur présentation de ma jambe, a bien voulu me vendre un tube de Voltaren.

Pet et Thea projettent, pour demain, d'aller plus loin que moi. Nous nous quitterons donc car il reste maintenant trois cent soixante-dix kilomètres à parcourir pour atteindre Santiago et je veux me ménager.

Samedi 15 juin. Carrión de los Condes - Calzadilla de la Cueza. 17 kilomètres.

Encore un départ de nuit et un bord de trottoir mal distingué mais très bien percuté. La loi de la pesanteur est dure mais c'est la loi. Après une heure de marche, je me retrouve, à travers le Páramo, sans un arbre, sur un chemin de gros cailloux qui, arrachés de leur logement par le passage des tracteurs, roulent sous les chaussures. Les voies romaines n'ont pas été faites pour les engins du vingtième siècle.

Le village de Calzadilla de la Cueza apparaît, grand, d'un coup, au fond d'un vallonnement, lorsqu'on est arrivé dessus. Effet magique. Une bonne quinzaine de pèlerins, à pied ou en bicyclette, m'ont dépassé. J'en retrouve quelques-uns, attablés, au seul bar du village. Des courageux, décidés à poursuivre leur marche après s'être restaurés.

Sieste, seul, dans le refuge rustique situé à l'entrée du village. Sieste interrompue par des coups frappés à la porte. J'ouvre à une belle et jeune pèlerine, ruisselante de sueur. Arrivée dans la chambre, elle choisit, à l'aide d'une boussole, l'emplacement convenable pour y dérouler son couchage. C'est Martine. Parisienne d'origine, elle habite au Brésil où elle exerce comme kinésitérapeute.

Le gîte sera rempli en fin d'après-midi avec l'arrivée de jeunes femmes et de jeunes hommes espagnols, de Hollandais âgés et d'une étudiante de Chicago. Tous éprouvés pour avoir marché sous la forte chaleur. Les jeunes Espagnols se surfilent mutuellement leurs ampoules, puis se badigeonnent les pieds au mercurochrome.

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Dimanche 16 juin. Calzadilla de la Cueza - Sahagún. 23 kilomètres.

Parti du gîte fruste à sept heures, j'ai suivi le chemin conseillé sur le guide jusqu'à Ledigos. Peu balisé, il était fait, comme celui d'hier, de pierres déchaussées. Aussi ai-je choisi de continuer par la N 120 sur laquelle, ce dimanche matin, ne circulaient que de rares voitures. Mais toujours pas un bistro, pas une ombre. Ce qui n'incite pas à musarder.

Encore de nombreux villages agonisants ou morts. Bon Dieu que c'est triste ! Et le triste à l'intérieur du triste, c'est un bistro que l'on découvre abandonné, ruine parmi d'autres ruines, alors qu'il était signalé sur le guide et espéré depuis des kilomètres. Égoïste considération de pèlerin assoiffé.

Sahagún est défendue, à l'est, par une zone industrielle qu'il a bien fallu traverser, sur le coup de midi. Il y faisait encore plus chaud qu'au bord de la route.

Martine la Brésilienne, accoudée au guéridon d'un bar, près du refuge, m'indique que ce dernier n'ouvrira ses portes qu'à dix-sept heures. Sacs posés, nous nous sommes repus de mets huileux arrosés de vino de mesa, ce qui n'est pas un vin de messe, mais un vin de table ordinaire. Puis, je suis allé seul faire un tour en ville. Photos des édifices romans de briques roses avec une lumière violente et un ciel presque violet puis, sur le chemin du retour, découverte d'une terrasse ombragée, calme et fraîche où, coca glacé siroté, je me suis endormi, avant de rejoindre le gîte, inauguré l'année précédente, installé dans la partie haute de l'église désaffectée de la Trinidad. Somptueux hébergement « trois étoiles » qui me fait mentir. Enfin un très beau gîte dans une grande ville. Le soir, un concert est donné dans la grande salle de spectacle aménagée, au rez-de-chaussée de l'ancien édifice religieux : musiques sud-américaines suivies de chants espagnols. Un régal. La tendinite a disparu. Je couperai quand même en deux l'étape de demain, prévue sur presque quarante kilomètres. Il y a un refuge situé à mi-chemin, à El Burgo Ranero.

Rencontré un ancien médecin de la Marine nationale qui, depuis Arles, parcours le Camino pour la seconde fois. Nous réunissons nos provisions pour improviser un dîner riche en sucres lents - élégante façon de dire que nous avons fait cuire deux restes de paquets de nouilles -, dans une ambiance de musiques sud-américaines.

Le lendemain matin, nous avons marché ensemble pour sortir de la ville. Puis, le pèlerin-médecin a extirpé de son sac à dos deux cannes télescopiques et, après l'échange des salutations d'usage, une canne dans chaque main, il a démarré, un peu à la manière d'un skieur de fond. Une fusée. Je ne l'ai jamais revu.

Lundi 17 juin. - Sahagún - El Burgo Ranero. 18 kilomètres.

Marche au bord de la route durant une demi-heure puis chemin non balisé jusqu'à Calzada del Coto. Triste village à partir duquel, pour ne pas reprendre le bord de route, j'ai choisi d'emprunter des sentiers. Depuis longtemps, j'avais remarqué la situation de mon ombre en fonction de l'heure, ce qui m'a permis de choisir, à la sortie du village, parmi trois voies, celle qui correspondait le mieux à la bonne orientation donnée par l'ombre. Il a fallu marcher durant une bonne heure avant d'avoir la certitude que le choix était bon, en arrivant à Bercianos del Real Camino, seul village avant la fin de l'étape. Long suspens dans un plat pays, sous un fort soleil.

Bon et beau gîte, en adobe, récemment restauré, à El Burgo Ranero. Au début de l'après-midi, nous n'étions que trois : une jeune allemande, Martine et moi. Douche-lessive-sieste-spaghetti.

Vers sept heures, le plein de pèlerins est fait. Voici Yvonne, pèlerine belge, partie de Bruges et rencontrée pour la dernière fois en France, à Condom. En forme. Elle a perdu dix kilos. On a été boire un citron pressé pour arroser nos retrouvailles et sa nouvelle ligne. Yvonne est une ancienne infirmière des hôpitaux psychiatriques, maintenant retraitée.

Mardi 18 juin. El Burgo Ranero - Mansilla de las Mulas. 19 kilomètres.

Pays toujours bien plat, soleil bien chaud, chemin bien droit amenant à une albergue bien sous tous rapports, bien avant midi.

Nous sommes quatre Français, une Belge et un Espagnol dans une chambre équipée de trois fois deux lits superposés. J'y fait la connaissance de Jean, de Rennes, colonel de l'artillerie de marine, en retraite, et de Christian, filiforme quadragénaire, professeur d'astrologie, végétaliste barbu aux longs cheveux blancs.

Achat d'un parapluie pliant pour neuf cents pesetas et pour me protéger du soleil. Du coup, un orage a éclaté et il s'est mis à pleuvoir dru. Ma nouvelle acquisition peut aussi servir dans ce cas. La jeune et belle pèlerine allemande a accepté de venir, avec moi, sous un petit coin de parapluie, pour déguster une manzanilla. Il y a des achats qu'on ne regrette pas. En tout bien, tout honneur, comme il se dit en pareil cas. Réveil prévu demain matin à cinq heures.

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Mercredi 19 juin. Mansillas de las Mulas - León. 20 kilomètres.

Étape couverte en majorité sur un chemin parallèle à la route nationale. Intense trafic, surtout des poids lourds dont les chauffeurs font des signes amicaux. Les traversées des bourgs sont difficiles, par la seule voie possible, le bord resserré de la route, au plus près du rail de sécurité. Le soleil est souvent voilé. Le moral aussi.

À l'entrée de León, je me suis offert une livre de cerises à l'étalage d'une marchande ambulante, sous le regard indifférent d'un motard de la Guardia Civile. Ils doivent suivre un entraînement spécial pour faire, durablement, une tête pareille. Peut-être un stage dans le métro parisien...

Il paraît que l'auberge des pèlerins serait justement installée dans les locaux de la Guardia Civile. J'hésite. Est-ce bien là ? La curiosité l'emporte. Oui. C'est au deuxième étage d'un des bâtiments de la caserne. C'est vaste. Les lits ne sont pas superposés et l'accueil, aimable et efficace, est assuré par deux hospitalières bénévoles. J'ai vu l'une d'elles, Christine, soigner et panser les jambes d'un pèlerin qui, bien que souffrant de tendinites, ne voulait pas s'arrêter. C'est très technique. Ça peut servir. Dans le couloir, boitillent les éclopés gardés le temps nécessaire à leur rétablissement.

Le centre d'accueil devant être vidé de ses occupants valides, de quatorze à dix-sept heures, j'ai été déjeuner et faire le touriste dans la grande ville de León où il serait agréable, là aussi, de rester plus longtemps. J'espère que les quelques clichés de la cathédrale, de la Casa de Botines, construite par Gaudi, et de l'église de San Isidoro seront réussis.

Demain matin, il faudra traverser la ville, sa banlieue et ses zones industrielles avant de retrouver le Camino. Il reste encore trois cent dix-sept kilomètres à parcourir pour atteindre Santiago.

Jeudi 20 juin. León - Hospital de Orbigo. 34 kilomètres.

Par la Calzada de los Peregrinos ou Calzada de los Franceses, à travers le Páramo et non par le chemin historique, recouvert par la route nationale. Après une vingtaine de kilomètres effectués sur un plateau désertique, nous atteignons Villar Mazarife et son refuge privé. Le déjeuner terminé, Jean, le vieux colonel, m'invite à continuer. Pourquoi pas ! Le soleil est légèrement voilé, nous sommes en forme et le topo-guide indique que nous allons traverser une plaine irriguée et fertile où tout pousse, y compris les résidences secondaires.

A Hospital de Orbigo, après avoir franchi le magnifique et long pont roman, il y a encore un effort à fournir pour arriver au refuge municipal, situé derrière plusieurs terrains de camping, au bout d'une base de loisirs, loin, bien loin de l'agglomération. Allégés de nos sacs, douchés, reposés, nous reviendrons près du pont de l'Orbigo pour dîner dans un vaste restaurant « cinq étoiles » à mille pesetas - environ cinquante francs - avec Jean et Yvonne. Les cinq étoiles ornant l'enseigne n'ont, bien entendu, rien à voir avec celles du guide Michelin. La bonne humeur des hôtes et des convives compense largement.

Vendredi 21 juin. Hospital de Orbigo - Astorga. 17 kilomètres.

Hier soir, le patron du « cinq étoiles » nous avait promis d'ouvrir à huit heures pour nous servir le petit déjeuner. Il apparaît enfin vers neuf heures. C'est lui qui tamponne les credentials. Il est aussi alcalde de sa commune.

Arrivée sans fatigue au refuge d'Astorga. Yvonne, Jean et moi avons cheminé ensemble. Après la sieste, Jean décide de poursuivre pour atteindre le prochain gîte. Je préfère rester pour visiter la ville, la cathédrale baroque à l'intérieur gothique et surtout le musée installé dans l'ancien palais épiscopal, édifice conçu par l'architecte catalan Gaudi. Le contenu vaut le contenant. Ç'aurait été vraiment dommage de manquer cette merveille.

Samedi 22 juin. Astorga - Rabanal del Camino. 20 kilomètres.

Cheminé avec le colonel, rejoint en route. Nous discutons religion, politique. Il me parle, non sans passion, de mathématiques. Je lui explique ce que j'ai compris des couleurs, de la peinture. À part les mathématiques et la peinture, on n'est pas toujours d'accord. On discute bien. On ne s'est toutefois jamais disputé. On s'estime comme on est.

Après déjeuner - un festin de macaronis arrosés de vino tinto -, je choisis de m'arrêter à l'excellent refuge de la Confraternity of Saint James de Londres, à Rabanal. Yvonne me propose d'y partager son dîner. Devinez ce qu'il y avait au menu. Jean, amateur d'insolite, poursuivra jusqu'à Manjarín. Il ne sera pas déçu, côté insolite. Les Anglaises, responsables du gîte de la Confraternity, m'apprennent que Brenden, dont la mère est mourante, est reparti précipitamment en Angleterre.

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Dimanche 23 juin. Rabanal del Camino - Molinaseca. 26 kilomètres.

Début de journée difficile, sur un chemin non balisé, à la sortie du village. Avec deux marcheuses espagnoles, nous nous sommes perdus dans le brouillard épais et dans un maquis touffu, parsemé de bourbiers dissimulés sous la végétation. Véritables pièges à pèlerins. Des poteaux électriques, enfin visibles, nous ont permis de gagner une route en coupant à travers champs, broussailles, fossés et talus.

Facile montée avant de traverser le village, plutôt les ruines du village de Foncebadón, noyées dans le brouillard, revenu dense. Hallucinant, ce fantôme de village. Découverte de beaux paysages de montagne avec la levée des nuages bas et l'apparition du soleil.

Arrêt au petit refuge de Manjarín que Jean a quitté, après y avoir passé la nuit. Le curieux et sympathique bonhomme qui tient le refuge fait sonner sa cloche pour chaque arrivée de pèlerin, offre du thé ou du café et propose un coup de tampon. Plus tard, le colonel me racontera sa nuit au refuge de Manjarín : il a eu droit à une soupe, bizarre potage agrémenté de poils et de vermicelles aux origines incertaines, qu'il n'a pas osé refuser. Il a également eu droit à un coin pour dormir, dans le foin du grenier, en compagnie d'un grand et robuste pèlerin, adepte d'une secte au nom genre arc-en-ciel ensoleillé. Le costaud lui a bien expliqué son urgent besoin de monnaie pour pouvoir regagner sa secte ensoleillée. Jean a bien compris le message. Il a été généreux. Méfiant tout de même, le colonel amateur d'insolite n'a pas fermé l'œil de la nuit.

Vient ensuite la Cruz de Ferro, croix de fer plantée sur un grand tas de cailloux. Cailloux apportés, selon la coutume, par les pèlerins. Il y en a qui apportent de très petits cailloux. J'en connais personnellement. Presque mille cinq cents mètres d'altitude, c'est le plus haut point atteint.

Après quelques kilomètres dans la plaine du Bierzo, de fortes et dures descentes font découvrir les beaux villages d'El Acebo et de Riego de Ambrós. Déjeuner sur l'herbe avec les provisions du sac et arrivée à Molinaseca, au refuge de l'ancienne Ermita San Roque. J'y retrouve Jean et d'autres pèlerins rencontrés les jours précédents, dont le Hollandais Willy et son épouse africaine. Ces deux-là avancent sur le chemin, d'une démarche aisée, sans sac à dos. Ils font convoyer leurs bagages. L'astucieux Willy a trouvé deux cents compatriotes qui lui ont versé chacun l'équivalent de cent francs pour financer son pèlerinage. En échange, Willy expédie en cours de route des cartes postales à ses sponsors. À l'arrivée, il déposera, dans les cavités pratiquées à cet effet, au pied de la statue de saint Jacques, les voeux écrits de ses commanditaires et adressera, à chacun d'eux, une dernière carte postale, de Saint-Jacques de Compostelle.

Mes godillots me donnent de l'inquiétude. Tiendront-ils jusqu'au bout ? Les semelles, pourtant faites de caoutchouc épais à gros motifs, sont maintenant crevées et des graviers se logent dans les trous. En route, j'ai appris qu'une bonne paire de chaussures de marche, entretenue et ressemelée, pouvait tenir jusqu'à trois mille kilomètres. Sauf s'il est possible de les confier à un cordonnier, celles-ci ne dépasseront pas les deux mille. Pour user comme ça, je dois traîner les pieds, sur les derniers mètres des étapes. Avant de prendre le départ et conformément aux recommandations du Guide du Randonneur, pour m'entraîner, j'avais bien marché avec ces chaussures. Elles avaient été minutieusement choisies, en Alsace, chez Méphisto, la marque convenable pour chausser un pèlerin. Je n'ai jamais eu d'ampoules.

Lundi 24 juin. Molinaseca - Villafranca del Bierzo. 31 kilomètres.

À cause d'importants travaux en cours, quelques repères avaient disparu, dans Ponferrada, grosse agglomération industrielle, atteinte après une heure et demie de marche. Je m'y suis perdu. Bien perdu. Un citoyen espagnol que j'interrogeais a tenu à m'accompagner dans les rues de sa ville pour me remettre sur la bonne voie, me donner le chemin. Il avait fait le pèlerinage deux ans auparavant. J'ai longtemps douté de ce homme qui, par les rues, les places et les avenues, m'emmenait, avec le soleil droit devant, donc en tournant le dos à la bonne direction ouest. Après plus d'une demi-heure, rassuré en retrouvant les marques jaunes du Camino, j'ai chaleureusement remercié mon guide.

Plus loin, bien installé à une terrasse de Cacabelos, j'ai attendu le colonel que je savais derrière moi. À son instigation, nous avons cheminé en empruntant un sentier peu fréquenté, un diverticule sans balisage, serpentant sur des murets étroits puis traversant d'immenses cerisaies. Nous y avons englouti de grandes quantités de bonnes cerises. Sous un chaud soleil, sans un souffle d'air, nous avons fini par trouver une route bien orientée. Le parapluie-parasol, au manche calé dans la bretelle du sac, fut bien utile.

Agréable dégustation de cidre, boisson de cette partie du Bierzo voisine de la Galice. Il n'y a pas eu à discuter avec le patron de l'auberge. D'autorité, il nous a servi un litre de cidre et un grand verre de cristal pour deux. Il nous a fait une démonstration sur la bonne façon de verser, debout, en tenant d'une main la bouteille le plus haut possible et, de l'autre main, le verre le plus bas possible. Un peu comme les Arabes servent le thé. Cela, d'après ce que nous avons compris, pour oxygéner le breuvage. Frais et excellent, pour ce qui avait été versé dans le verre.

Logement au gîte de la famille Jato. Grandes tentes de feuilles de plastique, genre serres de maraîchers, installées sur un sol inégal. Les tentes sont reliées entre elles, au petit bonheur, par des tunnels également couverts de feuilles de plastique maintenues par des bouts de ficelle et des sandows. Sous une tente, un bar-bazar, de longues tables et des bancs où seront servis les repas. Ça n'est pas nickel mais ça ne manque pas d'air, d'autant plus que le vent s'est levé.

Heureusement, les Jato sont des hôtes chaleureux. L'ambiance est bonne. Il y a des retrouvailles. Jésus Jato, patron du gîte, spirituel baliseur du chemin dans la montagne du Cebreiro, est aussi guérisseur. Entouré de pèlerins, il prodigue ses soins à une Sud-Africaine blanche souffrant d'un genou. Martine, attentive spectatrice, m'explique que les gens qui souffrent des genoux sont souvent des orgueilleux. Étonnante Martine.

Thea, abandonnée par Pet, parti devant, tient compagnie à la Sud-Africaine. Toutes deux soignent leur mélancolie au vino tinto. Thea, qui se ressaisit, propose de partir avec moi demain matin. Affaire conclue. Nous irons ensemble jusqu'à Santiago. Hollandaise de soixante-cinq ans, ma nouvelle compagne de chemin, ancienne guide professionnelle de randonnées, marchera devant. Elle m'attendra toujours pour les pauses casse-croûte et avant l'arrivée au refuge convenu. Excellente nuit sous les tentes à l'intérieur bien aéré.

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Mardi 25 juin. Villafranca del Bierzo - Vega de Valcarce. 19 kilomètres.

Par les sentier pentus, quelquefois durs, balisés avec humour par Jesus Jato. Un ciel sans nuages et une bonne lumière exaltent les couleurs des panoramas de montagne où les camaïeux en damiers des cultures ajoutent à la beauté naturelle des paysages.

Beaucoup de monde, beaucoup de bruit, peu de sommeil, au gîte municipal où nous nous retrouvons avec une douzaine d'adolescents espagnols exubérants, partis de León.

Mercredi 26 juin. Vega de Valcarce - Hospital da Condesa. 20 kilomètres.

Toujours des chemins bien raides et, lorsque la brume est levée, des paysages beaux à laisser rêveur.

Pause café-crème dans un hôtel du pittoresque village de O Cebreiro, perché à mille trois cents mètres. La brume est redescendue lorsque nous arrivons sur ses murs et ses petites maisons de pierre grise couvertes de paille de seigle. Nous avons visité l'église Santa Maria la Real, du onzième siècle, édifice sombre et trapu. Seules brillent, à l'intérieur, près de l'autel, les petites flammes de quelques bougies plates de cire rouge.

Provisions faites, en cours de route, dans un commerce comme on n'en voit plus qu'au cinéma : bar, épicerie, un peu restaurant, quincaillerie, chaussures, vêtements, mécanique auto, essence, tabac et, comme le local est sombre, je n'ai certainement pas tout vu. Seule la patronne sait à peu près, dans cette noire boutique, où se trouvent les diverses denrées.

Un client du bar nous propose de prendre nos provisions dans sa voiture. Il nous explique que c'est son épouse qui s'occupe de l'hébergement où nous nous rendons, trois kilomètres plus loin, en montant. Cette fois, nous ne sommes que six pèlerins à attendre, une bonne heure, l'ouverture du gîte, tout neuf, et nos provisions. L'ombre du parapluie a encore été bien utile. Pas d'arbre, pas de restaurant, pas de bar. Le refuge est à l'écart d'un petit village.

Avec les seuls ustensiles disponibles dans les placards d'une somptueuse et neuve cuisine, à savoir une vieille gamelle et son couvercle, et avec les fameuses provisions, Thea nous mijote un plat unique, c'est le mot juste, où en plus, bien entendu, des nouilles, j'ai reconnu des oignons, des tomates, des sardines à l'huile, des lardons, des cornichons, du jambon, des légumes crus au vinaigre et où nageaient d'autres denrées non identifiées. Le tout assaisonné de généreuses pincées de paprika. Heureusement, mon sac contenait une assiette en aluminium et un couvert pliant. Elle est redoutable aux fourneaux la Thea. Elle a voulu manger dans le couvercle. Nous avons entrepris de faire glisser le tout avec du vino tinto. Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre. C'est décidé. Je ferai ma cuisine à part.

De la terrasse du gîte, la vue est splendide, l'air est vif et l'absence de bicarbonate se fait cruellement sentir.

Jeudi 27 juin. Hospital da Condesa - Samos. 25 kilomètres.

Routes et paysages de montagne sous un ciel pur. Le chemin passe dans des villages tels qu'ils devaient exister, en France, au siècle dernier. Villages habités par d'aimables paysans, heureux de croiser des pèlerins. Ils nous saluent chaleureusement, le sourire aux lèvres. Et pourtant nous voyons des hommes appuyés sur les manches d'une charrue à un soc, tirée par deux boeufs, et des femmes cachées derrière la volumineuse charge d'une brouette ou occupées aux travaux des champs avec des instruments à main. Mystères de la C.E.A.

À Triacastela, la décision est prise d'aller coucher au refuge des pères bénédictins de Samos. Grande, historique et somptueuse abbaye qui occupe le centre de l'agglomération, au creux d'une vallée. Gîte très moyen, sans cuisine. Contraste. Le préposé à l'ouverture des portes aux pèlerins n'a pas dû apprendre à être aimable chez les bons pères.

Nous retrouvons Martine, Christian et d'autres, dont des bandes bruyantes d'Espagnols, jeunes et vieux, et une meute de gros Allemands. Beaucoup de ronfleurs.

Vendredi 28 juin. Samos - Ferreiros. 26 kilomètres.

Progression dans le brouillard durant toute la matinée. Les villages de Galice que nous traversons rappellent ceux de Bretagne : murs de granit et toits d'ardoise. Ici, de grosses ardoises.

Plus loin, au milieu de la cour des habitations, on trouve souvent un hórreo. C'est un ancien grenier à grains monté sur de hauts piliers de pierre, aux parois de vieux bois gris sous un toit fatigué, quelquefois crevé, à deux pentes largement débordantes. De grosses pierres en immobilisent les ardoises ou les tuiles. Un bout de l'édifice est surmonté d'une croix de granit. Fort soleil depuis midi.

Arrivée au refuge de la Xunta de Ferreiros vers cinq heures. Xunta, c'est la graphie galicienne de la junta (assemblée) espagnole. Le refuge est complet. Les derniers, dont nous sommes, coucheront par terre, s'il reste de la place, ou dehors. Heureusement, Martine et son équipe ont réussi à nous garder deux lits. Il était temps d'arriver. Il y avait de la contestation.

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Samedi 29 juin. Ferreiros - Hospital de la Cruz. 21 kilomètres.

Encore un départ dans la brume. Chemins inondés où, heureusement, de gros blocs de granit taillés, genre bords de trottoirs, ont été déposés, à peu près bout à bout, par des habitants dévoués. Plus loin, nous découvrons, abrités sous d'épaisses frondaisons, de vieux villages à la rue principale récemment cimentée et copieusement embousée. Nous y croisons fréquemment des troupeaux de quatre ou cinq vaches conduits par une femme ou un gamin, aidés d'un chien. Mystères de la C.E.A.

Après le ravitaillement à Portomarín, lors de la pause au pied d'un grand escalier de pierre, nous voyons venir, boitant fort et sortant du brouillard qui était redescendu, Jean le vieux colonel. Nous pensions qu'il était loin devant. Selon mon expérience, il a une tendinite. Ce qu'il refuse d'admettre. Il ne veut pas s'arrêter et continuera à traîner la jambe jusqu'à Santiago, avec bonne humeur, avec un moral d'acier et avec une canne.

Déjeuner dans le gîte de la Xunta de Gonzar. Sur le registre, Raymonde, Pierre, Fernande, Yvonne et Jean de Tours m'ont laissé des messages d'encouragement. C'est bon. Très bon. Après Vega de Valcarce, mardi dernier, j'ai rencontré la première des bornes qui, maintenant tous les cinq cents mètres, indiquent aux pèlerins la distance restant à parcourir pour atteindre Santiago. Cette première borne affichait 153,5 kilomètres. Aujourd'hui, on pouvait lire, sur la borne près du gîte, 78,5 kilomètres. Fin prévisible de la belle aventure dans trois jours.

Il est quatorze heures et le refuge est fermé. Retour au village pour en obtenir l'ouverture, ou le prêt de la clé. Les gens que nous rencontrons nous font savoir, d'une manière peu aimable, que le gîte ne sera pas ouvert avant dix-sept heures.

Et il n'y a pas de bar dans le pays. Dictionnaire en main, je tente d'expliquer que je suis fatigué et malade, ce qui est vrai car, depuis quelques jours, j'ai quelques problèmes intestinaux. Devant la mine butée de nos interlocuteurs, Thea, la bonne comédienne, pose son sac et s'agenouille sur la route. Ils restent inflexibles. Excédé par des coeurs si durs, je les baptise alors, en français, de noms d'oiseaux. Bien entendu, toujours sans résultat. Peut-être ne comprennent-ils pas mieux mon espagnol que mon français ? Écoeurés, nous avons regagné le refuge et nous nous sommes acagnardés, à l'ombre du parapluie, devant l'entrée.

Peu après, un jeune pèlerin espagnol est arrivé. Comme il comprenait l'anglais, Thea lui a raconté nos misères. Il est reparti au village. Il a été bon messager. Une dame élégante est venue avec la clé du gîte, ouvert récemment, en 1993, pour l'année sainte et aujourd'hui à quinze heures pour trois pèlerins.

En soirée, la quatrième et dernière cliente pousse la porte. Grande Anglaise athlétique, la bonne quarantaine, le visage aux traits marqués sous une abondante chevelure grise et frisée. Les couleurs de ses habits usés sont mangées par le soleil. C'est Alison. Chargée d'un lourd sac, équipée d'un grand et solide parapluie, d'un pot de peinture jaune et d'un pinceau. Elle balise le Camino.

Dimanche 30 juin. Hospital de la Cruz - Melide. 28 kilomètres.

En chemin, nous avons rencontré Henri, disert sexagénaire, parti de Nantes. Son sac est frappé du drapeau breton. Son crâne est frappé de calvitie. Du coup, on sympathise. Une nouvelle fois, je rencontre cette curieuse impression, ressentie à plusieurs reprises sur le chemin, de déjà vu, de connu. Et pourtant, nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Encore un mystère.

En route, Henri nous propose de nous initier au cul cassé...
« Mais non, Michel, ça n'est pas ce que tu crois.
- Je ne crois rien. Je t'écoute.
- Ah ! Revenons au cul cassé. À partir de cartes au cent-millième - un centimètre pour un kilomètre - c'est, en un Quart d'heure de marche, une avancée sur le terrain de un Kilomètre correspondant à un Centimètre de la carte. »

On a vérifié, on marchait au Q.K.C. sans le savoir. Il faut toutefois préciser que les cartes que nous avions trouvées en Espagne sont loin de valoir celles éditées par l'I.G.N. en France.

Au grand et confortable refuge de Melide (plus de cent places, douches, cuisines, salles communes, boxes pour chevaux), Henri nous explique, démonstration à l'appui, son principe diététique : équipé d'un camping-gaz, il se fait cuire des lentilles tous les jours. Outre le chemin de Santiago, il a accompli, avec satisfaction, plusieurs grandes randonnées en se nourrissant de cette manière.

Henri attend son fils, étudiant cinéaste qui, préparant une thèse sur le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, a choisi son père comme personnage principal. Ils doivent se retrouver bientôt, pour tourner l'arrivée du pèlerin.

Lundi 1er juillet. Melide - Santa Irene. 25 kilomètres.

Villages et forêts d'eucalyptus. Chemin balisé, tous les cinq cents mètres, de bornes de pierre à la coquille... 51,5 kilomètres, 51 kilomètres, 50,5 kilomètres, ..., 21,5 kilomètres. Nous arrivons, sous un ciel gris, au refuge de la Xunta de Santa Irene.

Henri et son fils s'y retrouveront. Depuis deux jours, ce dernier allait, en voiture avec son assistante et son matériel, de refuge en refuge, à la recherche de sa vedette principale dont il a enfin reconnu les godillots dans le couloir du gîte.

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Mardi 2 juillet. Santa Irene - Santiago. 24 kilomètres.

Marche toujours cadencée par les bornes demi-kilométriques. Passages à Lavacolla, ce qui ne se traduit pas par lave-col, et à Lavamentula, ce qui ne se traduit pas par lave-menton. Les pèlerins de jadis, ne disposant pas de douches aux refuges, s'arrêtaient dans ces lieux pour une toilette complète avant Santiago.

Arrivée à Monte de Gozo, équivalent du terme français Montjoie, colline coiffée d'un monument aux importants bas-reliefs modernes, supportant une grande sculpture abstraite et religieuse de verre et de fer. Ici la vue panoramique de Santiago s'offre à nous pour la première fois.

Un groupe de jeunes Espagnols, se ruant à l'assaut du monticule, répète la course légendaire à l'issue de laquelle le premier arrivé au sommet en criant « Montjoie » et en jetant son chapeau en l'air, avait droit au titre éphémère de roi des pèlerins. Le roi et son peuple se sont ensuite dirigés vers le récent centre d'hébergement tout proche. Immense casernement capable d'accueillir deux mille personnes.

Quoique fatigués, nous avons repris le chemin pour poser notre sac au Seminario Menor de Belvis qui domine la ville aux quarante-six églises, cent quatorze clochers et je ne sais combien de palais. Saint-Jacques de Compostelle ! Santiago ! Terminus ! Les semelles de mes godillots ont tenu le coup. Dans le dortoir du séminaire, nous avons retrouvé Alison, l'athlétique baliseuse du Camino, et quelques autres, rencontrés en France ou en Espagne.

Allégés, douchés, drôlement calmes, Thea et moi allons vers la cathédrale de l'Apôtre, but du pèlerinage. Plaza do Obradoiro. Fourmillement cosmopolite de touristes, de pèlerins, de photographes, de musiciens costumés et de marchands de pacotille. Enfin, voici le prodigieux vaisseau de pierre, à l'architecture romane de style toulousain et à la façade baroque au centre de laquelle est enchâssée la statue de saint Jacques pèlerin. L'édifice est flanqué de son cloître gothique.

À l'intérieur, statues, retables, sculptures, tuyaux d'orgues horizontaux rayonnant, dorures, nefs, chapelles, stalles, cryptes. Au pied de la colonne centrale du porche de la Gloire, parcourue par le point lumineux d'un rayon laser rouge, les pèlerins viennent poser leurs doigts dans les trous d'usure lentement creusés par les doigts de ceux qui les ont précédé, depuis plus de huit siècles.

Munis de nos compostelas - attestation de l'accomplissement du pèlerinage - le nez en l'air, au hasard, ramollis, nous passons devant l'Hostal de los Reyes Catolicos, devenu l'Hôtel Parador, paraît-il le plus riche et le plus beau d'Espagne. On regarde. On peut rêver. Alison attendait devant la façade Renaissance. Elle nous demande si nous venons pour dîner.
« ... Non. Nous n'avons pas prévu de dîner ici. Il y a plusieurs petits restaurants sympathiques, pas trop loin...
- Mais si, mais si. Avez-vous vos compostelas ?
- Oui... Pourquoi ?
- Prêtez-les moi. »

À peine Alison a-t-elle poussé la porte du Parador qu'elle en ressort accompagnée d'un employé à l'uniforme élégant qui lui remet des tickets donnant droit à trois dîners servis dans les dépendances, près des cuisines. En souvenir de sa fonction initiale, cet hôtel de grand luxe, installé dans les murs de l'hôpital des rois catholiques, respecte l'ancienne obligation de servir des repas gratuits aux pèlerins. Chaque jour, dix au déjeuner, dix au dîner. J'avais lu l'histoire de cette coutume. Je n'y avais pas trop cru. On a suivi Alison. On a retrouvé des connaissances. Un fameux dîner nous a été servi.

Émouvante messe des pèlerins célébrée à la cathédrale, le lendemain 3 juillet 1996, jour de la saint Thomas. C'est la fin de la belle aventure. Adieu aux amis. Retour en train après une dernière nuit dans le dortoir du séminaire.

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